Pour la quatorzième année consécutive, Le Nouvelliste publie la liste des personnalités (pas obligatoirement des personnes) qui ont marqué l’année.
Par ordre alphabétique et sans prendre en compte ce qui est bien ou mal dans leur parcours, nous publions ci-après la liste de ceux qui ont pesé sur 2024. Comme chaque année, cette liste reflète les choix de la rédaction du journal. Cette édition a une particularité, il y a beaucoup d’inconnus illustres. Pas parce que les larges secteurs de la vie nationale qu’ils personnalisent sont sans représentants connus, mais parce que cette année, plus que d’autres, les victimes sont trop nombreuses pour individualiser des parcours.
Conille. Le cas du Premier ministre Garry Conille est un rare exemple dans l’histoire d’Haïti d’un responsable politique qui s’est trompé deux fois dans le même registre. Premier ministre en 2012, Conille se croyait plus fort que Michel Martelly, le président qui l’avait nommé. En 2024, redevenu premier ministre, il s’est encore une fois fourvoyé en oubliant que ce sont les membres du Conseil Présidentiel de Transition qui avaient signé sa nomination. Comme la première fois, le Premier ministre Conille a perdu son titre sans comprendre les limites de son rôle et sans évaluer son poids politique réel.
CPT. Le Conseil Présidentiel de Transition est la dernière invention de la classe politique haïtienne associée à la communauté internationale pour démantibuler le pays et ses institutions. Le problème ce n’est pas le conseil en lui-même, le pays en a connu d’autres dans le passé, mais sa composition pléthorique. 9 présidents avec les avantages, les honneurs, les immunités et les tentations du poste, la formule ne peut être ni efficace ni efficiente. Neuf membres d’un conseil qui tous veulent le pouvoir et le garder, mais à qui on donne pour mission d’organiser la transition, cela relève de la gageure. Sauf heureux accident, cette combinaison risque de conduire le pays dans une impasse encore plus obscure que celle, catastrophique, concoctée par Ariel Henry.
Le déplacé inconnu. Qui ne connaît pas quelqu’un qui a dû laisser son domicile, perdre des mois de loyers payés d’avance, ou sa maison, en cette année 2024. La violence des gangs, encore elle, a poussé vers les chemins de l’exode, de centres d’hébergement et de la misère, des centaines de milliers de personnes. Certains se sont enfuis avec le rechange sur le corps pour tout bien. Beaucoup sont sortis un matin et n’ont jamais pu regagner leur demeure. D’autres ont assisté, impuissants, à la destruction de tous leurs biens. Les statistiques de l’ONU parlent de plus de 700 000 déplacés en Haïti. De paisibles citoyens sont devenus, du jour au lendemain, des réfugiés dans leur propre pays.
Enfant inconnu. L’enfant inconnu est celui qui depuis le ventre de sa mère paie un lourd tribut à la guerre des gangs. Pas de médecins pour le suivi prénatal, pas de maternité pour les couches de sa mère, pas de vaccin depuis sa naissance, pas d’alimentation équilibrée et suffisante, pas d’école, pas de terrain de jeu, pas d’avenir tranquille. L’enfant inconnu vit quelque part en Haïti, mais personne ne prend en compte ses besoins. Il n’existe pas. Il vit. La violence multiforme et les privations diverses qu’elle entraîne sont en train de le marquer à jamais. Et pourtant, ni les assassins de l’espoir, ni les responsables publiques ne font ce qu’il faut pour lui offrir un avenir qui lui évitera d’alimenter demain la machine de la destruction du pays.
Joé Dwèt filé. C’est un succès que l’on n’attendait pas. Pas que l’artiste qui vit en France était inconnu du public haïtien, non pas qu’il n’avait composé un hit avant 4 Kanpé… non. Joé Dwèt Filé, avec Fem voyé avait déjà retenu l’attention. D’ailleurs, l’artiste a performé en Haïti en 2020 et devait y revenir en 2023. Ses chansons sont connues. Plus que tout, ce qui fait de Monsieur Dwèt Filé une fierté nationale vient du fait qu’il a toujours porté le drapeau d’Haïti dans la lignée de la voie tracée par Wyclef Jean. Alors quand 4 Kanpé, un hit de la belle aventure de Haïti Twoubadou, revisité par Joé, devient un hit mondial, personne ne doit bouder son plaisir. Joé Dwèt Filé porte le konpa, le kreyòl et le drapeau bleu et rouge sur la scène mondiale. Bon bagay.
L’homme d’affaires inconnu. Il est sans doute une femme, car les femmes sont les « potomitan’ du monde des affaires en Haïti où les gagne-petit sont les plus nombreux et majoritairement de sexe féminin. Cette femme d’affaires, propriétaire d’une échoppe ou elle vendait des bonbons et autres douceurs ou d’un comptoir qui débitait de la nourriture, a tout perdu en perdant son quartier et sa clientèle. Commerçante qui partait à Panama ou en Chine, « Madan Sara » ou usurière, les méfaits des bandes armées, protagonistes de la pire crise sécuritaire et économique qu’ait connue le pays depuis des lustres, est aujourd’hui au chômage forcé. Elle a perdu tout, ou une bonne partie de ses revenus, tout en gardant les mêmes responsabilités envers les siens. Le bilan maladroit dressé par le gouvernement haïtien et la Banque mondiale, qui chiffre à moins d’un milliard et demi de dollars le montant nécessaire pour relancer l’économie haïtienne après la crise sécuritaire, illustre bien que ni les petits acteurs ni les plus grandes entreprises n’ont été pris en compte dans la comptabilité de la relance. L’homme et la femme d’affaires haïtiens sont non seulement inconnus, mais aussi invisibilisés.
Melchie Durmornay. Corventina, surnom de Melchie Dumornay, continue de faire la fierté de tout un pays, particulièrement de ceux qui adorent le football, comme de ceux qui cherchent à s’accrocher à des raisons de ne pas désespérer du destin des Haïtiens. Dans un pays où la grande majorité des championnats sont à l’arrêt, où l’État préfère dépenser des milliards pour un ministère des Sport qui ne soutient aucun sport en particulier. Melchie, depuis des années, collectionne les exploits, les récompenses, les accomplissements jusqu’à se hisser à la force de son talent dans l’une des meilleurs clubs au monde en football féminin, l’Olympique Lyonnais, et dans la liste des trente meilleures joueuses au monde cette année. Bravo Madame, continuez sur votre lancée. Vous inspirez nos rêves les plus fous et les enfants, comme peu le peuvent. Le plus grand footballeur de tous les temps en Haïti et de toutes les catégories est une femme et elle joue de nos jours.
MMAS. La Mission Multilatérale d’Appui à la Sécurité ou « les Kenyans », comme on résume la force qui aurait dû tout changer sur le terrain de la guerre contre l’insécurité. Après que le Conseil de sécurité ait mis des mois avant de décider de son déploiement, il a fallu encore plusieurs mois pour la matérialiser en la personne des Kenyans. Depuis, elle peine à recevoir du financement, des équipements et des troupes en quantité significative. Aujourd’hui, on ignore si elle est encore viable et pour combien de temps. On ignore si elle sera transformée en Mission de maintien de la paix ou disparaîtra tout doucement sitôt que l’administration du président Donald Trump prendra charge de la politique américaine. Quel que soit le destin de cette mission, il est indéniable que les Kenyans ont été les premiers, et pendant des mois, les seuls braves au monde à mettre leur vie et la réputation de leur pays en jeu pour aider Haïti et sauver des Haïtiens. Qu’ils en soient remerciés et reçoivent notre reconnaissance à jamais en dépit de l’insatisfaction grandissante devant la lenteur des résultats attendus.
PNH. La Police Nationale d’Haïti est la seule institution qui met tous les jours, depuis des années, la main dans le cambouis afin de mener une guerre pour laquelle ses membres n’ont pas été formés. Désertions, blessures et morts jalonnent l’histoire de l’institution. Elle résiste malgré tout. Face aux gangs, nonobstant les faiblesses et les ripoux dans ses rangs, les différentes unités de la PNH font de leur mieux, sans jamais déroger aux instructions des autorités civiles. Pris des fois entre deux feux, celui des bandes armées et les désirs inavoués et inavouables des politiciens haïtiens, la force de police, comme les Forces Armées d’Haïti (FADH), constituent le dernier rempart, la mince digue, entre la population et le tsunami de la violence.
Le soignant inconnu. Cette année, comme jamais dans notre histoire, le secteur médical a été emporté par le tourbillon de violence qui a dévasté le centre-ville de Port-au-Prince. L’année maudite pour la médecine a débuté en mars 2024 avec les attaques systématiques contre l’hôpital général et s’est achevée avec les actes de vandalisme et l’incendie de l’hôpital Bernard Mevs. Entre les deux, les cliniques, les pharmacies, les laboratoires, les centres de formation du secteur médical ont été visés, détruits ou empêchés de fonctionner. Avec ce sort fait aux installations et aux personnels soignants, les gangs ne mettent pas seulement en danger le présent des gens qui ont besoin de soins. Leurs actions privent des tuberculeux, des PVVIH et tous ceux qui souffrent de maladies chroniques de consultations et de médicaments vitaux. Merci à chaque membre de la chaîne des soins, des garçons de salle aux médecins de continuer à faire des miracles pour alimenter la vie en belles histoire de guérisons ou de rémissions.
ULCC. L’Unité de lutte contre la corruption a fêté ses vingt ans cette année. Si le bilan n’est pas extraordinaire dans ses domaines de compétence, ce n’est pas faute d’avoir essayé. L’ULCC est saisie, enquête et fait des rapports, mais la justice ne donne pas souvent suite. La corruption a des alliés et une histoire dans le pays qui protège des courroux de la loi. Si peu de procès et encore moins de condamnations ont marqué les 20 ans de l’institution. Cette année, avec l’affaire BNC-CPT (qui a mis en avant les dénonciations du président directeur général de la principale banque commerciale détenue par l’État haïtien – la Banque Nationale de Crédit- contre trois membres du Conseil Présidentiel de Transition, accusés d’avoir tenté de monnayer leur appui pour le garder en fonction), l’Unité de lutte contre la corruption a fait les manchettes de la presse. On ignore comment finira la partie judiciaire de l’affaire, en attendant, la corruption rougit sous les feux de l’actualité comme jamais en Haïti.
La victime inconnue. Les statistiques officielles ont recensé plus de 5 000 Haïtiennes et Haïtiens qui ont péri de mort violente en 2024. Personne n’a le décompte exact des victimes, encore moins celui de ceux qui sont les victimes collatérales de la guerre que les gangs livrent contre la population, particulièrement dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite, les deux plus peuplés du pays. Par ricochet, la violence des gangs tue de mille manières et empoisonne la vie de millions de compatriotes.
Source : Le nouvelliste
Lien : https://lenouvelliste.com/article/252230/les-12-personnalites-de-lannee-2024