« 125 gourdes ! Ak tout kisa ? », répond un homme à une marchande de pain, à quelques encablures d’une station d’essence sur la route de Frères, à Pétion-Ville. Un simple « se pa mwen » de la marchande, entourée de ses pairs et d’autres détaillants de produits alimentaires, détend l’atmosphère, calme cet ouvrier de la construction qui rentrait chez lui en fin d’après-midi.
« Les échanges sont souvent tendus à cause de la flambée du prix du pain », a confié au Nouvelliste Pierre Jean Baptiste, qui est dans ce commerce depuis 1991, quand le sac de 110 livres de farine coûtait 175 gourdes. « Aujourd’hui, il faut 6 150 gourdes pour acheter ce même sac de 110 livres, de 18 marmites », s’est-il plaint, mercredi 19 juillet. La conséquence de cette hausse du prix de la farine est l’envolée des prix du pain
« À mes débuts, le sachet de pain boule coûtait 10 gourdes. Aujourd’hui, il se vend à 100 gourdes », fait savoir Pierre Jean-Baptiste, rencontré au Canapé-Vert, non loin d’une boulangerie. « Pen long, pen pwason, pen boul…Tous les prix ont augmenté. Entre jurons, complaintes, le client achète moins », a-t-il énuméré, craignant un avenir mouvementé si le prix de la farine ne baisse pas.
Pour le moment, il n’y a pas de baisse à l’horizon. « De janvier à fin mars 2022, le sac de 110 est passé de 29 à 39 dollars. Aujourd’hui, à l’usine, il se vend entre 45 et 45,50 dollars », a confié le comptable d’une boulangerie, interrogé par Le Nouvelliste, mardi 19 juillet 2022.
La farine a augmenté d’à peu près 70 % au cours de ces six derniers mois. Le prix des matières grasses, c’est-à-dire mantègue, margarine, a plus que doublé. Le sucre a augmenté de 20 à 30 %. Le carburant représente entre 5 à 10 % du coût du pain. Il y a le taux du dollar qui impacte tous les producteurs. Tous nos ingrédients sont payés en dollars.
« Quand tu passes en quelques mois de 100 gourdes pour 1 dollar à 140 gourdes comme c’est le cas aujourd’hui, c’est une double peine », a confié au Nouvelliste Thiery Attié, responsable d’Epi d’Or, vendredi 22 juillet 2022.
Tout ce qui est possible pour faire des économies a déjà été fait dont la diminution du volume du pain. « On subit des augmentations par rapport au taux du dollar depuis longtemps. Je pense que les pains sont à une taille minimale en deçà de laquelle cela devient une plaisanterie. On avait déjà fait toutes les économies possibles dans les formules et dans le poids du pain. Au bout d’un moment, on ne peut pas aller plus loin. C’est forcément le prix qui augmente. Ce qui a une conséquence sur la consommation », a-t-il dit, soulignant que chaque hausse du prix du pain est synonyme de baisse de la consommation.
« Chaque fois que l’on augmente le prix, c’est comme si l’on se coupe un bras. On sait que les ventes vont baisser. Ce n’est jamais de gaité de cœur que l’on fait les hausses », a dit Thierry Attié qui observe ce qu’il appelle « une folie complète des prix de tout ce qui est alimentaire au niveau mondial. »
« Tout ce que tu achètes a doublé, triplé. Ce sont des augmentations que je n’ai jamais vues quand j’ai commencé à travailler cela fait à peu près trente ans. Avant, quand tu négociais un prix avec ton fournisseur à l’étranger, tu poussais des cris pour une augmentation de 5 %. Aujourd’hui, cela augmente de 40 %. Ton fournisseur te donne une heure pour confirmer la commande sinon le prix va augmenter. C’est dans ce mode de fonctionnement qu’on est », a-t-il dit, espérant, avec le plafonnement des prix des ingrédients que le moins pire serait à venir.
Le prix du sac de 110 livres est de 45 dollars, a confirmé une source proche du secteur de la grande importation de produits alimentaires. L’équivalent de la tonne métrique qui se vendait à 434 dollars en moyenne 2018 est passé à 1 209 dollars début 2022, peu après le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Il se vend aujourd’hui à 776 $. Mais le prix de la farine reste élevé en Haïti à cause du coût du transport, notamment à cause de la guerre en Ukraine, de la flambée des coûts de l’énergie et de la décote accélérée de la gourde par rapport au dollar américain, a-t-il expliqué.
« En janvier 2022, sur le marché informel, en Haïti il fallait 107 gourdes pour 1 dollar. Aujourd’hui, il faut 138 gourdes. Je vends à 138 gourdes. Mais depuis ce mardi matin, j’achète à 140 gourdes pour 1 dollar », a détaillé cette source. En plus de l’inflation, supérieure à 26 % en mai, la gourde a perdu 22.5 % de sa valeur en l’espace de sept mois en 2022.
« Le pays vit une catastrophe extraordinaire. Il n’y a pratiquement pas d’investissements directs étrangers, presque pas d’investissements locaux. Au contraire, on observe une fuite de capitaux vers l’étranger. Beaucoup d’Haïtiens quittent le pays, investissent, achètent des maisons en République dominicaine. Des Haïtiens de la diaspora, à cause de l’insécurité et de la corruption, investissent aussi chez nos voisins. Il y a de moins en moins de devises à entrer dans l’économie », a indiqué cette source, croyant qu’il est grand temps d’agir, de prendre les mesures appropriées.
« Il faut s’attendre à un soulèvement un de ces quatre matins. La crise a atteint son paroxysme sur fond de baisse du pouvoir d’achat des ménages », s’inquiète le comptable de la boulangerie qui s’est confié au Nouvelliste.
Source : Le Nouvelliste
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