Les gangs poursuivent leur siège des populations, du Caribbean Port Services (CPS) et du terminal pétrolier de Varreux. Le spectre de pénurie de toit susceptible d’aggraver la crise humanitaire est redouté sur fond d’aggravation de l’insécurité alimentaire. Près de 5 millions d’Haïtiens et d’Haïtiennes ne mangent pas à leur faim. 1,64 million sont en situation d’urgence alimentaire, la phase précédant la famine.
Le Caribbean Port Services (CPS) n’a reçu aucun navire depuis le 5 mars 2024, a confié une source interrogée par Le Nouvelliste. La compagnie a rétabli l’électricité nécessaire pour les containers réfrigérés après la brèche ayant donné lieu au pillage de certains containers.
La source interrogée ce vendredi 23 mars par le journal, plus de deux semaines après le 5 mars, s’inquiète du « spectre de pénuries de tout ».
La situation à CPS arrive dans un contexte déjà difficile, marqué par des opérations maritimes par intermittence depuis fin 2023, de réduction, déjà, d’environ 50 % des navires à accoster en Haïti à cause de l’insécurité, a poursuivi cette source.
« Si cela continue, nous risquons de crever de faim », a renchéri une autre source proche d’une des compagnies pétrolières. La capitale est assiégée par les bandes armées. Les produits alimentaires ne peuvent pas sortir facilement de la province, poursuit cette source. La situation a un impact terrible. Si le terminal ne reprend pas ses opérations, on s’achemine vers une « catastrophe », s’inquiète Bernard Chauvet, responsable de Industrial Dynamic, l’un des plus importants producteurs d’oxygène.
« Je ne peux pas envoyer mes bonbonnes d’oxygène en Floride. Même lorsqu’on pourra le faire, le temps d’attente est de deux à trois semaines », a-t-il dit. « Cette situation vous dit que vous ne pouvez pas tomber malade », déplore Bernard Chauvet.
Le Dr Ronald Laroche, responsable de DASH et l’un des responsables de l’Association des hôpitaux privés d’Haïti, a une nouvelle lancé un cri d’alarme au moment de souligner, une fois de plus, qu’il y a un épuisement de pratiquement tous les intrants nécessaires au fonctionnement d’un hôpital. Il attend des données sur l’accès à l’eau, à l’électricité, à l’oxygène et au carburant des 40 hôpitaux membres de cette association pour avoir un update. Sans détour, compte tenu des difficultés à trouver des intrants, le Dr Laroche a indiqué que la situation ressemble à celle d’un pays sous embargo.
Le Dr Jean William Pape des Centres Gheskio a anticipé, en localisant 17 centres à travers le pays pour poursuivre la fourniture de soins et médicaments aux patients porteurs du virus du Sida et aux tuberculeux. « Il y a d’autres problèmes. Nos malades meurent des complications liées à des maladies cardiovasculaires dont l’hypertension et le diabète », a expliqué le Dr Pape, qui déplore des difficultés pour accéder à des médicaments, dont des calmants pour ces patients, plus de 3 000, soignés en partenariat avec le Collège Haïtien de cardiologie.
Beaucoup d’Haïtiens et d’Haïtiennes meurent non pas de crises cardiaques mais de défaillances cardiaques souvent provoquées par l’hypertension artérielle, a expliqué le Dr Pape, qui travaille à tenir sa promesse de rouvrir les centres Gheskio au Bicentenaire après la libération au bout de plusieurs mois de captivité de son fils par ses ravisseurs.
Le Dr Jean William Pape a souligné que la faim gagnait du terrain en Haïti. Le taux de malnutrition a considérablement augmenté, a-t-il dit. « Nous sommes dans une situation de total désespoir. Il faut voir comment redonner l’espoir », a indiqué Dr Pape, estimant que les Haïtiens et les Haïtiennes doivent assumer leurs responsabilités dans ce qui arrive au pays et agir vite pour sortir de cette crise, au profit de la population.
« Nous battons les mauvais records en Haïti », a regretté à Le Nouvelliste Wilhem Lemke, président de l’Association des industries d’Haïti (ADIH), lui aussi très préoccupé sur l’impact de la situation du Caribbean Port Services (CPS) sur l’industrie en générale et l’industrie de la sous-traitance textile en particulier.
« C’est la catastrophe pour les usines qui ne peuvent pas exporter les produits confectionnés ni accéder à la matière première », a-t-il indiqué, craignant de nouvelles pertes d’emplois dans le secteur et des devises pour Haïti.
Il a souligné que l’image et la réputation étaient difficiles à construire. Lorsqu’elle en prend un coup, il est difficile de redorer son blason. Cependant, Wilhelm Lemke a évoqué des efforts pour sortir la tête de l’eau.
Le contrôle exercé par les gangs impacte le terminal pétrolier de Varreux. Du 29 février au 11 mars, nous n’avons pas pu travailler. Nous avions toutefois reçu des tankers. Du 11 au 15 mars, nous avons travaillé et livré de l’essence. Nous n’avons pas pu travailler du 15 au 20 mars. Il a été possible de le faire le 21 et le 22 mars. L’accès au terminal est difficile et les tirs représentent un danger pour les camions qui transportent l’essence», a confié cette source proche du terminal pétrolier de Varreux.
Violence des gangs et aggravation de l’insécurité alimentaire
Dans un contexte d’aggravation de la crise sécuritaire, la faim a atteint des niveaux sans précédent en Haïti, selon une nouvelle évaluation. Près de cinq millions de personnes, soit près de la moitié de la population du pays, sont aujourd’hui confrontées à une situation de faim aiguë et luttent pour se nourrir, selon l’analyse de la classification intégrée de la phase de sécurité alimentaire (IPC) publiée aujourd’hui, peut-on lire dans un communiqué du PAM.
« Les Haïtiens sont au bord du gouffre — une personne sur deux a faim aujourd’hui. L’augmentation de la faim aggrave la crise de sécurité qui ébranle le pays. Nous avons besoin d’une action urgente maintenant — attendre pour répondre à cette situation dans toute son ampleur n’est pas une option », a déclaré Jean-Martin Bauer, directeur de pays du PAM en Haïti.
Alors que la violence, l’inflation galopante et les mauvaises récoltes s’entrechoquent, Haïti se retrouve avec les pires niveaux d’insécurité alimentaire jamais enregistrés.Les récentes attaques et violences perpétrées par des groupes armés ont plongé Haïti dans une crise sécuritaire dramatique, bien au-delà de la capitale Port-au-Prince, où les groupes armés contrôlent la majeure partie de la ville.
Plus de 360 000 personnes ont été déplacées à travers le pays depuis le début de l’année 2024, affectées par la violence, et se battent maintenant pour avoir accès à un minimum de nourriture. Les pertes d’emplois et de revenus ont touché les deux tiers des familles du pays lors de la dernière vague de violence en mars, tandis que l’insécurité fait grimper les prix des carburants et des denrées alimentaires, déjà élevés, selon le PAM.
Entre août 2023 et février 2024, le coût d’un panier alimentaire a augmenté de 22 %, rendant la nourriture inaccessible pour des millions d’Haïtiens. Ils sont maintenant contraints de recourir à des stratégies désespérées pour s’en sortir, telles qu’acheter à crédit et s’endetter, vendre des animaux, des semences et d’autres biens afin de survivre.
Selon le rapport, 4,97 millions de personnes sont confrontées à des niveaux de « crise » ou plus élevés d’insécurité alimentaire aiguë (phases 3+ de l’IPC), dont 1,64 million de personnes faisant face à des niveaux « d’urgence » (phase 4 de l’IPC). La vallée de l’Artibonite — le grenier à blé du pays — est l’une des régions les plus gravement touchées. Des groupes armés y ont pris possession de terres agricoles et volé les récoltes. Le département de l’Ouest, les zones rurales de la Grand’Anse dans le Sud du pays et plusieurs quartiers pauvres de la capitale, notamment Croix des Bouquets et Cité Soleil, qui ont connu des poches de faim « catastrophique » (phase 5 de l’IPC) à la fin de l’année 2022, sont également des sources de préoccupation, selon le communiqué du PAM.
« Le PAM apporte un soutien essentiel aux Haïtiens malgré les difficultés très réelles sur le terrain. Nous travaillons avec des ONG locales et des organisations agricoles en donnant la priorité aux achats locaux. Cela nous permet de raccourcir notre chaîne d’approvisionnement et d’être moins vulnérables aux conflits et aux barrages routiers, tout en stimulant l’économie locale », a ajouté M. Bauer.
Les opérations humanitaires en Haïti manquent cruellement de fonds et le PAM a besoin de 95 millions de dollars pour les six prochains mois. Aujourd’hui plus que jamais, le soutien des donateurs est nécessaire pour permettre au PAM de poursuivre ses programmes et de continuer à servir les Haïtiens les plus vulnérables pris dans cette crise.
Accrochages et la vie sous les balles
Entre-temps, les accrochages entre la police et les bandes armées se sont poursuivis à Port-au-Prince et dans d’autres communes limitrophes. Les rafales de fusils d’assaut, en majorité de fabrication américaine, déchirent les rares moments de silence dans ces quartiers abandonnés du centre-ville de Port-au-Prince. A des journalistes n’osant plus s’aventurer en ces lieux, des témoins, pétris d’effroi, racontent quelques fois la traversée de ces rues bordées de maisons aux pans de murs crevés par des projectiles, des fins tragiques de personnes calcinées à bord de véhicules incendiées.
Sur les lignes de ces nouvelles frontières, de ces « Var » comme les appellent ironiquement les Haïtiens, la vie affiche une insolente résistance au chaos, à la mort qui danse et ondule. Entre les « kouris », l’on retrouve ces femmes, parfois âgées, ces hommes, souvent jeunes, en quête du pain quotidien. Poussés par le devoir mais jamais dans la témérité inconsciente, ils savent bien qu’ils peuvent être fauchés à tout instant par une balle perdue. L’envie de vivre n’est pas le seul rempart face à ces bandes criminels dont l’association porte un nom à faire tiquer, a énervé même le Mahatma Gandhi : « Vivre ensemble ».
Au Champ de Mars, principale place publique de la capitale où se trouve le siège officiel de l’exécutif, le quartier général des FAD’H, l’UDMO, la cour de cassation de la République…, il y a des policiers, des militaires toujours prêts à en découdre avec les bandits. La BRH, l’aéroport international Toussaint-Louverture résistent encore. Cependant, les forces de l’ordre ne parviennent toujours pas à casser le siège établi par les gangs sur les populations et sur les installations économiques et stratégiques de la capitale.
Source : Le Nouvelliste