Dès 3 heures a.m lundi 24 avril, plusieurs quartiers de la commune de Port-au-Prince étaient sous tension. Des hommes lourdement armés ont fait parler la poudre à Debussy, Turgeau, Bois Verna, bas du Canapé-Vert, Pacot et les environs. Les résidents de la 2e circonscription étaient sur le qui-vive. Les agents des forces de l’ordre étaient sur pied de guerre.
Les affrontements entre la Police nationale d’Haïti et des individus armés se sont poursuivis jusque vers midi, entraînant des déplacements de population dans certains quartiers. Dans d’autres zones, les habitants sont restés cloîtrés dans leurs maisons sous la menace des gangs.
Des agents de la Police nationale d’Haïti ont intercepté, suite à une alerte lancée par le Centre de renseignement et des opérations (CRO), une dizaine de civils armés à l’intérieur d’un minibus dans la zone de Canapé-Vert en provenance de Pétion-Ville.
« Lors d’une fouille d’un minibus à bord duquel se trouvaient des individus armés, la Police a confisqué des armes et d’autre matériel », a indiqué la PNH sur les réseaux sociaux ce lundi, précisant par ailleurs que plus d’une dizaine d’individus qui circulaient à bord de ce véhicule ont été malheureusement lynchés par des membres de la population.
Dans une vidéo partagée par la PNH, les décomptes partiels des matériels saisis font état de trois chargeurs de gros calibre, trois pistolets, dont un de série TFW 20639 appartenant à la PNH, des munitions de différentes calibres, plusieurs téléphones portables et une carte de débit de la PNH.
Pendant toute la matinée, des images partagées sur les réseaux sociaux ont montré des femmes et enfants de Cité Gabriel qui défilaient à vive allure fuyant leur quartier de résidence à Turgeau. Pieds nus, sacs en main, enfants sur les bras, certains résidents n’ont pas eu le temps d’emporter quoi que ce soit; ils n’avaient que leurs vêtements.
« Les bandits sont entrés chez nous et ont demandé de l’argent. Certains d’entre eux ont menacé de nous exécuter s’ils ne trouvaient pas ce qu’ils voulaient. On a dû nous échapper par la fenêtre », témoigne une dame au micro d’une agence en ligne.
« Ils ont envahi Debussy vers 2 heures du matin. Ils ont utilisé des mégaphones pour nous faire savoir qu’un certain commandant Manno les avait envoyés installer un chef de gang dans la zone », a rapporté à l’agence en ligne un résident.
En milieu de journée, au moment de la rédaction de cet article, il était impossible de donner un bilan précis de la situation. Les zones de Turgeau, Debussy et les environs étaient encore sous tension.
Ce climat de tension a paralysé les activités scolaires et de transport en commun au niveau de plusieurs quartiers au centre-ville de Port-au-Prince.
Le RNDDH a réagi
Le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) a publié un communiqué sur les attaques armées visant les quartiers depuis le début de l’année 2023. L’organisme de défense des droits humains a dit constater une intensification de ces raids dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite. Ce qui, selon le RNDDH, occasionne entre autres l’assassinat de plusieurs centaines de personnes et le viol collectif de plusieurs dizaines de femmes et de filles.
« Pernier, Marlique, Diègue, Meyotte, Cargo, Tunnel, Thomassin, Laboule, dans la commune de Pétion-ville ; Bérette, Calebasse, Fort-Jacques, dans la commune de Kenscoff ; Marché Salomon, Cité Soleil, Bel-Air, Caradeux, Solino, Delmas, dans les communes de Port-au-Prince et de Delmas ; Source Matelas, dans la commune de Cabaret, Onaville, dans la commune de la Croix-des-Bouquets, ainsi que les communes de Liancourt, de Verrettes, de Petite-Rivière de l’Artibonite et de Montrouis : les bandits armés prouvent, si besoin en était, qu’ils opèrent où ils veulent et qu’ils prennent le contrôle de toutes zones qui les intéressent », fait remarquer l’institution.
Plus loin, le RNDDH est revenu sur les différentes attaques qui ont visé des quartiers à Port-au-Prince, à Pétion-Ville, à Cabaret ou encore à Liancourt.
« Entre le 28 février et le 5 mars 2023, Bel-Air a été le théâtre de violents affrontements armés entre les gangs armés membres du G-9 an Fanmi et Alliés et le gang de Bel-Air, respectivement dirigés par Jimmy CHERIZIER alias Barbecue et Kempès SANON. Au cours de ces heurts, Cent-quarante-huit (148) personnes ont été assassinées ou sont portées disparues. Trois personnes sont blessées par balles, au moins soixante-deux maisons ont été incendiées et vingt-six autres maisons ont été pillées et/ou incendiées. Au moins deux femmes sont victimes de viols collectifs », soutient l’organisation.
« Dans la nuit du 19 au 20 mars 2023, des hommes lourdement armés dirigés par le chef de gang Vitelhomme Innocent ont mené une attaque armée contre les localités de Cargo et de Tunnel. Ils avaient accusé la population de ces deux localités d’avoir exécuté certains de leurs acolytes. Au cours de cette violente attaque, au moins neuf personnes ont été tuées. Les cadavres de six d’entre elles ont été calcinés. Quatre parmi les victimes, dont le chauffeur, se trouvaient dans une camionnette. […] Le 31 mars 2023, des bandits armés de la base Kraze Baryè dirigés par Vitelhomme Innocent ont attaqué les localités de Bérette, Calebasse et de Fort-Jacques. Cette attaque armée a été menée contre la population de Fort-Jacques qui, dans la matinée du 31 mars 2023, avait aidé la Police nationale d’Haïti (PNH) à déjouer un enlèvement. Au cours de cette tentative d’enlèvement, un véhicule a été incendié, une arme à feu saisie et un présumé bandit a été lynché par des membres de la population. Dans l’après-midi du 31 mars 2023, une centaine de bandits sont revenus à Fort-Jacques balayant dans leur parcours, les localités avoisinantes de Bérette et de Calbasse, y ont incendié des maisons et des véhicules et ont exécuté plusieurs membres de la population », détaille le RNDDH.
S’agissant de Cité Soleil, l’organisation indique que des affrontements entre bandes armées du 14 au 19 avril 2023 ont occasionné la mort de 71 personnes. Elle croit toutefois que le bilan exhaustif de cette énième attaque dans la commune de Cité Soleil, ne peut être établi. A Cabaret, le RNDDH souligne que des bandits armés, dirigés par les chefs de gangs Jeff Larose et Jean Auguste Cherismé alias Général Bogi, et bénéficiant du support du gang armé dirigé par Johnson André alias Izo 5 secondes, ont mené une attaque contre le quartier de Source-Matelas le 19 avril dernier.
« Le bilan le plus complaisant des raids menés depuis le 19 avril 2023 à Source-Matelas, fait état d’au moins une centaine de personnes assassinées dont plusieurs étaient emprisonnées dans les maisons auxquelles les bandits armés avaient mis feu et de dizaines de personnes blessées par balles », a établi l’organisation dans son communiqué.
Le RNDDH a aussi déploré les attaques visant les quartiers de Debussy, haut Turgeau, Solino, etc. ce lundi 24 avril. S’il n’est pas en mesure de communiquer un bilan partiel, il indique toutefois que des coups et blessures ont été administrés contre des membres de la population. L’organisme de défense des droits humains a condamné ces attaques, tout en demandant aux autorités d’agir.
« Le RNDDH condamne avec véhémence le climat de terreur instauré et maintenu dans le pays par ceux-là même qui doivent protection à la population haïtienne. Il est clair que les bandits armés, protégés par la coalition politique au pouvoir, ont reçu carte blanche pour s’en prendre à la population civile livrée à elle-même. Le RNDDH croit qu’à ce stade, la politique du mutisme du gouvernement de facto n’est plus de mise. Les autorités étatiques doivent des explications à la population haïtienne sur l’intensification de ces attaques armées simultanées et les mesures prises en vue de ramener l’ordre dans le pays en général, et dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite en particulier », peut-on lire dans ledit communiqué.