Selon le consensus politique trouvé cette semaine entre l’accord de Montana et le Protocole d’entente national, la présidence sera dirigée par un collège présidentiel de cinq membres choisis par les organisations politiques et de la société civile. Une proposition de sortie de crise qui, selon Me Bernard Gousse et l’historien Georges Michel, ne fera que compliquer la situation. De son côté, le politologue Joseph Harold Pierre a rappelé que les collèges présidentiels n’ont jamais fonctionné dans l’histoire du pays.
« Première réflexion instinctive : la république la plus pauvre de l’hémisphère a suffisamment d’argent pour payer cinq présidents, sans compter un Premier ministre et une vingtaine de ministres et leur entourage. Cela ne fait aucun sens », tance le professeur Me Bernard Gousse, doyen de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Quisqueya, titulaire de la Chaire Louis-Joseph-Janvier sur le constitutionnalisme de la même université.
Interrogé par Le Nouvelliste, Me Bernard Gousse se demande comment un collège présidentiel de cinq membres va s’y prendre pour décider. « Quel est le processus décisionnel ? Majorité, unanimité, consensus, droit de veto d’un membre ? On va tout droit vers le blocage. On oublie les leçons de l’histoire (Collégial de 1957), et on installe les semences de la confrontation violente », prévient l’ancien ministre de la Justice et de la Sécurité.
L’historien Georges Michel abonde dans le même sens. « Inévitablement, les cinq membres du collège président vont se battre. On a déjà fait l’expérience d’un gouvernement collégial en 1957 cela s’est très mal terminé. Cinq personnes dans un collège présidentiel est une formule suicidaire », a lancé le Dr Michel.
Selon lui, les cinq membres du collège présidentiel pourraient se mettre d’accord sur un point aujourd’hui, demain ils seront à couteaux tirés sur le même point. « Cette formule aggravera davantage la crise et donnera naissance à une nouvelle crise », estime le Dr Georges Michel. En attendant les élections, l’historien suggère que le président soit issu du Sénat de dix membres encore en fonction.
Pour sa part, le politologue Joseph Harold Pierre pense que le collège présidentiel devrait être réduit à trois membres. « Il serait mieux de nommer un président au lieu de former un collège présidentiel. Cela témoignerait d’une plus grande maturité politique de la part des acteurs, expression d’une volonté politique qui dissipe tout doute sur la formation d’un gouvernement animé par un esprit de partage de gâteau, pour utiliser une expression de notre jargon politique », confie-t-il au Nouvelliste.
« L’histoire d’Haïti a aussi montré que les collèges présidentiels n’ont jamais fonctionné. Le collège présidentiel, du point de vue structurel, fonctionnerait comme la structure bicéphale de l’exécutif avec un président et un Premier ministre qui a causé tant de torts au pays. On n’a pas la culture politique pour des structures complexes de décision politique », a expliqué le professeur Joseph Harold Pierre.
En revanche, selon le politologue, le consensus politique Montana-PEN est une bonne initiative, car il tend à mettre ensemble des groupes différents voulant résoudre la crise. « Un bon signe tant pour l’opinion publique locale que la communauté internationale. Cependant le conseil présidentiel de cinq membres a très peu de chances de fonctionner. Tout d’abord, théoriquement (voir The Logic of the Collective Action, écrit par Olson),cinq membres, c’est assez élevé pour une structure décisionnelle, d’autant plus qu’on n’a pas de culture démocratique en Haïti. Le collège risque donc d’être au mieux très inefficace, au pire disloqué, mais tout au moins dysfonctionnel, car il est susceptible d’être rongé par des intérêts irréconciliables des membres », a soutenu l’économiste.
De plus, a-t-il ajouté, la composition du collège présidentiel est « déséquilibrée en faveur de l’accord de Montana qui influera sur le choix de trois des cinq membres. Il ne fait aucun doute que l’équipe au pouvoir ou les signataires de l’accord du 11 septembre ne sera pas de cet avis et voudra tout au moins avoir une influence égale à celle du groupe Montana dans la formation du gouvernement en nommant chacun deux membres », a affirmé Joseph Harold Pierre.
Le consensus politique entre l’accord de Montana et le PEN indique que chacune des trois structures suivantes désignera un membre au collège présidentiel : l’accord de Montana ; le Protocole d’entente nationale (PEN) et le gouvernement en place. Selon les critères définis par le Conseil national de transition, une structure mise en place dans le cadre de l’application de l’accord de Montana, des organisations importantes de la société civile désigneront les deux autres membres du collège présidentiel après validation par les membres du consensus politique. Le collège présidentiel comportera au moins une femme, a précisé le consensus politique.
Le nouveau Premier ministre du gouvernement de transition sera désigné selon les mécanismes de l’accord de Montana.
« En concertation avec le collège présidentiel, le chef du gouvernement, selon la feuille de route, formera le cabinet ministériel. Les membres du gouvernement seront issus des divers secteurs signataires du consensus. Toutefois, ils doivent répondre aux critères définis par les membres du consensus national »,souligne le document signé, entre les signataires de l’accord de Montana et ceux du PEN, dont Le Nouvelliste a eu copie.
Source : Le Nouvelliste
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