Du Champ de Mars au marché Salomon, en passant par la rue Magloire Ambroise; de la ruelle Chavannes à la rue Capois, jusqu’à la rue Cameau, la vie commence progressivement à reprendre ses droits. Parallèlement, les institutions de formation au centre-ville de Port-au-Prince se transforment en de vieux squelettes, et l’Hôpital général est isolé, bordé de rues désertes.
Depuis le 29 février 2024 jusqu’à la fin du mois d’avril, la guerre des gangs avait tout repoussé au centre-ville de Port-au-Prince, tel le ressac d’une mer en furie. Les principales institutions et entreprises sont logées dans des locaux ou espaces improvisés, mal entretenus quand elles ne sont pas tout simplement fermées; une partie de la population s’est ruée vers des villes de province tandis que d’autres se sont retrouvées dans des camps de déplacés. La vie avait fui la ville.
Le lundi 23 septembre 2024, c’est un autre tableau qui se dessine depuis Bois Verna jusqu’au Champ de Mars. Déjà à l’intersection avec la rue Duncombe, il y a un embouteillage monstre jusqu’au carrefour Tifou. Des petits commerces de rien du tout, des garages tout le long de la chaussée, un camp de déplacés dans l’ancien bâtiment du ministère de la Communication et des articles divers exposés çà et là.
« Oui, on peut parler d’une reprise des activités. La semaine dernière, j’ai réparé le système de climatisation de 7 véhicules en une journée, cela n’était pas arrivé depuis décembre 2023 », soutient un technicien spécialisé dans la climatisation des véhicules à Bois-Verna.
Jusqu’au mois de juillet, l’espace vital s’était limité pour beaucoup au carrefour Tifou. En cette fin du mois de septembre 2024, beaucoup de véhicules de transport en commun et privés ont traversé cette zone- où l’on peut constater presque en permanence la présence d’un blindé- pour arriver jusqu’au Champ de Mars.
Des curieux, quelques sportifs, des passagers qui font passer le temps, les barbecues, des petits commerçants, le transport en commun, tout y est au Champ de Mars le lundi 23 septembre 2024. Les gens, en tout cas, y sont. Les entreprises et les institutions, pas encore.
Les propriétaires des minibars qui faisaient la gaieté et la beauté du Champ de Mars sont encore dans l’expectative.
« Je ne peux pas envisager une réouverture pour l’instant, mais on se prépare. On entend toujours des détonations autour de la zone, on attend une annonce forte avant de reprendre nos activités », lâche le propriétaire d’un minibar présent sur les lieux qui pense que les évènements du 29 février 2024 ont provoqué un traumatisme qui rend difficile toute tentative de recréer de l’ambiance au Champ de Mars.
« Par rapport à l’ampleur des dégâts et des pertes, il ne suffit pas de faire quelques opérations. Il faut un signal fort, des arrestations ou l’établissement d’une base au centre-ville pour repousser les bandits et redonner confiance à la population et aux entrepreneurs », poursuit ce propriétaire, qui dit observer une évolution de la situation dans le bon sens depuis une semaine.
Entre la ruelle Chavannes et la rue Capois jusqu’à la rue Dr Audain, la circulation est dense. Difficile de traverser: un bar par-ci, une pharmacie par-là, un petit restaurant au milieu, les entreprises commencent à revenir dans cette partie du centre-ville. Les autobus font le va-et-vient à la recherche de passagers. La police nationale interdit le stationnement, mais en vain.
« Je te donne une chance, mais c’est la dernière », dit un policier scotché sur sa motocyclette à un chauffeur qui stationnait pour prendre quelques passagers en direction de Clercine. Il lui remet son permis de conduire et fait un signe de la main à un autre chauffeur pour débloquer la circulation.
Cependant, tout se déroule dans un périmètre réduit. Comme s’il y avait une consigne.
De la rue Capois à la rue Lafleur Ducheine, les activités s’amenuisent jusqu’à s’estomper au profit de tas d’immondices sur la chaussée à la rue Cameau.
Même constat à la rue Magloire Ambroise, la chaussée est colorée d’une épaisse couche de poussière blanchâtre; aucun signe de vie depuis l’intersection de la rue Oswald Durand et la rue Saint-Honoré jusqu’au lycée Toussaint qu’on peut voir depuis le Champ de Mars.
L’Hôpital général isolé
Au milieu de ce contraste, le plus grand centre hospitalo-universitaire est fermé, isolé comme dans une île déserte. Fermé depuis 7 mois avec une centaine de résidents désormais sans lieu de formation, le bâtiment de l’HUEH est troué de balles, les salles de consultation et d’hospitalisation ressemblent à des cellules de prisons. Quelques rongeurs font une randonnée le long du couloir principal comme pour signifier qu’un retour à la normale n’est pas pour demain.
Depuis le 29 juillet 2024, l’Hôpital général est sorti par la petite porte du débat public.
Une visite du Premier ministre Garry Conille avec un journaliste de CNN avait failli tourner en catastrophe: des bandits avaient ouvert le feu en direction des forces de l’ordre présentes pour sécuriser l’espace.
Entre-temps, l’Hôpital universitaire de la Paix, seul hôpital universitaire fonctionnel de l’aire métropolitaine est, régulièrement, dépassé par l’afflux de patients qui sollicitent ses services.
Le ministre de la Santé publique et de la Population annonce un renforcement du personnel de cette institution en vue de faire face à cette situation quasi intenable. D’aucuns pensent que cela n’aidera pas à résoudre le problème encore plus fondamental d’insuffisance du nombre de lits.
« Environ 31 institutions sanitaires sont dysfonctionnelles depuis le 29 février 2024 », avait annoncé la direction d’organisation des services de santé en avril dernier. L’insécurité étant la principale cause. Depuis, aucune annonce de réouverture n’a été faite.
Les institutions de formation se trouvant au centre-ville, dont les facultés de l’Université d’État d’Haïti se débrouillent avec les moyens du bord.
Les étudiants de la faculté de médecine et de pharmacie suivent des cours entre le local de l’Association médicale haïtienne à l’avenue du Travail et l’hôpital de Turgeau, le service d’oncologie de l’hôpital Saint-François de Sales est logé depuis à l’hôpital de Turgeau et certaines cliniques privées réputées se fraient une petite place à Pétion-Ville.
Par rapport aux mois précédents, le centre-ville de Port-au-Prince est plus près d’une reprise des activités qui le caractérisent notamment dans le commerce, mais toujours très loin d’un retour à la normale. En attestent les détonations sporadiques qui semblent provenir de la zone avoisinant le stade Sylvio Cator.
Source : Le Nouvelliste