Face à l’insécurité grandissante qui sévit à Port-au-Prince, certains bailleurs profitent de l’exode massif des populations fuyant les zones tombées sous l’emprise des gangs pour imposer des hausses de loyers exorbitantes, certains allant jusqu’à doubler les prix. Le Nouvelliste a recueilli les témoignages de plusieurs locataires, révélateurs d’une réalité alarmante.
L’accès au logement à Port-au-Prince devient un véritable calvaire. Face à la menace d’infiltration des gangs, les propriétaires se montrent de plus en plus réticents à louer leurs biens sans références solides. En même temps, certains en profitent pour augmenter les prix de manière jugée « abusive ».
« En 2021, lorsque nous venions tout juste d’emménager, nous payions 125 000 gourdes (environ 954,1 USD, au taux de 131 gourdes pour un dollar). Cependant, chaque année, le propriétaire a l’habitude d’augmenter légèrement le montant. À la troisième année, le loyer est passé à 150 000 gourdes (environ 1 145 USD) », témoigne un locataire résidant à Pèlerin, dans la commune de Pétion-Ville. Ce dernier précise que le prix de son loyer a augmenté de 20 % en trois ans.
Marié et père d’un enfant, il a été stupéfait lorsque, dans un contexte de pic de violence armée, le propriétaire lui a exigé le double du montant. « Cette année, le propriétaire nous a demandé de payer 300 000 gourdes (environ 2 290 USD), soit le double du loyer initial », a-t-il expliqué, soulignant qu’aucune réparation n’a été effectuée dans la maison, qui ne compte que deux pièces. « Je pense qu’il profite de la situation actuelle, marquée par une hausse des demandes de logement due au nombre croissant de personnes fuyant les gangs dans les quartiers de Port-au-Prince », a-t-il commenté. « Compte tenu de l’augmentation excessive, nous préférons quitter les lieux », a-t-il ajouté.
Des conditions de vie précaires
et des clauses abusives
Un autre locataire, habitant un bidonville de Pétion-Ville, a partagé son expérience : « J’ai contracté un bail pour 2 200 USD par an, alors que la maison ne comporte que deux pièces : une chambre à coucher et une salle à manger incluant une cuisine exiguë. » Il estime que le prix est injustifié. « Je pense qu’ils m’ont fait payer davantage en raison du quartier paisible, et c’est sur cette base qu’ils ont fixé le montant », a-t-il déclaré, déplorant que les promesses du propriétaire n’aient pas été tenues. « Ils m’avaient promis de l’eau courante et une électricité plus ou moins régulière », ce qui, a-t-il dit, est loin d’être le cas.
Ce locataire revient également sur une clause qu’il juge « extrêmement arbitraire ». « Le propriétaire avait accepté que je paie en deux tranches. J’ai versé une première tranche de 1 100 USD. Puis, à ma grande surprise, il m’a proposé un contrat stipulant que je devrais payer 100 USD de pénalités pour chaque mois de retard », a-t-il affirmé. « J’avais les mains liées, compte tenu de la difficulté de trouver un logement décent à Port-au-Prince », a-t-il poursuivi. « J’ai payé la deuxième tranche avec trois mois de retard, et il m’a facturé 300 USD, soit 13,64 % du prix du loyer », a-t-il énuméré. Au total, le loyer lui a coûté 2 500 USD, auxquels s’ajoutent 100 USD de dépôt de garantie.
Une pression croissante sur les locataires
et une insécurité qui s’étend
Un autre locataire résidant dans la commune de Delmas a été informé d’une prochaine hausse de son loyer. « Mon bail arrive bientôt à expiration. Je payais 120 000 gourdes par an, mais le gestionnaire de la propriété m’a informé qu’il ajouterait 30 000 gourdes si je souhaitais renouveler », a-t-il indiqué. Il souligne que le logement ne comprend qu’une seule pièce et estime « abusif » l’ajout de 25 % au prix du loyer. « Je ne lui ai encore rien répondu, car trouver un logement est très difficile, et les gangs continuent d’étendre leur emprise sur Delmas », s’est-il inquiété.
Les gangs, regroupés sous la coalition criminelle dénommée Viv Ansanm, mènent des attaques coordonnées sur plusieurs fronts contre des quartiers de Port-au-Prince. Ils ciblent simultanément Carrefour-Feuilles, Delmas 30, Christ-Roi, la commune de Kenscoff, et parfois des localités périphériques de Pétion-Ville.
Des quartiers comme Haut-Turgeau, Débussy et Canapé-Vert, encore épargnés par la violence des gangs, sont sous la menace constante d’attaques, obligeant les riverains à se barricader et à se préparer à toute éventualité. Alors que la police se montre incapable de démanteler les gangs, la violence armée a occasionné le déplacement forcé de plus d’un million de personnes à Port-au-Prince, selon l’Organisation Internationale de la Migration (OIM).
Source : Le Nouvelliste
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