Le 23 avril 2023, l’association des Haïtiens en Italie Fraternità Haitiana a organisé, sous le haut patronage de la ville hôte de Pise, et en collaboration avec l’ambassade d’Haïti en Italie, une journée pour célébrer la vie de la reine Marie-Louise Coidavid, veuve du roi Henry Christophe, morte en exil à Pise en 1851.
Pour l’occasion, deux panneaux commémoratifs ont été érigés respectivement devant l’église Chiesa di San Donnino, où se trouvent la sépulture de la reine et celle de ses deux filles, et devant la dernière demeure de la reine, sur la Piazza Francesco Carrara. Ces nouvelles enseignes assureront ainsi de manière permanente la promotion de l’histoire d’Haïti dans une des villes italiennes les plus prisées par les touristes internationaux.
En 1824, la reine Marie-Louise avait trouvé un foyer dans cette ville chaude du centre de l’Italie après avoir été en asile transitoire à Londres. Trop froide et difficile en termes de qualité de vie, la capitale du Royaume-Uni dont l’air était souvent pollué à cette époque de la révolution industrielle ne convenait plus pour l’ancienne monarque et sa famille, habituées au climat tropical du Cap-Haïtien. Alors que Pise, dotée d’un climat plus clément et réputé pour les bienfaits thérapeutiques de ses eaux thermales, offrait un répit pour les soucis de santé de la reine et de ses filles tout en leur permettant de se rapprocher géographiquement de l’État de l’Église.
« Je renais de mes cendres »
La reine Marie-Louise est née en 1778 de parents libres. Son père était propriétaire de l’hôtel de la Couronne, situé au Cap-Français (ancien nom du Cap-Haïtien). C’est là, dans cet hôtel considéré comme le plus élégant de Saint-Domingue, que la jeune Marie-Louise Coidavid rencontre Henri Christophe. Le livret D’Haïti au beau théâtre de l’arno pisan, préparé par les historiens Alessandro Panajia et Miriam Franchina pour la commémoration à Pise, raconte que Marie-Louise a contribué à l’éducation et à l’affranchissement de ce dernier.
Le 15 juillet 1793, les deux se marient et de ce mariage naîtront quatre enfants. Entre 1791 et 1804, Henri Christophe joue un rôle de premier plan dans la révolution haïtienne conduisant à l’indépendance, avant de devenir président du pays en 1807. En 1811, lorsqu’il se fait couronner roi dans le Nord, Marie-Louise obtient le titre de reine.
Durant leur règne, l’éducation occupe une place primordiale, avec notamment la création de la Chambre royale d’Instruction publique en 1818. Parmi les initiatives de la reine figure la création d’une légion cérémonielle de soldats exclusivement féminins, connue sous le nom d’Amazones, qui a fait partie de sa suite.
Cette initiative visait à rendre hommage aux nombreuses femmes anonymes qui ont combattu et sont mortes dans la lutte pour la liberté et l’indépendance. Mais en 1820, après l’insurrection populaire conduisant au suicide de son mari et à l’assassinat de son seul fils survivant Jacques-Victor Henry, Marie-Louise entamera une vie d’exilée en Europe avec ses deux filles, Françoise-Améthyste et Anne-Athénaïre, et sa servante Sabine Zefferin.
La mort prématurée de ses filles, Améthisse en 1831, puis Athénaïre en 1839, viendra s’ajouter aux drames de la vie de la veuve Marie-Louise qui avait déjà perdu ses fils (François-Ferdinand, mort enfant en France où il aurait dû recevoir une instruction, et Jacques-Victor, tué peu après le suicide de son père). A plusieurs reprises, elle aura beau entreprendre des démarches pour retourner vivre dans sa terre natale.
Mais ce sera toujours peine perdue. Par exemple, sa lettre adressée au président Boyer en 1839 pour solliciter un passeport à cet effet restera sans réponse. En 1840, Marie-Louise sera rejointe par sa sœur Louise-Geneviève Coidavid Pierrot (qui deviendra la première dame d’Haïti entre 1845 et 1846).
Marie-Louise meurt à Pise le 14 mars 1851 suite à des péripneumonies répétées. Aux yeux des Haïtiens présents à Pise et de ceux qui ont soutenu l’initiative à travers des dons, Marie-Louise est un symbole de courage et de résilience. Elle a été liée toute sa vie à des amis et à des parents en Haïti, comme on peut le constater dans son testament.
Elle est donc une doyenne de la diaspora qui cherche à s’intégrer en Italie tout en gardant un amour profond pour Haïti. La devise du royaume haïtien « je renais de mes cendres » a inspiré non seulement la reine dans sa vie difficile, mais ravive également l’espoir des Haïtiens qui, où qu’ils se trouvent dans le monde, espèrent voir leur patrie renaître.
Durant les dernières années de sa vie, quand elle habitait à Piazza Carrara, la reine fréquentait l’église de San Nicola (ancienne Maison générale des frères Augustiniens). Dans la matinée de la journée de commémoration, le 23 avril, c’est dans cette même paroisse que plus de 60 représentants de la diaspora en Italie et d’autres Haïtiens venus d’Haïti, de France et du Canada ont participé à une cérémonie religieuse solennelle présidée par le père Yvon Amilcar en l’honneur de la reine.
Dans l’après-midi, la salle principale de la municipalité de Pise a accueilli une conférence très suivie, au cours de laquelle des chercheurs et historiens haïtiens et italiens ayant travaillé sur la vie et le lieu de résidence de la défunte reine et leurs liens avec la révolution haïtienne se sont adressés au public.
« Commémorer le passé pour mieux gérer le présent et définir l’avenir »
« La conférence a été l’occasion de commémorer le passé en vue de se pencher sur le présent et l’avenir, à l’égard desquels l’Italie pourrait jouer un rôle significatif en tant que leader mondial dans la préservation des biens culturels, ce, en soutenant la préservation du patrimoine culturel d’Haïti, en particulier dans les lieux historiques du Cap-Haïtien », a expliqué Monette Etienne, présidente de ’ »Fraternità Haitiana » dans un entretien qu’elle nous a accordé après l’événement. Selon elle, des efforts des organisations nationales, régionales et internationales pourraient être mis en œuvre pour des programmes de stabilisation et de réforme en Haïti.
Parmi les intervenants à la conférence, le Dr Miriam Franchina de l’Université de Trèves a souligné la nécessité pour que l’éducation en Italie s’intéresse de plus près à l’histoire sinon négligée d’Haïti. De son côté, le Prof. Alessandro Panaja a présenté son nouveau livre sur l’intégration positive de la reine pendant ses 30 années de résidence sur l’Arno dans la première moitié de 1800, à l’époque du Granducato de Toscane, époque durant laquelle l’Italie n’était pas encore un État unifié.
Dans son exposé, l’écrivaine haïtienne Marie Lucie Vendryes a parlé de ses recherches sur la vie de la reine et a brièvement présenté son roman intitulé Marie-Louise, veuve Henry Christophe, qui s’inspire de la vie et de la correspondance de la reine. Le Dr Hans Alexandre a quant à lui souligné la particularité de la diplomatie du roi Henry 1er avec ses homologues européens, tandis que l’écrivaine italo-haïtienne Nicole Primovic a raconté son expérience d’enfant haïtienne adoptée par une famille italienne, expérience qu’elle a transposée dans deux livres autobiographiques. Elizabeth Rijo, a expliqué les grandes lignes de sa campagne Ayiti Kampé, qui vise à inviter la diaspora haïtienne de partout à être partie intégrante du processus décisionnel et du développement d’Haïti.
Les événements de Pise ont été organisés, conçus et planifiés par Fraternità Haitiana, le Dr Miriam Franchina de l’Université de Trèves (Allemagne), le Prof. Alessandro Panajia et Thérèse Théodore. Ces événements s’inscrivent dans le cadre d’un ensemble d’événements culturels autour de la figure historique de Marie-Louise Christophe, lancé le 25 février 2023 à Rome par l’organisation Fraternità Haitiana, sous le nom Route de la Reine, une initiative qu’elle continue de promouvoir sur son siteweb: (https://amis-de-la-reine.org/).
L’organisation de cette journée à Pise s’est inspirée d’une précédente cérémonie commémorative tenue à Londres le 12 février 2022, où la mémoire de la reine Marie-Louise avait été honorée par l’apposition de deux plaques bleues du patrimoine devant d’anciennes résidences londoniennes.
Honorer la mémoire de la première et unique reine d’Haïti est sans doute un moyen de rendre justice au rôle des femmes dans la révolution haïtienne et dans l’Histoire en général. Symbole de la lutte contre l’esclavage, le colonialisme et le racisme et pionière de la communauté haïtienne en Italie, Marie-Louise Coidavid Christophe figure parmi des femmes qui, par leur courage et leur patriotisme, ont joué un rôle important mais souvent méconnu dans l’histoire du pays.
Source : Le Nouvelliste