Haïti. Se rendre dans le grand Sud, qu’est-ce que cela coûte ?

Tiburon, ville côtière située dans le département du Sud, est à plus de 200 km de Port-au-Prince. Se rendre dans cette ville en temps normal, c’est l’affaire d’une journée. Pourtant pour s’y rendre en janvier 2025, James passera plus de vingt-quatre heures en route, en raison des conditions de voyage.

James quitte sa maison à Port-au-Prince à 7 heures a.m., le lundi 13 janvier 2025, pour aller à Tiburon. Le voyage s’annonce un vrai périple, mais James s’y est préparé. Pour ce jeune professionnel comptable, passer à Martissant c’est no way. Il décide de bifurquer par le morne Ka Jacques.

De sa maison, James prend un tap-tap, direction Pétion-Ville. De là, un minibus le dépose à Kenscoff. Le coût du trajet est de 125 gourdes. « Arrivé à Kenscoff, j’ai trouvé des motocyclettes qui assurent le trajet jusqu’à Jacmel. Le prix du trajet ? 7 500 gourdes », raconte James. Si certains préfèrent qu’un motocycliste les transporte au morne Ka Jacques, puis de Ka Jacques à Jacmel, James a jugé bon de faire tout le trajet avec un seul motocycliste.

La route est sinueuse et dangereuse, la prudence doit être maximale. En temps de pluie, elle est glissante et boueuse. James a fait l’expérience de la poussière. « La route est vraiment poussiéreuse », témoigne-t-il, rapportant des travaux visant à améliorer les conditions de voyage de ceux qui empruntent cette route. En plus des motocyclettes, James dit avoir remarqué sur la route certaines voitures, propriété d’organisations non gouvernementales. « Au morne Ka Jacques, par endroits, il faut descendre de la motocyclette pour la reprendre une fois qu’elle aura passé l’obstacle », signale James.

Après tant de péripéties, James parvient à atteindre Jacmel. Sans se soucier de la fatigue, un autre motocycliste le transporte à Dufort pour 1 500 gourdes. À peine arrivé à Dufort, James saute dans un bus pour les Cayes; il a payé 1 500 gourdes. Au final, après treize heures de voyage mouvementé, James arrivera aux Cayes à 20 heures. Décompte après cette première partie du voyage, 10 625 gourdes. « Autrefois pour me rendre aux Cayes, j’avais l’habitude d’y aller en bus, le prix du trajet était de 2 500 gourdes », se souvient James.

Sauf que la ville des Cayes n’est qu’une étape avant sa destination finale. Il y passera la nuit, avant d’embarquer au petit jour dans le bus qui l’emmènera à Tiburon. Les frais de transport s’élèvent à 6 000 gourdes. Des Cayes à Tiburon, le bus roulera pendant près de quatre heures.

Au final, de Port-au-Prince à Tiburon, le coût du transport est de plus de 16 500 gourdes. Il doit débourser le même montant au retour. En ces temps où les postes de péage se multiplient sur les routes, James dit avoir compté pas moins de cinq postes de péage sur la route passant par le morne Ka Jacques. « Ce sont des postes installés par des riverains qui réclament une cotisation volontaire pour améliorer la route. Par endroits, certains riverains se montraient violents dans leurs propos », raconte James. Après trois postes de péage, c’est lui qui mettra la main à la poche pour payer devant le refus du chauffeur de verser ladite cotisation. À chaque poste, il a payé au plus 150 gourdes

Sur cette route très fréquentée au quotidien, James ne se souvient pas d’avoir vu un centre hospitalier dans les parages alors que les risques d’accident sont élevés. « Je ne me souviens pas avoir vu l’ombre d’un policier sur le trajet Ka Jacques – Jacmel », conte James. Contrôle zéro. Des motocyclettes sans plaque. Des chauffeurs sans permis de conduire. Personne ne se préoccupe de ces anomalies.

Observateur avisé, James tire la sonnette d’alarme sur le risque de glissement de terrain. « En période pluvieuse, certaines parties de la route risquent de s’effondrer. Il y a des tronçons sur la route où les falaises dominent sur les deux flancs du morne et où deux véhicules ne peuvent se croiser », souligne James.

Antoine a lui aussi fait l’expérience du morne Ka Jacques. Originaire de Mapou, section communale de Belle-Anse, dans le département du Sud-Est, ce jeune homme, comme James, alerte sur les dangers de cette route. « Durant le trajet, je me suis plaint de l’état de la route et plusieurs personnes m’ont fait comprendre qu’il y a eu une amélioration. Généralement, sur les routes montagneuses, les falaises dominent un seul flanc, ce qui n’est pas le cas dans cette zone. À certains niveaux, les falaises bordent les deux côtes de la montagne », s’étonne Antoine. Le jeune homme indique qu’en raison des sources qui coulent, des tronçons de la route sont toujours boueux.

Lors des fêtes de fin d’année, Antoine a dû passer par le morne Ka Jacques pour revoir ses parents qui habitent Mapou. Plus qu’un simple voyage, son périple ressemble à un parcours du combattant. « De Kenscoff étant, il m’a fallu 2 500 gourdes pour traverser le morne. On m’a mis à tèt Ka Jacques », explique Antoine.

Ensuite, Antoine dit avoir marché une demi-heure avant de payer un autre chauffeur pour l’emmener à son Mapou natal. La chance lui sourit, il retrouve là une vieille connaissance qui lui propose de le transporter à un coût réduit. Au lieu des 7 500 gourdes payées par les autres voyageurs, il ne paiera que 3 000 gourdes.

« J’ai dénombré 18 postes de péage de Ka Jacques à Mapou. Les individus qui tiennent ces postes, armés de bâtons et de machettes, insistent pour qu’on paye, sinon on ne pourra pas continuer la route », rapporte Antoine. Après six heures de voyage, Antoine parvient à rejoindre ses parents à Mapou.

La dernière fois qu’il s’était rendu à sa ville natale, c’était en 2019. À ce moment-là, il avait emprunté la route nationale passant par Fond-Parisien. Le prix du transport était de 750 gourdes. Aujourd’hui, il faut 10 000 gourdes pour se rendre à Mapou et une force athlétique et mentale pour affronter la route.

John qui, lui, habite Bizoton, s’est rendu aux Cayes pendant la période des fêtes de fin d’année. Parti de son domicile le 24 décembre 2024, dans l’après-midi, il s’est rendu à la station de Saint-Charles. En raison du refus des chauffeurs de se rendre à Gressier depuis l’installation des bandits dans cette zone, c’est par Degan qu’a dû passer John pour se rendre d’abord à Léogâne pour 2 500 gourdes.

« Il a plu la veille de mon voyage et la route était boueuse, ce qui a compliqué la donne », confie John, qui a mis quatre heures pour atteindre la cité d’Anacaona. John a compté trois postes de péage. « À des pentes raides, je suis descendu de la motocyclette pour gravir le morne à pied », relate John.

Arrivé à Léogâne à 21 heures, où il apercevra les premiers agents de police, John est monté dans un minibus en direction des Cayes pour 1 500 gourdes. Au total, il dépensera 4 000 gourdes pour atteindre les Cayes depuis la commune de Carrefour.

Atteindre le grand Sud depuis le département de l’Ouest se révèle être un challenge en termes d’argent, de temps, de fatigue pour les voyageurs. Les coûts peuvent décupler si les voyageurs ont des bagages. Depuis le contrôle total des bandits sur Martissant puis sur Gressier, voyager vers le Sud n’est plus un exercice facile.

Ce blocage semble loin d’être levé devant le peu d’initiatives de l’État. En milieu de semaine, des membres de l’exécutif, dont le président Leslie Voltaire, se sont rendus à Jacmel pour accueillir le président colombien Gustavo Petro, qui était en visite au pays pour quelques heures. En vue d’éviter les obstacles Martissant et Gressier, ils ont tous voyagé par hélicoptère, alors qu’en parallèle la population doit arpenter pendant des heures les mornes de Ka Jacques ou de Degan, à ses risques et périls, pour atteindre le Sud du pays sans risquer de croiser les bandits armés.

Source : Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/252697/se-rendre-dans-le-grand-sud-quest-ce-que-cela-coute

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