Temples abandonnés, pillés ou vandalisés, changement des horaires de fonctionnement, abandon massif de membres… Les impacts de la situation sécuritaire sur le fonctionnement des lieux de culte sont légion.
Samedi 1er juin, moins d’une centaine de membres assistent au culte d’adoration hebdomadaire de l’église adventiste du 7e jour Shekinah de la Croix-des-Bouquets. C’est dans la cour d’une école, propriété d’un membre de l’église, qu’ils se rassemblent, sous une tente, depuis que la situation sécuritaire les a contraints de quitter leur lieu de culte habituel.
« Depuis février 2023, nous avons dû abandonner nos locaux à Duval en raison de l’aggravation de la situation sécuritaire aux environs », a confié l’un des responsables de l’église. Avant son déménagement, l’église adventiste de Shekinah accueillait en moyenne plus de 200 membres à l’heure du culte hebdomadaire. Selon ledit responsable contacté par le journal, les membres ont quitté la zone et certains ne sont plus en contact avec l’église.
L’eglise de Shekinah n’est pas la seule affectée par cette situation. Le responsable des communications au niveau de la Mission de la plaine du Cul-de-Sac des adventistes du 7e jour d’Haïti (MIPAH), le pasteur Patrick Thermilien, a informé que « six à sept districts du champ ne fonctionnent pas comme d’habitude et trois sont complètement à l’arrêt ». Parmi les districts à l’arrêt, celui de Salem de Thomazeau, a indiqué le pasteur Thermilien, soulignant que le responsable de ce district n’est pas sur place.
Pour le champ de la Fédération centrale d’Haïti des adventistes du 7e jour (FEDCHAS) la situation n’est pas différente. Selon le pasteur Ernst Prince, directeur de communication du champ, au niveau de la FEDCHAS les dirigeants adoptent une stratégie de cohabitation afin de permettre aux églises de fonctionner. À titre d’exemple, l’église Eben-Ezer de la rue Nicolas se réunit entre 7 heures et 9 heures du matin chaque sabbat au temple adventiste de Canapé-Vert, et celle d’Auditorium de la Bible de Champ de Mars (EAAB) au temple de Shékinah de la rue Rivière.
À cause de la montée des violences armées, selon le responsable de communication de la MIPAH, la majorité des églises du champ ne fonctionne que le samedi. Les autres activités en cours la semaine ne sont pas organisées ou se tiennent en ligne.
Le champ de la FEDCHAS dit déplorer la fermeture de quatre temples : Salem de Carrefour-Feuilles, Eben-Ezer de la rue Nicolas, l’EAAB, Temple 1 de la rue de la Réunion. La dernière citée n’est pas relocalisée mais fonctionne en ligne. « Nous recensons quatre églises vandalisées et pillées : Jériel de Fort-Mercredi, Péniel de Sans-Fil, Béthel de la rue du Peuple et Salem de Carrefour-Feuilles », a déploré le pasteur Prince.
L’Union des missions des adventistes du 7e jour d’Haïti (UMASH), la plus haute instance de cette organisation religieuse en Haïti, a lancé depuis mars un recensement afin de localiser ses membres. Selon un rapport préliminaire de l’UMASH dont Le Nouvelliste a pris connaissance, l’organisation dit compter « 55 temples fermés à cause des conflits armés dans plusieurs quartiers ».
La communauté catholique, grande victime
« Bien avant le 29 février et l’aggravation de la situation, le fonctionnement d’une bonne partie de nos lieux de culte de la région métropolitaine a été perturbé, notamment en termes de fréquentation », a dit le père Marc-Henry Siméon, porte-parole de l’archevêché de Port-au-Prince.
Dans une description assez détaillée de la situation des lieux de culte catholiques de la région métropolitaine, le prêtre Marc-Henry Siméon a souligné que dans le contexte actuel, nombreux sont les lieux de culte qui ne sont pas desservis par des ministres sacrés. Ces derniers, dans ce cas, ont été contraints de quitter leur paroisse en raison des menaces pesant sur leurs vies.
« Au fur et à mesure, des dispositions sont adoptées au niveau de la curie et de l’archidiocèse de Port-au-Prince afin d’accompagner les prêtres qui sont dans les zones à risque, a indiqué Marc-Henry Siméon. On reste en contact permanent avec eux afin de s’enquérir de leur situation et s’ils sont obligés de se déplacer de pouvoir les orienter au mieux en attendant de retourner dans leur paroisse », a-t-il ajouté.
Interrogé sur la situation des bâtis de l’église et du personnel, Marc-Henry Siméon a confié que lors des derniers évènements, le curé de la paroisse Saint-Anne a été enlevé et relâché un peu plus tard. Depuis, il n’est pas revenu dans sa paroisse. Les paroisses de Caridad, à Carrefour-Feuilles et la chapelle de l’Immaculée de Conception de l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti ont été vandalisées, a dénoncé Marc-Henry Siméon. La première a été attaquée lors de l’invasion à Carrefour-Feuilles l’année dernière, la seconde, lors des récentes activités des gangs armés au centre-ville de Port-au-Prince quelques jours après le 29 février. À Caridad, le prêtre a été forcé de quitter la paroisse mais se réunit à chaque fois que c’est possible avec les fidèles.
« La paroisse Saint-Gérard, dirigée par les Frères Rédemptoristes, a subi quelques dommages mais n’a pas été prise pour cible. Les prêtres ont été contraints d’adopter des mesures de sécurité pour protéger ce bâtiment, à peine dédicacé », a indiqué le porte-parole de l’archevêché de Port-au-Prince, signalant au passage que la paroisse Saint-Joseph au bas de la ville continue de fonctionner, mais selon l’humeur des bandits armés qui règnent en maitres et seigneurs dans cette partie de la ville. Quant à la cathédrale transitoire de Port-au-Prince, elle est très affectée dans son fonctionnement, a-t-il fait savoir, rappelant qu’en 2022, la cathédrale a enregistré une tentative d’incendie.
Un processus de recensement est en cours, a annoncé Marc-Henry Siméon, afin d’avoir un état des lieux plus complet des paroisses de la région, soulignant que dans certains cas l’accès aux paroisses est assez compliqué. À cause de la situation sécuritaire, le père Marc-Henry a confié que les horaires de fonctionnement ont été revue. « Durant le week-end pascal, lors de la traditionnelle veillée pascale, aucune paroisse de la région métropolitaine de Port-au-Prince n’a pu célébrer la messe de minuit. La majorité des paroisses ont célébré ladite messe entre 15 heures et 16 heures », a-t-il informé.
Outre cela, à cause du nombre élevé de déplacés, la fréquentation des lieux de culte a « considérablement diminué », selon Marc-Henry Siméon. Cette situation a poussé les responsables de l’église à « un réaménagement de la manière de réguler la question cultuelle » et à d’autres aménagements sur des prescrits canoniques et institutionnels.
La FPH impactée par la violence armée des gangs
« La situation globale du pays affecte grandement l’Église, notamment dans les zones affectées par la terreur des gangs », a déclaré Peterson Pierre-Louis, secrétaire général de la Fédération protestante d’Haïti (FPH), joint par téléphone par Le Nouvelliste.
Le secrétaire général de l’institution constituée de 300 missions, églises, organisations/associations ou ligues pastorales déplore la fermeture de temples de la fédération, sans toutefois être en mesure au moment de l’interview avec le journal de citer ses données et les actes de vandalisme contre les lieux de cultes dont les attaques contre l’église de Dieu (rue du Centre) et la Première église baptiste (rue de la Réunion).
Face à cette situation, des églises sont relocalisées et d’autres fermées, a révélé le pasteur Pierre-Louis, faisant remarquer que jusqu’ici les tentatives de cultes virtuels sont loin d’être inclusives en raison des limites technologiques de fidèles.
Si certains des fidèles dont le lieux de culte ne fonctionnent pas se dirigent vers d’autres assemblées, d’autres, selon Peterson Pierre-Louis, très attachés à leur assemblée, ne vont plus à l’église. « Il y a des églises de la FPH, en difficulté pour réunir l’assemblée, qui organisent des cellules de prière dans des maisons privées pour garder les fidèles dans la foi; c’est une leçon de la période de la Covid-19 », a-t-il déclaré. Par ailleurs, en raison de l’état sécuritaire délétère, les églises ne peuvent plus participer aux œuvres de bienfaisance et ne peuvent plus financer des voyages missionnaires ou d’autres activités évangéliques.
Les vodouisants ne sont pas épargnés
par la montée de la violence
Erol Josué, directeur du Bureau national d’ethnologie, prêtre et responsable de la société Vodou Lafrik Ginen, a été témoin de l’incendie de son peristil en 2021. « En tant que responsable d’Institution [étatique] et responsable d’une société de vodou, j’essaie de rester fort mais la situation est compliquée », a-t-il expliqué.
« Dans le quartier où se situait le temple que je dirige, cinq autres temples vodou ont été saccagés. À Croix-des-Bouquets, à Thomazeau, à Bel’Air et même à Nazon déplorant d’autres temples ont été détruits. Le seul endroit où l’on peut tenir une cérémonie, c’est dans la commune de Carrefour », a raconté M. Josué. Toutefois, a-t-il signalé, ces réunions sont tenues en toute simplicité afin de ne pas attirer l’attention, déplorant par ailleurs les difficultés pour les autres sociétés vodou de participer à ces cérémonies.
Ces différentes attaques contre les temples vodou, les cimetières et les sites archéologiques très importants dans la vie des pratiquants du vodou, Erol Josué les voit comme une « ethnocide », soutenant que la destruction des temples vodou participent de la destruction de la « mémoire du peuple ».
Malgré un semblant de calme observé dans plusieurs quartiers, certains lieux de culte restent fermés. D’autres communautés religieuses sont aussi affectées par cette situation, ce qui constitue une violation de la liberté d’association et de réunion.
Source : Le Nouvelliste
Lien : https://lenouvelliste.com/article/248533/linsecurite-persecute-la-foi