Le chef du gouvernement, Ariel Henry, a été auditionné mardi 26 décembre dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat de l’ancien président de la République Jovenel Moïse le 7 juillet 2021.
La nouvelle a été annoncée dans la soirée via un communiqué du gouvernement. Selon les informations disponibles, il aurait été interrogé en sa résidence officielle.
Une information qui choque et qui suscite des interrogations. Invité à l’émission Panel Magik jeudi 28 décembre, Me Laurent a précisé que « les hauts fonctionnaires de l’État ne peuvent jamais comparaître à titre de témoin sans une permission préalable du président de la République à travers une ordonnance », citant l’article 400 du Code d’instruction criminelle haïtien.
« Les grands fonctionnaires de l’État ne pourront jamais être cités comme témoins, même pour les débats qui ont lieu en présence du jury, si ce n’est dans le cas où le président d’Haïti, sur la demande d’une partie et le rapport du secrétaire d’État à la Justice, aurait, par ordonnance spéciale, autorisé cette comparution », stipule l’article 400 du Code d’instruction criminelle. Mais, Me Patrick Laurent fait remarquer qu’à aucun moment il n’est noté que c’est le juge d’instruction en charge de l’affaire qui doit se déplacer pour aller auditionner le haut fonctionnaire de l’État concerné. D’ailleurs, « quand le juge d’instruction se déplace, il doit être accompagné du commissaire du gouvernement. C’est le principe », a-t-il précisé.
L’article 401 du Code d’instruction criminelle (CIC) prévoit les démarches à suivre au cas où les hauts gradés n’obtiennent pas l’autorisation du chef de l’État pour comparaître à titre de témoin dans une affaire. Si ces hauts gradés de l’administration publique ne trouvent pas d’autorisation du président de la République, le juge recevra leurs dépositions par écrit.
« La personne qui souhaite les auditionner leur enverra les questions auxquelles ils doivent répondre. Ces informations seront acheminées au doyen et celui-ci peut lui-même se rendre dans la demeure du concerné ou désigner un juge pour recueillir sa déposition. Par la suite, la déposition sera scellée et envoyée au juge qui a demandé les informations », a expliqué Me Laurent.
L’article 400 du CIC stipule clairement qu’il revient au président de la République de donner l’autorisation pour l’audition d’un haut gradé de l’État. Or il n’y a pas de président en Haïti depuis l’assassinat du chef de l’État Jovenel Moïse. Une note du ministère de la Communication a justifié les démarches initiées par le juge pour parvenir à l’audition du chef du gouvernement.
Elle est survenue, a-t-on souligné, à la suite d’une ordonnance spéciale du Conseil des ministres en date du 19 décembre 2023 autorisant plusieurs grands fonctionnaires de l’État dont le Premier ministre, des ministres et des hauts fonctionnaires de l’État à comparaître devant la justice dans le cadre de l’enquête sur le crime. « Le Conseil des ministres n’a pas cette compétence », tranche Me Laurent, qui met un bémol.
« Étant donné que nous sommes dans une situation où il n’y a pas de président et que les personnes qui dirigent disent tirer leur légitimité de l’article 149 premier alinéa, lequel indique que lorsqu’il n’y a pas de président, il revient au Premier ministre de diriger et le Conseil des ministres détient les attributions du pouvoir exécutif. Par analogie, ils se disent que le Conseil des ministres agit au nom de ce principe. C’est un cas insolite, au grand jamais on ne se serait retrouvé dans cette situation si toutes les institutions du pays fonctionnaient », regrette Me Laurent.
Une instruction est obligatoire lorsqu’un acte criminel est commis. À ce moment, un juge d’instruction est chargé d’enquêter. Dans le cadre d’une instruction, le juge peut auditionner trois catégories de personnes : la personne poursuivie, la personne se présentant comme victime, et la troisième catégorie de personnes est un témoin oculaire ou auditif qui peut partager des informations avec les juges pour éclairer leur enquête.
Ariel Henry inculpé ou témoin ?
Un rapport de la DCPJ a révélé des contacts téléphoniques entre le PM Ariel Henry et Joseph Badio, l’un des principaux suspects dans l’assassinat du président Jovenel Moïse. À la lumière de ces informations, peut-on considérer Ariel Henry comme un témoin ou un inculpé ? Me Laurent analyse la question sous deux angles. « C’est un réquisitoire d’informer. Est-ce que le commissaire du gouvernement dans son réquisitoire d’informer a demandé d’instruire contre M. Ariel Henry qui est l’actuel chef du gouvernement ? », s’est-il demandé.
« Est-ce que parmi les informations recueillies par le juge se trouvent des indices laissant croire que cet appel était intéressé ? Si on décèle que le Premier ministre est impliqué, le juge d’instruction peut alors demander un réquisitoire supplétif pour l’inculper. Si le juge prend cette décision uniquement à cause de cet appel, il devra l’entendre à nouveau pour qu’il puisse fournir plus de détails sur l’objet de cet appel. Ce n’est qu’après cette déposition et l’analyse par le juge que ce dernier déterminera si le PM est un témoin ou un inculpé dans le cadre de ce crime. »