Vendredi 15 novembre 2024, Port-au-Prince a bouclé une semaine sous haute tension. La première de cette envergure depuis les turbulences de fin février. La nouvelle réalité à Port-au-Prince en cette mi-novembre, c’est l’établissement de nouveaux camps de fortune dans des établissements publics ou des terrains vagues de la place par ceux qui fuient la violence des gangs.
À Bourdon, en face de l’établissement Mickey Mouse, des familles font des mises en place pour s’installer sur la cour du parti KID, vendredi 15 novembre. Armés de machette, mais surtout de courage, ces familles sous un soleil de plomb assemblent des poteaux trouvés çà et là, des bâches ou des couvertures, afin de se mettre à l’abri en attendant que se calme la terreur des gangs. Du moins c’est ce qu’ils espèrent.
Enfants, jeunes et vieux, tous rassemblés sur ce vaste terrain, où s’entassent pêle-mêle : des malles, des sacs et d’autres objets du quotidien. Ils viennent des quartiers de Solino, de Nazon. Chassés par les gangs de « Viv ansanm », ce terrain se présente pour eux comme un lieu de répit.
Ce terrain, propriété du KID, n’est qu’un exemple des nouveaux espaces occupés par les déplacés internes. Dans les locaux de l’établissement scolaire République d’Équateur, à quelques mètres du ministère de Planification et de la Coopération externe (MPCE) comme aux locaux de l’Office de la protection du citoyen (OPC) des centaines de familles prennent place.
A l’OPC, parmi les centaines de déplacés, l’on rencontre Renée, 21 ans. Ancienne résidente de Solino, cette jeune fille, rescapée du tremblement de terre du 12 janvier 2010, a perdu ses deux pieds et se déplace à l’aide de prothèses. Le 17 octobre dernier, alors que la coalition lance son attaque contre Solino, Renée et sa mère fuient leur domicile et trouvent refuge chez des amis habitant à Platon Charles puis à Nazon, zone limitrophe à Solino. Mercredi, face aux rumeurs d’attaque contre cette zone, elles ont été obligées de décamper à nouveau, cette fois sans destination aucune, avant de trouver refuge à l’OPC.
« Depuis 4 ans, je n’ai pas changé de prothèses faute de moyens. Elles sont devenues trop petites et je me déplace difficilement. À cause des déplacements, je me suis blessée au pied, ce qui augmente mes douleurs », raconte Renée. À l’OPC, où elle s’est installée depuis mercredi, la jeune fille confie qu’elle dort comme d’autres à la belle étoile, livrée aux caprices du temps qui n’est pas clément.
Dans sa dernière publication, l’Organisation internationale pour la migration (OIM) au 13 novembre 4 372 personnes ont été contraintes de déplacer à cause de la violence des gangs dont 3 856 à Port-au-Prince. Selon l’OIM 76 % des déplacés ont trouvé refuge dans huit sites dont deux nouveaux créés au cours de cette semaine.
Alors qu’en début de semaine, le Premier ministre sortant et le Conseil présidentiel de transition (CPT) se livraient à un nouveau bras de fer, les gangs de la coalition « Viv ansanm » ont annoncé des attaques sur plusieurs quartiers lundi. Les messages audio partagés par les bandits et relayés sur les forums WhatsApp ont contraint plusieurs écoles et entreprises de la région métropolitaine de Port-au-Prince à garder leur porte fermée.
Le lundi 11 novembre, des affrontements entre des unités de la Police nationale d’Haïti et les bandits ont été enregistrés au niveau du Carrefour de l’aéroport. À Solino, des images montrant des flammes dans ce quartier ont été également partagées sur les réseaux sociaux. Parallèlement, à Vivy Mitchell des maisons ont été incendiées après que les bandits aient réussi à pénétrer dans ce quartier résidentiel. La présence d’individus a été signalée à Tabarre et sur plusieurs axes routiers des zones avoisinantes.
Comme pour se rappeler les fantômes de mars, des avions ont essuyé des tirs à l’aéroport international Toussaint Louverture. Un avion de ligne de la compagnie Spirit Airlines en approche de Port-au-Prince, qui a dû atterrir en République dominicaine et un autre de la compagnie JetBlue en partance pour les États-Unis, dont on s’est rendu compte de l’événement à son atterrissage au pays de l’Oncle Sam.
Suite à cette double attaque, la décision des autorités américaines ne s’est fait pas attendre. Le mardi 12 novembre, la Federal aviation administration (FAA) a interdit tous les vols commerciaux en direction et en partance d’Haïti pour une durée de 30 jours. Les principales compagnies aériennes, suite à l’annonce de cette décision, ont annulé leurs opérations sur Haïti, jusqu’en février 2025 pour certaines.
Au cours de la journée de mardi, un médecin-urologue, Déborah Pierre, et son père ont été la cible de bandits armés. Attaqués par balle, l’urologue a été tuée ; son père, blessé, a été transporté à l’hôpital.
La frayeur s’est emparée des étudiants se trouvant à l’Institut d’études et de recherches africaines d’Haïti (IERAH) et de la Faculté des Sciences Humaines (FASCH), en raison des tirs et de la présence d’hommes armés remarqué à proximité de ces centres d’étude.
Dans la soirée de mardi, dans la localité d’Aral, proche de la compagnie La Couronne, un vent de terreur a soufflé. Des riverains ont rapporté une chasse aux policiers et de leurs familles, après qu’un blindé de la PNH a pénétré cette zone à deux reprises. Selon les témoignages recueillis par le journal des individus, tout de rouge vêtus, du gang de Canaan dirigé par Jeff « Gwo lwa » Larose, accompagné de bandits de la zone ont fait chanter leurs armes toute la soirée. Jusqu’ici aucun bilan n’a pu être dressé.
Entre mercredi et jeudi, plusieurs familles ont évacué leur domicile à cause de la menace des gangs. Jeudi, des scènes de « kouri » ont été filmées à Nazon. Les rares résidents qui demeuraient encore à Solino, ceux de Nazon et d’une partie de Delmas 30 ont fui les lieux devant l’approche des gangs et des rumeurs qui circulent. Sur un autre front, à Belvue et Bèl vil, les bandits tentent depuis la soirée de mercredi de prendre le contrôle de ces zones.
Au cours de cette semaine, la circulation automobile a été timide un peu partout. Sur certains axes routiers, à Canapé-Vert par exemple, en début de soirée surtout, les usagers sont soumis à des fouilles par des brigades de vigilance.
Le carburant ne sort plus du terminal de Varreux, ce qui crée de vives inquiétudes quant à une potentielle rareté. Les rares stations qui ont fonctionné au cours de ce vendredi ont vu une longue file d’attente. Même constat devant succursales des banques de Delmas et de Pétion-Ville où des dizaines de personnes se sont massées. Parallèlement, rares sont les écoles qui ont pu accueillir les élèves au cours de la semaine.
Source : Le Nouvelliste
Lien : https://lenouvelliste.com/article/251476/port-au-prince-boucle-une-semaine-sous-haute-tension