Mettre le nez dehors tient de la bravoure à Port-au-Prince et dans ses environs où la police peine à assurer la sécurité. Les bandits écument les rues, kidnappent, tuent, se battent pour le contrôle de territoire, forçant les résidents de quartiers, jusqu’ici épargnés, à fuir. Les armes qui alimentent cette violence proviennent en majorité des USA, a confirmé le dernier rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC, en anglais) intitulé « Haiti’s Criminal Markets – Mapping Trends in Firearms and Drug Trafficking ».
Kidnappings. Ce vendredi — quarante-heures après le kidnapping de l’ingénieur Lesly Boulos, chez lui, à Kenscoff — plusieurs sources interrogées par Le Nouvelliste ont confirmé l’enlèvement de Frantz Sébastien Charles, inspecteur général de la PNH, ex-secrétaire d’Etat à la sécurité en compagnie de sa fille, élève de l’institution Sacré Cœur, dans les parages de l’école St Jean l’évangéliste à Turgeau.
Tout le secteur était sous tension. Des tirs ont été signalés à Turgeau et dans ses environs. Un peu plus bas, à l’Institution du Sacré-Cœur, des élèves en état de choc ont subi les examens, vingt-quatre heures après le kidnapping, jeudi, d’un père et de sa fille, une élève de cette école. « Les faits se sont produits sous les yeux d’autres parents terrifiés. Ce vendredi, un projectile a atterri sur le toit de l’école », a confié une source extrêmement préoccupée. Dans une lettre aux parents, les responsables de cette école, évoquant « des incidents survenus dans le quartier ces derniers jours », ont annoncé « la décision de continuer les cours en ligne la semaine prochaine. »
Selon cette lettre aux parents, « les enfants ne bénéficient pas d’un environnement serein suffisant pour leur demander de composer. Les examens de l’étape sont donc reportés ». « Les mots sont impuissants pour décrire la traversée du désert que vit le pays actuellement. Nous déplorons ce climat d’insécurité, qui ne cesse de gagner du terrain, où personne n’est épargné. Nous demandons au gouvernement de prendre en main ses responsabilités afin de permettre que tout un chacun puisse vaquer paisiblement à ses occupations. Nous continuons à rejoindre par la pensée et par nos pauvres prières les trop nombreuses victimes d’enlèvement et l’angoisse de leurs familles spécialement nos élèves et leurs parents. Notre conviction, en la force du changement par l’éducation, reste intacte », selon cette lettre de la direction de l’institution du Sacré-Cœur qui intervient quelque vingt-quatre heures après l’attaque d’un pick-up du commissariat de police de Port-au-Prince jeudi soir. Deux blessés sont recensés dont un commissaire de police et son assistant.
Homicides. Il y a aussi ceux qui n’ont pas survécu. Tôt ce vendredi 3 mars 2023, la photo du cadavre à moitié nu de Ralph Théodore, alias « Sexy », comédien et publiciste, a circulé sur les réseaux sociaux. Mercredi soir, à Fermathe, le frère de Kaleb Augustin, un cadre de la Primature a été kidnappé et son frère tué.
Ce vendredi, une tension était palpable dans certaines rues de Port-au-Prince, a appris Le Nouvelliste. Le gouvernement Henry se terre dans un silence assourdissant. La Primature, après un conseil des ministres, a cependant annoncé trois jours de deuil national en mémoire de l’ex-Premier ministre Gérard Latortue, décédé le lundi 27 février aux Etats-Unis d’Amérique.
Si les bandits continuent de faire parler la poudre en Haïti, pays qui est en proie à l’une des pires crises sécuritaires depuis des décennies, tout le monde sait d’où proviennent les armes. Après l’annonce fin 2022 des autorités fédérales américaines sur l’augmentation de la contrebande d’armes illégales vers Haïti, un rapport de l’ONUDC a rebondit sur ce sujet.
« Le dernier pic des saisies d’armes à feu, ainsi que les rapports des services de renseignement et des forces de l’ordre, suggèrent que le trafic d’armes à feu entre les États-Unis et Haïti est en augmentation », indique l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) dans un rapport publié vendredi à Vienne, en Autriche, peut-on lire dans une dépêche de EFE.
« Tous les indicateurs d’insécurité, des homicides aux violences sexuelles en passant par les enlèvements et les meurtres de policiers, sont en hausse », ajoute le rapport, intitulé « Haiti’s Criminal Markets – Mapping Trends in Firearms and Drug Trafficking ».
Le document note que la contrebande d’armes à feu alimente la violence, tandis que le pays reste un point de transit pour des drogues comme la cocaïne et que les autorités semblent dépassées par la situation. Haïti est en crise depuis des années, une situation que l’assassinat, en juillet 2021, du président de l’époque, Jovenel Moïse, par des mercenaires essentiellement colombiens, n’a fait qu’exacerber.
Depuis octobre, l’actuel gouvernement haïtien a demandé à plusieurs reprises l’envoi d’une force militaire internationale dans le pays pour combattre les bandes armées.
Une violence qui monte en flèche
Les homicides, les enlèvements et les déplacements de population explosent dans le pays, qui connaît sa pire urgence humanitaire et en matière de droits de l’homme depuis des décennies, souligne l’ONUDC. Les homicides ont doublé par rapport à 2019 pour atteindre 2 183 l’année dernière, tandis que les enlèvements sont passés de 78 en 2019 à près de 1 400 en 2022.
« Haïti a des frontières poreuses — avec 1 771 kilomètres de côtes et 392 kilomètres de frontière terrestre avec la République dominicaine — qui mettent à rude épreuve les capacités des forces de sécurité qui manquent de ressources et d’effectifs, et qui sont à leur tour une cible pour les gangs armés », expose le document, a rapporté EFE. En outre, la violence des groupes armés aggrave la situation d’épidémie de choléra, accroissant l’insécurité alimentaire et provoquant le déplacement de milliers de personnes.
500 aux USA, 10 000 en Haïti
La prolifération des pistes d’atterrissage pour avions légers et le manque de moyens douaniers dans les ports facilitent l’entrée de drogues et d’armes dans le pays. Le rapport estime qu’il pourrait y avoir environ un demi-million d’armes légères en Haïti, même si « le véritable nombre ne sera peut-être jamais connu». « La principale source d’armes à feu et de munitions en Haïti est les États-Unis, et en particulier la Floride », indique le rapport, qui précise qu’un pistolet acheté aux États-Unis pour environ 400 à 500 dollars peut être vendu en Haïti jusqu’à 10 000 dollars. Les fusils automatiques de forte puissance, tels que les AK 47, sont les plus recherchés par les groupes armés. Les armes sont acquises par des réseaux illégaux comprenant des membres de la diaspora haïtienne aux États-Unis.
Les trafiquants d’armes profitent du laxisme de la législation sur les armes à feu aux États-Unis, où les fusils automatiques puissants peuvent être achetés dans de nombreux États sans présenter aucun document. « Une fois achetées, les armes à feu et les munitions sont transportées en Floride, où elles sont dissimulées et expédiées en Haïti », indique l’ONUDC. Les expéditions peuvent partir dans des conteneurs directement depuis les ports du sud de la Floride, les articles étant dissimulés dans des produits de consommation, des doublures de vêtements ou des aliments congelés », expliquent les experts de l’ONU.
Les autres voies d’entrée des armes en Haïti passent par la République dominicaine voisine et, dans une moindre mesure, par la Jamaïque. En conclusion, le rapport note que les forces de sécurité haïtiennes sont dépassées en nombre et en armement par les armes aux mains de particuliers, y compris de groupes criminels, selon cette dépêche.