Haïti. Pluie de balles perdues sur les innocents

Comme à la fin du mois de juillet et au début du mois d’août 2022, l’année 2023 semble être un remake parfait de ce qui rongeait la société il y a tout juste un an.

C’est la recrudescence des plaies par balle. Du nombre des victimes se trouvent ceux qui sont au front, policiers et gangs, mais aussi de paisibles citoyens victimes de balles perdues.

À l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH), une vingtaine de patients ont été reçus pour plaies par balle entre la fin du mois de juillet et le début du mois d’août 2023. Trois patients ont été vus en clinique externe de la chirurgie de l’HUEH pour extraction de projectile le mercredi 16 août 2023. Le phénomène est d’autant plus étrange qu’il est couplé à une remontée spectaculaire des cas de kidnapping.

Le vendredi 11 août 2023, ce sont les habitants de Juvénat à Pétion-Ville qui ont gagné les rues pour collecter de l’argent en vue de payer la rançon exigée contre la libération d’une jeune fille kidnappée dans la zone. Le Dr Samson Marseille, directeur d’épidémiologie, des laboratoires et de la recherche au ministère de la Santé publique et de la Population, est toujours entre les mains des ravisseurs plus de 15 jours après son enlèvement.
On pourrait facilement multiplier ces cas par 10, parmi eux beaucoup de victimes anonymes.

Pour comprendre l’ampleur de ce phénomène d’insécurité grandissant, il suffit de jeter un œil au service d’urgence de l’HUEH. Au premier rang sur un lit d’hospitalisation se trouve Mme Fanise, admise pour plaie transfixiante par balle, porte d’entrée 7e espace intercostal à gauche, porte de sortie 3e espace intercostal à gauche. Elle est âgée de 57 ans et a été touchée à Carrefour-Feuilles en laissant la zone pour aller prendre refuge au centre-ville de Port-au-Prince.

Les lits d’hospitalisation sont peuplés de plaies par balle.

Entre une fille de 24 ans morte à la suite d’une plaie cranio-encéphalique par balle perdue et une dizaine de patients référés par les centres Médecins sans frontières pour plaies thoraciques par balle, il convient de se demander si on n’est pas dans une zone de guerre. Hommes, femmes, civils et policiers, toutes les catégories sont touchées. Les victimes n’ont en commun que la zone de provenance : Carrefour-Feuilles pour plus de 10 cas de plaies par balle, et la plaine du Cul-de-Sac, au moins 7 cas répertoriés. Les régions anatomiques les plus touchées sont la tête, le thorax et l’abdomen.

L’un des cas les plus spectaculaires est celui d’une enfant âgée de 4 ans qui habite à Santo, dans la plaine du Cul-de-Sac, qui s’est réveillée un matin avec une balle qui lui a transpercé le crâne.

« Sa maison a été prise en sandwich entre les feux croisés des gangs qui s’affrontent entre eux et ceux qui affrontent la police à Santo. Son père, sa grand-mère, ses oncles et tantes et d’autres membres de la famille ont été touchés par balle. Certains sont morts dans la foulée. Le père est à l’hôpital Bernard Mevs et la fillette, survivante de ce drame, se bat pour sa vie », raconte sa maman, qui fait le va-et-vient fatigant entre l’hôpital Bernard Mevs pour avoir des nouvelles du père et l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti pour être au chevet de sa petite fille.

Le compte rendu de son scanner cérébral est d’une violence inouïe pour une fillette de 4 ans qui n’a commis de péché que le fait d’habiter dans une zone envahie par des gangs armés. « Large plage d’hémorragie intra-parenchymateuse sur le trajet de la balle occipito-pariétale droite et multiples fractures », telle est la conclusion de son scanner cérébral.

Entre les pleurs incessants  et des céphalées intenses, elle essaie de tirer son épingle du jeu avec une monoplégie gauche. « Les femmes survivantes de la guerre des gangs dans la plaine du Cul-de-Sac sont systématiquement violées. Comme des butins de guerre», rapporte la maman au chevet de cette fillette.

À l’hôpital universitaire de la paix (HUP), le tableau est tout aussi sombre. Du centre de Croix-des-Bouquets à Santo, de Santo à Beudet, «les gardes des médecins sont surchargés de plaies par balle», rapporte un résident en chirurgie à l’hôpital universitaire de la paix. «Les plaies par balle sont une récurrence à l’hôpital universitaire de la paix», affirme le Dr Paul Junior Fontilus, directeur exécutif. « Ces dernières semaines, le nombre de plaies par balle a augmenté considérablement. On en reçoit tous les jours », soutient-il.

Au sanatorium, situé à Carrefour-Feuilles, spécialisé, entre autres, dans la prise en charge des patients vivant avec le VIH/SIDA et/ou la tuberculose, la situation est proche du chaos. Le directeur du sanatorium, Jean Ardouin Louis Charles, qui était à son poste le mercredi 16 août 2023, déplore des tirs nourris autour de l’hôpital, faisant des morts dans les parages et paralysant la clinique externe.

« Des malades sont partis. Ceux qui sont sous traitement pour VIH et tuberculose ont pu recevoir leurs médicaments sans savoir quand ils pourront retourner à l’hôpital. Environ cinq médecins sont sur place, les autres ont quitté l’hôpital de peur d’alourdir les statistiques des victimes de balles perdues dans la zone », explique le Dr Jean Ardouin Louis Charles, directeur du sanatorium.

Des associations médicales, des hôpitaux privés et des institutions sanitaires dirigées par des organisations non gouvernementales parmi les plus importantes de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince ont publié un communiqué disant « Stop aux intrusions armées au sein des institutions médicales en Haïti ! ». Elles expriment leur inquiétude face à l’insécurité et exigent le respect des porteurs d’armes envers toutes les institutions médicales, les ambulances et le personnel de santé.

« Dans les conditions actuelles du secteur médical qui sont particulièrement difficiles, il est essentiel d’avoir un minimum de sécurité pour pouvoir soigner les patients qui se présentent. Le 6 juillet, l’hôpital de Tabarre géré par Médecins sans frontières a subi une intrusion violente de vingt hommes armés pour en extraire un patient. Le 25 juin dernier, l’Hôpital Dr Zilda Arnes, hôpital communautaire à Bon Repos, a été entièrement pillé et des membres du personnel kidnappé par des hommes armés. Ces deux cas ne sont que des illustrations de la gravité de la situation et les derniers en date d’une longue série durant ces deux dernières années. De nombreux hôpitaux ont été attaqués ou empêchés de fonctionner par l’insécurité. C’est inadmissible dans un pays comme Haïti où l’accès aux soins est déjà très limité », dénoncent les institutions sanitaires, qui exigent de la part de tous les porteurs d’armes, quels qu’ils soient, le respect de la neutralité et de l’inviolabilité des institutions médicales en Haïti.

Source : Le Nouvelliste

Lien : https://www.lenouvelliste.com/article/243954/pluie-de-balles-perdues-sur-les-innocents

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