Toute sa vie politique, Lucette Michaux-Chevry s’est battue pour faire passer ses idées et maintenir son leadership sur l’activiité politique locale. Première femme de France à occuper le poste de présidente d’un département, première femme d’Outre-mer à détenir un maroquin ministériel.
Lucette Michaux a été conseillère municipale, maire, conseillère départementale, présidente du Conseil départemental, conseillère régionale, présidente du Conseil régional, députée, sénatrice, présidente de l’EPCI Grand Sud caraïbe… secrétaire d’Etat, ministre délégué…
Qu’on l’ait aimée ou détestée, l’ancienne ministre ne pouvait laisser indifférent. C’est, retirée de la vie politique depuis deux ans, à 90 ans, que Lucette Michaux-Chevry a passé ces derniers mois avec de gros ennuis de santé. A 92 ans, elle a tiré sa révérence, sans faire de bruit sur ses derniers instants. Marie-Luce Penchard, sa fille, a veillé à ce que rien ne vienne troubler ce départ. Et surtout pas des rumeurs médiatisées.
« J’ai commencé à faire
de la politique modestement… »
Lucette Chevry est née le 5 mars 1929 à Saint-Claude. Jeune fille aux cheveux roux, elle a un fort tempérament. Elle étudie le droit, devient avocate. Elle épouse Henri Michaux, imprimeur, les époux élèvent une fille, Marie-Luce. Marie-Luce Penchard dont elle contribuera à faire une ministre (trois fois). Du jamais vu. C’était Lucette !
« J’ai commencé à faire de la politique modestement, nous disait-elle en souriant il y a quelques années. J’étais représentante des parents d’élèves quand Marie-Luce était enfant. J’ai pris goût à m’exprimer, à défendre des idées. On est venu me chercher parce que je devenais connue dans la commune de Saint-Claude. »
Conseillère générale du canton de Saint-Claude, puis maire et conseillère générale de Gourbeyre, (le canton a été créé en 1985) de 1974 à 1996, Lucette Michaux-Chevry est présidente du Conseil général en 1982.
Elle est la cible d’un premier attentat dans l’enceinte même du Conseil général. Un coup de feu. Elle en réchappe sans être blessée.
Le 8 mars 1986, à Capesterre-Belle-Eau, un cocktail Molotov est lancé sur la le balcon d’où Lucette Michaux-Chevry harangue la foule. Gérard Penchard, président de la CCI de Basse-Terre, qui est aussi son parent — le fils de Gérard Penchard est l’époux de Marie-Luce Michaux — se jette entre l’élue et le projectile. Il est grièvement brûlé au visage…
Enfin, ministre !
En 1986, Lucette Michaux devient députée, mais elle n’occupe pas son fauteuil à l’Assemblée nationale. Proche de Jacques Chirac, président du RPR et nouveau Premier ministre de cohabitation (sous la présidence de François Mitterrand), Lucette Michaux-Chevry devient secrétaire d’Etat chargée de la Francophonie.
Au conseil des ministres, elle retrouve l’ancien secrétaire général du Parti Socialiste, avec qui, avant 1981, elle avait des contacts fréquents… quand Lucette Michaux-Chevry était socialiste. Elle avait débuté sa carrière à gauche de l’échiquier politique – au Parti socialiste – et en avait démissionné pour protester contre les « ambigüités » du parti sur le statut de l’île.
François Mitterrand aime bien Lucette et Lucette apprécie le président de la République.
Ce sont deux bêtes politiques qui se reconnaissent avec leurs qualités et leurs défauts.
Lucette Michaux-Chevry est promise à de plus hautes fonctions maintenant que Jacques Chirac lui a mis le pied à l’étrier. La campagne présidentielle de 1988 est mouvementée. Lucette Michaux-Chevry fait son boulot pour rameuter les suffrages, non seulement en Guadeloupe, mais dans tout l’Outre-mer.
François Mitterrand est réélu et Jacques Chirac retourne à l’Hôtel de Ville (il est maire de Paris). Lucette Michaux-Chevry rentre en Guadeloupe. L’expérience a été belle et lui a donné des appétits.
Devenue députée le 23 juin 1988, lors du renouvellement de la Chambre, Lucette Michaux va siéger presque 5 ans, avant de passer la main à Philippe Chaulet.
Un coup de maître
pour prendre la Région
Le 27 mars 1992, par un tour politique remarquable, soutenue par une partie des anciens alliés de Félix Proto, elle devient présidente du Conseil régional. En fait, elle a fait un deal avec Dominique Larifla, qui a quitté le Parti socialiste pour créer son propre parti de gauche. Félix Proto est resté fidèle au PS. Il a perdu la Région. Cacique du RPR, Lucette Michaux-Chevry a soutenu le socialiste Dominique Larifla pour prendre le Conseil général. Un coup de maître qui la remet en piste pour la suite.
Jusqu’en 2004, Lucette Michaux-Chevry sera présidente du Conseil régional, toute puissante. Intouchable. Elle conserve son fauteuil de présidente quand Jacques Chirac l’impose pour intégrer le gouvernement d’Edouard Balladur, entre 1993 et 1995. Elle est ministre déléguée chargée de l’Action humanitaire et des Droits de l’Homme.
Lucette Michaux-Chevry est devenue une personnalité de premier plan au niveau national et dans la Caraïbe et l’Amérique centrale. Elle impose les DFA à l’Association des Pays de la Caraïbe (ACP), rencontre Castro, Mandela…
En 1995, Jacques Chirac devient président. Lucette Michaux-Chevry est conseillère spéciale du chef de l’Etat pour la zone Caraïbe et l’Amérique latine, puis sénatrice pendant quinze ans.
Dans le même temps, elle remplit son mandat au Conseil régional et devient maire de Basse-Terre. En 2004, elle est déchoukée à la Région par Victorin Lurel qui a surfé sur le référendum sur l’avenir institutionnel de la Guadeloupe. Lucette Michaux-Chevry voulait que tout change, Victorin Lurel qui rien ne bouge… Les Guadeloupéens n’aiment pas le changement. Aujourd’hui, la plupart des élus et une partie des Guadeloupéens se sont ralliées aux thèses de Lucette Michaux-Chevry.
Lucette Michaux-Chevry a perdu son pari référendaire et la Région.
Un seul échec
En 2014, elle se représente à la mairie, l’emporte, mais ne sera que simple adjointe, préférant être présidente de la Communauté d’agglomération du Sud Basse-Terre (CASBT). Marie-Luce Penchard sera maire le temps d’un mandat.
Lors des Départementales de 2015, le binôme qu’elle constitue avec Simon Barlagne, ancien maire de Saint-Claude, échoue.
En janvier 2019, Lucette Michaux-Chevry démissionne de la présidence de la Communauté d’agglomération Grand Sud Caraïbe. Elle reste adjointe à la mairie de Basse-Terre en charge des finances.
En 2020, elle redevient une citoyenne sans mandat quand Marie-Luce Penchard perd la mairie de Basse-Terre.
Depuis, Lucette Michaux-Chevry vivait une retraite paisible, recevant quelques anciens élus, quelques jeunes candidats aux dents longues…
En même temps
Lucette Michaux-Chevry la première a théorisé le concept du « en même temps » cher à Emmanuel Macron. Lucette est une adepte du double discours.
En Guadeloupe c’est la « Guadeloupe d’abord », la main tendue aux autonomistes et indépendantistes, expliquant la nécessité d’arriver à ce que les Guadeloupéens « prennent en main leurs affaires. » Et fustigeant préfets, directeur d’administrations centrales, ministres, gouvernements… Une vraie terreur !
Son parti, ce n’est par le RPR ou l’UMP — elle a toujours refusé qu’il y ait en Guadeloupe une officine de ces partis — mais « Objectif Guadeloupe » au sein duquel elle bataille contre les socialistes locaux.
En 2003, elle se lie avec les indépendantistes pour le oui au référendum portant sur l’évolution institutionnelle préconisant la substitution de la région monodépartementale en collectivité unique.
Son principal rival, c’est le socialiste Victorin Lurel qui milite pour le non et défend le statu quo. La Guadeloupe lui en sera reconnaissante l’année suivante, pour les régionales.
A Paris, la parlementaire guadeloupéenne tient un autre langage, conforme aux pensées et aux idéaux de son parti de l’époque : unité de la Nation. Elle est plus républicaine que la statue de la République !
« Ah, Lucette ! », s’écriait Jacques Chirac avec un sourire en coin chaque fois qu’il voyait Lucette Michaux-Chevry. Il n’était pas dupe.
Quand Nicolas Sarkozy vient en tournée électorale, Lucette est présente. Omniprésente même. Elle le promène partout… D’ailleurs Nicolas Sarkozy lui en sera reconnaissant.
Entendue, placée en garde à vue, condamnée…
Non, Lucette Michaux-Chevry n’ira pas, à 92 ans, se défendre d’accusations diverses devant le tribunal de Basse-Terre en septembre. L’action est éteinte.
Comme de nombreux élus qui ont été élevé à l’ancienne, au temps où, quand on était élu du peuple, on prenait des libertés avec les finances publiques, les marchés, les comptes de campagne, Lucette Michaux-Chevry a eu son lot de ce qu’on appelle « les affaires ».
Souvent mise en cause, entendue, il a fallu attendre qu’elle ne soit plus toute puissante pour qu’elle connaisse garde à vue, mise en examen… et condamnation, à 91 ans.
Du sursis pour n’avoir pas contrôlé le pompage, la production et la distribution d’eau potable polluée par du chlordécone ainsi que pour avoir pollué l’environnement par défaut d’assainissement quand elle était présidente de la CASBT. Roupie de sansonnet. Tout ça pour ça !