À la 28e édition de Livres en Folie, le couple Cliford et Gaëlle Jasmin signe un beau livre Tout sur la danse compas / konpa Danse sociale d’Haïti.
Ce matériel pédagogique à la gloire du konpa et qui met ce patrimoine national sur ses deux pieds est un événement à la grande messe du livre. Retenez bien, journalistes, opérateurs culturels, étudiants, citoyens, cette date mémorable : le jeudi 16 juin 2022, le couple de danseurs, Cliford et Gaëlle Jasmin ont signé à Livres en Folie Tout sur la danse compas / konpa Danse sociale d’Haïti. Ce matériel pédagogique, cette boussole est le livre de l’enseignant, l’outil nécessaire pour toutes celles et ceux qui veulent bouger selon les règles de l’art sur une piste de danse.
Le konpa, comme toute danse sociale, a une écriture. Cette konpagraphie élaborée par ce couple qui a initié le premier concours de danse konpa, en Haïti, Konpa Danse Challenge (KDC), nous surprend au moment où l’on ne s’y attendait pas. Clifford et Gaëlle ont couché dans un livre les fondamentaux de cette danse locale.
Les fondamentaux qui confèrent au konpa sa singularité
« Les fondamentaux de la danse konpa sont les éléments caractéristiques qui permettent de la définir et lui confèrent sa singularité. »
Prenons le temps d’approcher l’écriture à quatre mains de ces maîtres. Avant tout, une question. Comment fonctionne le konpa?
« Le konpa fonctionne comme une marche en rythme, selon le principe d’alternance des appuis. Dans le cas du konpa, le rythme de base est binaire (1 – 2, 1 – 2), comme dans une marche militaire appuyant tous les temps de la mesure. Il est recommandé que les danseurs en apprentissage commencent par maîtriser correctement la marche en rythme dans toutes les directions, en transférant franchement le poids du corps avec assurance, en rythme sur différents styles de musique konpa, ainsi que sur des tempos différents, du lent au rapide. »
Quand on danse le konpa sur une piste, on veut bouger, on veut la fusion des corps, mettre en action le bassin. Alors, Men gouyad. De tout temps, les aînés se rappelleront que la sensualité est intimement liée à cette danse que les couples de danseurs adorent lorsque toutes les lumières sont éteintes.
« Le konpa reprend parfaitement à son compte le mot de Desproges « La danse est l’expression à la verticale, d’un désir horizontal. » Men ni ! « La danse konpa, en tant que danse de couple, est une conversation corporelle entre deux personnes, stimulées par la musique. » On ne dira pas le contraire. Ce couple, qui promeut le konpa sous tous les cieux, estime que « danser à deux implique, dans son principe même, que les partenaires acceptent d’évoluer ensemble, de façon harmonieuse, ne serait-ce que l’espace de la danse. Les deux corps en mouvement s’harmonisent, s’accordent, voire s’épousent. Dans le cas de la danse konpa, particulièrement sensuelle, la conversation peut aisément prendre une tournure intimiste et favorise, de ce fait, une complicité poussée, du moins sur le plan corporel, entre les danseurs. »
Arrêtons-nous là à cette connexion mentale, physique de ces corps qui bougent dans le temps et l’espace. Revenons à notre « konpagraphie ».
Le bougé de base du konpa
L’ouvrage pédagogique écrit noir sur blanc : « Le bougé de base de la danse konpa est caractérisé par le double mouvement de verticalité et d’horizontalité, dû au relâchement du bassin et à l’alternance des appuis. Rythmiquement, le relâché de la hanche s’amorce sur le demi-temps, juste avant l’appui sur le temps, qui reçoit le poids du corps pour aussitôt repousser celui-ci à partir du sol, le faire passer sur l’autre appui, et ainsi de suite d’un pied à l’autre, selon des séquences de pas binaires. »
Mais certains canards boîteux sur la piste confondent les mouvements. Que doit-on leur dire ? « Il nous faut donc, dans notre façon d’écrire, faire la différence entre : la rythmique de base et les pas syncopés. La rythmique de base : « & 1 – & 2 – & 3 – & – 4 » où le « & » correspond au mouvement de relâché de la hanche qui précède l’appui sur le temps. Et les pas syncopés « 1 et 2 et 3 et 4 ». Le « et », cette fois, correspond à un appui sur le demi-temps.»
Définitivement, il faut ouvrir ce livre pour retrouver les concepts de demi-temps, temps « 1 », temps « 2 » et les variations rythmiques comme le « Dodo mea » ou rythme ralenti. Le pa méringue, le pa guaracha, le pa kongo ; sans oublier un ensemble de postures de notre konpa : kanpe lwen, anbwate, ploge, men nan man ak de men, men nan men ak yon men, lage.
Pour le « Dodo mea », on apprendra avec ces experts dans les danses sociales de la Caraïbe, que « c’est un ralentissement de pas sur la musique par rapport au pas de base. On reste pratiquement 2 temps sur le même pied, pendant qu’on dessine un demi 8 avec le bassin sur chaque appui. La hanche bouge suivant un arc de cercle de l’avant vers l’arrière en passant par le côté. Et les pas syncopés ou rythme accéléré. Lorsqu’on exécute des pas syncopés, on accélère les appuis sur la musique par rapport au rythme de base. On va, du coup, marcher sur le demi-temps, entre les temps. Les séquences des pas deviennent trinitaires. »
Dans la galerie de nos danseurs, on peut estimer avec toute la fierté de l’âme que Cliford et Gaëlle Jasmin ont donné le meilleur à Haïti. Sous cet aspect-là, imaginez qu’au lieu de nous inventer toutes sortes de problèmes, de turpitudes, nous arrivons à canaliser notre énergie dans le bon sens, qu’arriverait-il ? L’autre face du versant ténébreux d’Haïti verrait le jour.
On se souviendra que les troubles sociopolitiques n’ont jamais démoralisé l’association Ayitidans, structure que le couple a co-fondé avec Aly Acacia pour organiser le concours national de danse konpa. Peyi lòk sou peyi lòk, lòbèy sou lòbèy. C’était navrant. Et l’épidémie de covid-19 a pointé son nez dans l’aventure de Konpa Danse Challenge. Ils ont tenu bon. Mais on ne savait pas que les Jasmins avaient un matériel pédagogique en chantier.
À Livres en Folie, pari tenu : le konpa se tient bien debout sur ses deux jambes : la musique et la danse. De janm! kite konpa mache, kite konpa trase chemen l nan tout sans, pour aller au bout du monde.
Source : Le Nouvelliste