Haïti. Le luxe de se loger à Port-au-Prince

En 2024, la crise des déplacements internes en Haïti s’est intensifiée, avec plus de 700 000 personnes forcées de quitter leur domicile, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Cette tragédie a aggravé une situation déjà précaire sur le marché de l’immobilier, où les loyers atteignent des sommets vertigineux, transformant le logement en un luxe inaccessible pour la majorité des Haïtiens.

Haïti n’est plus un pays essentiellement rural. Les crises multiples, les changements climatiques et la recherche d’emploi ont poussé de nombreux habitants des zones rurales vers les grandes villes en quête « d’une vie meilleure ».

Malheureusement, dans un pays comme Haïti, les grandes villes se limitent principalement au département de l’Ouest, et plus précisément à la capitale, véritable centre des structures et infrastructures nationales. Ce département, avec ses 4 983 km², est le plus peuplé du pays.

L’insécurité qui sévit dans le pays, et tout particulièrement dans la capitale, se traduit par plus de 80 % du territoire contrôlé par des gangs armés. Cette insécurité généralisée a vidé certains quartiers autrefois dynamiques, dressant une liste de « territoires perdus » qui ne cesse de s’allonger. Cité Soleil, Carrefour-Feuilles, Bel-Air, Croix-des-Bouquets, Martissant, bas Delmas et Solino sont désormais abandonnés, vidés du jour au lendemain sans intervention réelle de l’État.

Changer de quartier

Incapables de rejoindre leurs familles en province, les déplacés internes affluent dans des communes et quartiers jugés plus sûrs, tels que Pétion-Ville, haut Delmas et Canapé-Vert. Ces zones sont aujourd’hui les plus recherchées. « Si les routes nationales n’étaient pas contrôlées par les gangs, je retournerais à ma ville natale avec toute ma famille depuis longtemps », avait déclaré un père de famille originaire de Jérémie au Nouvelliste en décembre 2024.

Après avoir abandonné des maisons parfois construites durant des années, ces déplacés se tournent vers des camps insalubres, comptent sur la solidarité de proches ou doivent payer des loyers exorbitants.

Se loger à Port-au-Prince n’est plus à la portée de tous. Les zones « sûres », surpeuplées, croulent sous la demande. Cette forte pression, combinée à une offre limitée, a entraîné une flambée spectaculaire des loyers. « 3 000 dollars américains en moyenne pour un logement modeste, qui d’ailleurs est incapable d’accueillir toute ma famille », avait confié une mère monoparentale de six enfants.

Les logements autrefois abordables dans des quartiers comme Solino ou Christ-Roi sont désormais hors de portée pour les familles modestes. Dans les zones « sécurisées », le coût d’un logement simple dépasse souvent les 3 000 dollars américains, une somme exorbitante dans un pays où la majorité des habitants survit avec moins de 2 dollars par jour. Dans ce contexte de chômage et d’inflation galopant, même les besoins fondamentaux comme le logement deviennent un luxe.

Le logement temporaire,
une alternative inaccessible

Face à ces coûts prohibitifs, de nombreuses familles déplacées se tournent vers des solutions temporaires, mais celles-ci restent rares. Certains trouvent refuge chez des amis ou des proches, mais ces arrangements ne suffisent pas à répondre à l’ampleur des besoins. « J’étais à l’aise, ma maison était très confortable. J’ai dû l’abandonner pour me réfugier chez mon frère, qui a accepté de m’héberger », avait raconté une femme dans la quarantaine. Séparée de son mari, qui habite chez un autre proche, elle fait face, comme plusieurs, à la dure réalité du pays.

La méfiance des propriétaires, exacerbée par la montée du banditisme, complique encore davantage l’accès au logement. Dans des quartiers comme Canapé-Vert, « il est devenu courant d’exiger une pièce d’identité ou une recommandation avant de louer un espace », avait indiqué une résidente de la zone.

Pour les déplacés internes, déjà fragilisés par la perte de leurs biens et la séparation familiale, ces barrières sociales et économiques aggravent leur précarité. Les conditions de vie dans les camps improvisés ou les refuges temporaires se dégradent, exacerbant les tensions et les inégalités.

Une aide gouvernementale
jugée insuffisante

En réponse à la crise, le gouvernement a annoncé une enveloppe d’un milliard de gourdes pour soutenir les déplacés. Cependant, cette aide, limitée principalement à la distribution de kits alimentaires, est jugée largement insuffisante par les bénéficiaires.

L’ampleur des besoins dépasse de loin ces interventions ponctuelles. Les déplacés réclament avant tout des solutions durables, telles que le retour sécurisé dans leur foyer ou l’accès à un logement abordable.

Une crise aux multiples facettes

La crise actuelle révèle les profondes inégalités économiques et sociales du pays. L’explosion des loyers n’est pas seulement une conséquence du déplacement massif, mais aussi un symptôme d’une économie en déclin et d’un marché immobilier inadapté aux besoins de la population.

Alors que le gouvernement a annoncé une offensive pour rétablir la sécurité, les déplacés continuent de vivre dans l’incertitude. Sans une réponse coordonnée et des investissements significatifs dans le logement et les infrastructures, cette crise risque de perdurer, laissant des milliers de familles sans toit ni espoir.

Le logement, un besoin fondamental, est devenu un luxe inabordable en Haïti. Cette réalité illustre la nécessité d’une action urgente et concertée pour protéger les populations vulnérables et offrir des solutions à long terme. Dans l’attente de ces mesures, les déplacés internes, les femmes et les enfants en tête, restent les premières victimes d’une crise qui redéfinit le quotidien de milliers d’Haïtiens.

Source : Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/252394/le-luxe-de-se-loger-a-port-au-prince

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email

Actualité

Politique

Economie

CULTURE

LES BONS PLANS​

KARIB'Archives

Rechercher un article par mot clé dans nos archives à partir de 2020

DERNIERES INFOS

LE TOP KARIB'INFO