Les locaux de la Radio Télévision Caraïbes (RTVC) à la rue Chavannes, à Port-au-Prince, ont été incendiés dans la nuit de mercredi 12 à jeudi 13 mars 2025. Cette attaque survient alors que dans la nuit du mercredi 12 mars, la Police nationale d’Haïti (PNH) a repoussé une attaque des bandits qui ont tenté d’envahir certains quartiers de Carrefour-Feuilles et la rue Capois.
« DG, ils ont incendié la radio », entend-t-on sur une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux dans la matinée du jeudi 13 mars 2025. Cette vidéo de 27 secondes montre la façade du bâtiment de la RTVC, noircie par les flammes. « Je ne devrais même pas me tenir là où je suis pour tourner cette vidéo. Je ne sais pas où ils se cachent maintenant, ils peuvent me tirer dessus », répète celui qui tourne la vidéo, la voix morne, alors que l’on pouvait apercevoir de la fumée sortant du bâtiment de cette station de radio, la plus ancienne émettant à Port-au-Prince, qui célèbrera ses 76 ans en juin 2025.
La nouvelle de cet incendie a été confirmée au cours de la matinée par des journalistes de l’institution lors de l’édition du journal « Premye okazyon ». « C’est une mauvaise nouvelle pour la RTVC, car les bandits armés ont incendié les locaux de la radio. Les images visionnées ont montré les flammes qui ravagent les locaux », a confirmé Guerrier Dieuseul, directeur des informations et journaliste à la RTVC.
Joint en milieu de journée par le journal, Michel Joseph a confié que les employés sont « sous le choc » en apprenant la nouvelle.
« Il ne s’agit pas seulement de la RTVC, c’est l’espace dans son ensemble qui est un patrimoine et qui revêt cette dimension symbolique. Il y a un an, on a été contraint d’abandonner ce bâtiment où nous avons tissé des liens de franche camaraderie et créé des souvenirs. Maintenant nous sommes tous choqués de constater l’incendie », a déclaré Michel Joseph, qui anime depuis une décennie déjà l’édition de journal « 19-20 » à la Radio Caraïbes.
Michel Joseph dit considérer cette attaque contre l’édifice de la RTVC comme une « menace en plus [contre ma presse] » et dit voir dans cette attaque la volonté des bandits de ne pas reculer dans leurs entreprises.
« J’ai toujours cru qu’ils n’allaient pas attaquer les locaux de la RTVC. Attaquer ce média, c’est s’en prendre à un symbole et c’est aussi s’attaquer à l’âme de chaque employé de l’institution », a commenté Michel Joseph qui, au moment de l’entrevue avec le journal, n’a pas pu fournir de bilan sur les dégâts causés par l’incendie. Se rendre aux locaux de la radio était toujours impossible en milieu de journée en raison des attaques des gangs armés dans les parages de la radio.
Fondée en 1949, la radio Caraïbes, plus tard RTVC, s’est établie comme l’un des médias les plus suivis par les Haïtiens. La rue Chavannes où elle s’est implantée, était devenue un espace de rencontre entre animateurs, journalistes de la radio et le public. Son anniversaire célébré à chaque mois de juin rassemblait des milliers d’auditeurs et spectateurs amis de la radio pour des festivités grandioses.
Depuis un an, la direction de la RTVC a quitté son bâtiment à la rue Chavannes pour se réfugier à Pétion-Ville. Cette décision a été prise alors que les gangs armés étendaient de plus en plus leurs tentacules sur Port-au-Prince et sont parvenus à occuper plusieurs quartiers limitrophes des locaux de la radio.
« Cela fait 76 ans que la RTVC logeait à la rue Chavannes et ce matin certains ont cru que la meilleure chose à faire c’était d’incendier les locaux de cette institution », s’est désolé Frantz Duval, rédacteur en chef du quotidien Le Nouvelliste, alors qu’il commentait l’éditorial du Nouvelliste à la matinale de Magik9. « La presse continue d’encaisser les coups », a déploré M. Duval, qui a salué le courage de toute l’équipe de la RTVC.
Même si la RTVC a dû laisser ses locaux pour la sécurité de ses journalistes et de son personnel, Frantz Duval a rappelé que « le bâtiment restait une institution ». Le rédacteur en chef du Nouvelliste a également noté qu’au quotidien des parties de Port-au-Prince sont vidées de leurs résidents et sont abandonnées en raison des invasions des bandits.
« Le cancer progresse à Port-au-Prince : de plus en plus de zones, de quartiers, de ruelles et de maisons sont désertés, et de plus en plus d’institutions disparaissent avec leur mémoire, avec tout ce qu’elles représentent dans l’histoire du pays », a lâché M. Duval.
Que ce soit des albums de famille laissés derrière soi par les déplacés ou des archives officielles et médiatiques parties en fumée lors des attaques, le constat est le même, selon le rédacteur en chef du plus vieux quotidien du pays. « Ce sont des souvenirs que nous perdons. C’est notre humanité que nous perdons. C’est notre histoire que nous perdons », a conclu celui-ci.
Comme l’a rappelé Frantz Duval, la presse haïtienne est victime des attaques à répétition des gangs armés. Il y a presqu’un an, les locaux du Nouvelliste à la rue du Centre ont été vandalisés.
« La direction du journal Le Nouvelliste informe le public en général que des individus non identifiés ont investi depuis plusieurs jours les locaux du quotidien situés à la rue du Centre, à Port-au-Prince. Ils en ont profité pour vandaliser les équipements, emporter le mobilier et les matières premières nécessaires à l’impression du journal », avait notifié le doyen de la presse haïtienne dans son édition du jeudi 25 avril 2024.
Le gouvernement a réagi face à cette attaque contre la RTVC. Sur le compte X de la primature, le gouvernement dit condamner « avec la plus grande fermeté l’attaque criminelle perpétrée contre les locaux de la RTVC ». Pour la primature, cet « incendie volontaire » d’un média traduit « une tentative désespérée des bandits armés d’intimider ceux qui œuvrent pour informer la population », et promet que cet acte ne restera pas impuni.
L’Association nationale des médias haïtien (ANMH) s’est dit « abasourdie » par la nouvelle de cet incendie et a condamné « sans réserve » un « acte infâme qui consacre la continuité du chaos ambiant produit par les bandits ».
« Les médias qui sont au service de la population dans une dynamique garantissant la liberté d’expression et l’accès à tous au droit de parole, doivent bénéficier de la protection des pouvoirs publics qui ont le devoir de garantir la continuité de ce gain fondamental, acquis démocratique essentiel de la transition démocratique », lit-on dans la note de l’ANMH, dans laquelle, elle a exprimé sa solidarité avec la direction de la RTVC.
Source : Le Nouvelliste