Haïti. Insécurité : un bilan à assumer pour pouvoir corriger les choses

Le massacre de plusieurs dizaines de membres de la population civile à Pont Sondé, par le gang  Gran Grif, dans l’Artibonite, au début du mois d’octobre, a suscité l’émoi. Avant cette tragédie, l’Ouest tabule les coups de boutoirs d’autres gangs.

Le gang 400 Mawozo a pris le contrôle de Ganthier, de Thomazeau, de Croix-des-Bouquets. Le gang 103 zonbi a laissé dans son sillage le chaos et une difficile reprise de la vie depuis plusieurs mois à Gressier, aux portes de la région des Palmes.

Sur la terre ferme comme en mer, les bandits imposent leur loi. Après le kidnapping, au large de Port-au-Prince, de deux marins philippins, à bord d’un navire, les gangs ont systématiquement canardé les installations du port de Port-au-Prince et du Caribbean Port Services (CPS). Conséquence : les navires transportant des conteneurs ont déserté ces installations à La Saline depuis un mois ce 11 octobre 2024.

La fermeture du principal port d’Haïti affecte l’alimentation du marché, prive l’Etat de ses ressources sur fond d’explosion de la contrebande à la frontière terrestre extrêmement poreuse avec la République dominicaine. Le spectre de pénurie est redouté par des agents économiques qui prient les saints et les anges pour un retour à la normale au bord de mer et dans toute la baie de Port-au-Prince.

Bien avant les événements tragiques de Pont Sondé, l’ONU a recensé 3 661 personnes tuées depuis le début de l’année 2024. Ces évènements, ces défaillances de l’appareil sécuritaire ont eu lieu pendant l’état d’urgence et une partie de ces 3 661 personnes ont été tuées sous la garde et pendant l’administration CPT/PM Garry Conille, de Rameau Normil, directeur général de la Police nationale d’Haïti (PNH) et du général Godfrey Otunge, chef de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS).

Ces derniers jours, après le massacre de Pont Sondé, d’autres communautés, à Arcahaie (Ouest), Pilate (Nord)…lancent des signaux de détresse. Les bandits ont une nouvelle fois attaqué des quartiers de l’Arcahaie ce jeudi.

Illustration et interrogations

Ces faits illustrent et interrogent. Ils disent que les gangs ont l’initiative. De l’offensive et de la retraite stratégique. Sans inquiétudes ni pertes significatives dans leurs rangs. Les bandits du gang Gran grif de Savien ont attaqué une nouvelle fois la localité de Pont-Sondé, au niveau de la zone de Grasèt, dans la soirée du mardi 8 octobre 2024, cinq jours après le massacre de Pont-Sondé.

Grasèt a toujours été l’une des déviations routières les plus sûres pour éviter Carrefour Pèye, rebaptisé Kafou lanmò par les Artibonitiens. « Ils sont venus ici et ont enlevé 5 personnes adultes », selon le témoignage du pasteur Jean-Robert Alexandre, qui, larmes aux yeux, affirme que les hommes de Lucson Élan ont investi la zone dans le but de prouver que les forces légales déployées dans l’Artibonite ne peuvent pas empêcher leur domination suprême », a rapporté le correspondant de Le Nouvelliste dans le bas Artibonite.

Les faits rapportés l’insuffisance des renforts, la non-consolidation des positions après des opérations pour protéger les habitants de Pont Sonde qui voudraient revenir chez-eux ressemblent à ceux de Ganthier fin juillet début d’août. Le gang 400 Mawozo a bouté hors de la ville les forces de sécurité, rasé le commissariat et incendié un point de contrôle des douanes.

Le chef du gang 400 Mawozo, quiet, s’est mis en scène récemment de manière macabre. Il s’est fait filmer au moment d’abattre deux jeunes hommes qu’il accuse d’être des « petits voleurs ». Sans la moindre émotion, en vrai sociopathe, il a déchargé son fusil T-65 sur ces derniers qu’il affirme avoir trouvé en possession d’un revolver 38.

Quid de l’évaluation ?

L’interrogation, au moment où les gangs semblent être maîtres du jeu, du tempo, concerne l’évaluation de la menace, de leurs compositions, de leurs moyens, des espaces occupés.

Est-ce que les experts des forces de sécurité haïtiennes et les partenaires internationaux ont bien évalué ces aspects, collecter des renseignements fiables sur les modes d’opérations, la communication, la logistique, l’approvisionnement en armes et en munitions, les alliances d’intérêts des gangs avec les cartels de drogue, des contrebandiers et des éléments des forces de sécurités ? Chacun a sa réponse.

Mais l’effort diplomatique pour que la MMAS devienne une force de maintien de la paix renseigne sur les limites de cette évaluation et les obstacles rencontrés afin de fournir le personnel adéquat et les moyens appropriés pour faire face à cette réalité.

Entre-temps, sans une évaluation efficace, des debriefings sérieux, la surprise sera toujours désagréable. Même pour des grades qui ont besoin d’informations fiables pour élaborer des stratégies, bien coordonner et agir avec efficience. « Ce qui m’a beaucoup surpris lorsque je suis arrivé ici, c’est de voir comment les gangs pouvaient oser attaquer en plein jour », a déclaré Godfrey Otunge, le commandant kényan de la force de police multinationale, lors d’une interview au New York Times. « Comment cela peut-il se produire ? », s’est demandé, selon le New York Times.

La question est qui a renseigné et fait le débriefing du commandant Godfrey Otunge ? Le commandant Kenyan a aussi, dans cet article du New York Times, fait état « d’importants progrès » et renouvelle sa volonté de réussir sa mission. Les habitants de Ganthier, Gressier, Pont Sonde et de certains quartiers de la zone métropolitaine de Port-au-Prince voient la réalité avec d’autres yeux. L’Onu a indiqué que plus d’un demi-million de personnes sont des déplacés internes à cause de la violence des gangs.

Si des « petites victoires » ici et là sont à mettre à l’actif des forces de sécurité, elles n’ont pas encore provoqué le basculement souhaité en faveur des forces de l’ordre. Plusieurs communes de la zone métropolitaine de Port-au-Prince et du bas Artibonite. En sortant de la capitale, Port-au-Prince, les routes nationales sont en grande partie contrôlées par les gangs, affectant la libre circulation des personnes et des biens. Cette difficulté est à l’origine de l’aggravation de l’insécurité alimentaire qui touche 5, 4 millions de personnes, soit un Haïtien sur deux.

Assumer le bilan pour ajuster, corriger

Ce bilan, ce passif, les autorités doivent l’assumer. Pour s’ajuster. Pour corriger. Les autorités doivent se rappeler que calculer, évaluer, se renseigner, tromper, surprendre l’adversaire sont le baba de la stratégie. Les autorités doivent être plus discrètes sur les efforts pour doter les forces de sécurité d’équipements. Elles doivent se rappeler, d’un autre côté, que ce ne sont pas les chars, les navires qui gagnent les guerres mais des hommes, des femmes. Des hommes et des femmes, motivés, rassurés, affranchis, dans le cas d’Haïti, de l’influence des cartels, des contrebandiers, des gangs qui se battent pour des idéaux, des causes, pour le camarade, le frère d’armes.

Plus qu’on ne l’imagine, le scandale de la BNC, peut affecter les forces de sécurité. Quand l’argent destiné aux renseignements, essentiel dans l’art de la guerre, est mal utilisé, affecte, selon le rapport de l’ULCC, a des conseillers présidentiels qui ne sont d’aucun apport dans l’élaboration et l’exécution d’opérations, il y a coup terrible porté au moral des troupes.

Des policiers et des militaires peuvent ruminer des interrogations désagréables. Pourquoi se battre pour des jouisseurs présumés, d’anciens casseurs qui encourageaient les destructions et troubles à l’ordre public aujourd’hui catapultés au sommet de l’Etat doivent se demander des policiers et des militaires appelés à mettre leurs vies en ligne de mire ?

Regarder ce bilan en face pour corriger impose aussi un état des lieux objectif du moral des troupes. Quel est l’impact de l’arrestation, de l’incarcération de ce qui est désormais la saga du commissaire principal Livenston Gauthier ? Sans préjuger du fond de l’affaire, on ne serait pas surpris si cela provoque un malaise au sein de la PNH, un certain sentiment de désengagement qu’il faudrait, le cas échéant, aborder avec sérieux, justesse et équité. Il faut faire attention à toute perception, fondée ou erronée, que des frères d’armes sont capables de dévorer des frères. Et que la police, en cas d’infraction d’un membre du corps, le soumet, comme l’exige le code de déontologie, à l’inspection générale, a la justice, avec l’assistance juridique nécessaire ?

Plus que l’on ne l’imagine, les confrontations politiques participent à l’aggravation de l’insécurité. Au plan politique, il serait judicieux d’être proactif, de chercher à résoudre les crises domestiques et éviter le plus que possible des chocs externes, comme celui du rapatriement de 10 000 ressortissants Haïtiens par semaine de la République dominicaine. Sans aucun doute, l’effectif de la MMAS se renforcera dans un avenir proche.

Il y aura d’autres équipements pour les forces de sécurité haïtiennes. Ce sera tant mieux. Mais on comprends qu’il faut un leadership politique respecté et respectable, des forces de sécurité Haïtiennes disposés à consentir encore plus de sacrifices, des idéaux, un projet, une alternative viable, durable par rapport à celle qui a existe aujourd’hui et qui a des bases économiques qu’on ne devrait pas négligées.  Le bilan des derniers mois est terrible. Le reconnaître est un premier pas, s’ajuster et corriger un autre qui pourra sauver des vies…

Source : Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/250826/insecurite-un-bilan-a-assumer-pour-pouvoir-corriger-les-choses

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