Haïti. Insécurité: des patients exécutés et un médecin assassiné

Ce début de semaine est marqué par un pic de l’insécurité dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince. Annulation des vols sur Haïti, exécution de plusieurs patients à bord d’une ambulance de MSF et la mort tragique du Dr Deborah Pierre, médecin-urologue, à la rue Cameau.

L’insécurité est une constante de plusieurs mois à Port-au-Prince. Chaque jour apporte son lot de drames. Entre les balles perdues à Nazon et les zones avoisinantes et les multiples blessés à Solino, les familles font face à la tragédie dans le silence. 

Le mardi 12 novembre 2024, la faucheuse téléguidée par les bandes armées a fait escale non loin de la clinique de la famille du Dr Deborah Pierre.

« Son père, qui est aussi médecin, et elle étaient allés prendre quelques matériels importants dans la clinique voyant la détérioration de la situation. Au moment de quitter l’espace, à la rue Cameau, les bandits qui opéraient dans la zone ont ouvert le feu sur leur voiture. Le Dr Deborah Pierre est morte sur-le-champ tandis que son père, blessé, a été transféré à l’hôpital », rapporte un autre médecin qui travaillait à quelques mètres du lieu du crime.

Deborah Pierre était un médecin, urologue formée à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti ayant bénéficié d’un Fellowship urologie à « Bladder Health and Reconstructive Urology Institute » à Miami sous la supervision du Dr Angelo Gousse.

Dans la note de cadrage de fin de parcours publiée dans la revue de l’Association des médecins haïtiens à l’étranger après ce Fellowship, le Dr Deborah Pierre est présentée comme l’une des deux premières femmes urologues formées à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti. 

Dans une note publiée par l’Association des anciennes élèves du Sacré-Cœur, les anciennes élèves n’ont pas caché leur colère et leur frustration face à ce crime odieux. « C’est avec une profonde douleur et une immense colère que l’Association des anciennes élèves du Sacré-Cœur (AAESC) réagit à l’assassinat tragique du Dr Déborah Pierre, survenu le 12 novembre 2024. Dr Pierre, de la promotion 2006 « Racines de l’Espoir », a perdu la vie dans des circonstances qui révoltent non seulement notre association mais l’ensemble de la population haïtienne. »

« Dr Déborah Pierre était un modèle de dévouement, de courage et de patriotisme. Née le 25 janvier 1988, elle avait choisi, malgré les opportunités offertes ailleurs, de rester en Haïti pour servir son pays. Diplômée de l’Université Notre-Dame d’Haïti (UNDH) en 2013, elle incarnait, par son engagement et son humanité, la promesse d’un avenir meilleur pour Haïti. Le 12 novembre, alors qu’elle tentait d’évacuer son père d’un quartier en proie à la violence, Dr Pierre a été tuée d’un projectile, frappée en plein cœur par la barbarie des gangs armés qui sévissent en toute impunité », peut-on lire dans la note.

« Cet assassinat ne constitue pas seulement une perte cruelle pour sa famille, son mari et son jeune fils, mais également une attaque abominable contre toute la profession médicale, qui travaille sous des conditions impossibles pour sauver des vies. Il est intolérable que les médecins, qui se dévouent corps et âme pour le bien de la population, soient abandonnés à une insécurité de plus en plus violente et meurtrière », ont déploré les anciennes élèves du Sacré-Cœur.

Dans une vidéo devenue virale, elle avait promis au Dr Angelo Gousse de retourner en Haïti pour mettre ses connaissances et compétences à la disposition de la population. Elle est revenue, elle a enseigné, elle a travaillé comme urologue jusqu’au jour de sa mort. 

À quelques kilomètres de ce drame, toujours dans le long chapitre d’insécurité, plusieurs patients emmenés de force d’une ambulance de MSF ont été exécutés le 11 novembre 2024.

« Médecins sans frontières (MSF) condamne avec la plus grande fermeté la mort de plusieurs patients, exécutés après que l’ambulance de MSF dans laquelle ils se trouvaient a été arrêtée par des membres d’une brigade de vigilance et des agents des forces de l’ordre », a déplore l’organisation MSF d’entrée de jeu.

« Le 11 novembre 2024, une ambulance MSF transportant trois jeunes blessés par balle a été stoppée à une centaine de mètres de l’hôpital MSF de Drouillard par la police haïtienne et forcée de procéder à un transfert vers un hôpital public de Port-au-Prince. Après une tentative d’arrestation et des tirs en l’air, la police a escorté l’ambulance jusqu’à l’hôpital La Paix. Sur place, des forces de l’ordre et des membres d’un groupe d’autodéfense ont encerclé l’ambulance, percé les pneus et gazé le personnel MSF à l’intérieur du véhicule pour les forcer à sortir. Ils ont ensuite emmené les blessés un peu plus loin, hors de l’enceinte de l’hôpital, où ils ont abattu au moins deux d’entre eux », ont expliqué les responsables. Et de poursuivre : « Le personnel de MSF dans l’ambulance a été violemment attaqué, insulté, gazé, menacé de mort et retenu contre sa volonté pendant plus de quatre heures avant d’être autorisé à quitter les lieux. L’ambulance MSF ayant été endommagée, elle n’était plus en état de rouler, et toute l’équipe est partie à bord d’un deuxième véhicule. »

« Cet acte est d’une violence inouïe, à la fois pour les patients et pour le personnel médical MSF, et remet sérieusement en question la capacité de MSF à pouvoir délivrer des soins essentiels à la population haïtienne, qui en manque cruellement », déclare Christophe Garnier, chef de mission. « Nos équipes et nos patients ont besoin d’un minimum de sécurité pour continuer à assurer la prise en charge médicale. »  

« MSF est une organisation humanitaire au service de la population haïtienne, qui répond aux besoins médicaux de la population en santé primaire, traumatologie, santé maternelle et infantile, et prise en charge des violences sexuelles. Nous appelons les autorités ainsi que toutes les parties prenantes à respecter le droit d’accès aux soins médicaux sans discrimination ni entrave, et à garantir la protection des patients, ainsi que le respect du personnel médical et des structures de soins face aux violences croissantes », ont souligné les responsables de Médecins sans frontières dans cette note.

Il faut rappeler que ce n’est pas la première fois que l’organisation non gouvernementale MSF se trouve dans l’obligation de publier une note pour rappeler à tous les acteurs le rôle des institutions sanitaires, notamment les hôpitaux dans cette situation. 

Des patients exécutés à l’intérieur des hôpitaux ou emmenés de force pour être exécutés, le tout en prenant à partie les professionnels de santé rappelle la nécessité pour l’État de faire comprendre le travail de ces derniers qui est encadré par un code d’éthique et de déontologie les obligeant à soigner tout le monde, sans distinction.

Source : Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/251430/insecurite-des-patients-executes-et-un-medecin-assassine

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