Abandonner les frontières, fermer les yeux sur les marchandises en « transit » sur le territoire dominicain, laisser entrer des armes et des munitions dont des fusils calibre 50 anti-matériel, dépenser des centaines millions en achats de véhicules blindés, en « renforcement de capacités » des forces de sécurité pour se retrouver à compter des morts par milliers. Le choix des chefs, loufoque, ferait faire presque rire si l’on ne comptait pas les cadavres…
Si les partenaires internationaux et l’Etat haïtien ont dépensé des centaines de millions de dollars dans la mise en place de la MMAS, dans la conception et l’exécution de programmes de renforcement des capacités opérationnelles de la PNH et des FAD’H, deux évidences sautent aux yeux.
Tout l’argent dépensé au mois de mars 2025 n’a ni empêché le contrôle de 80 % de Port-au-Prince par les groupes armés ni la mort de plus de 8 000 personnes en deux ans (2023-2024), encore moins l’exode interne de plus d’un million d’âmes. Les groupes armés, en position dominante dans le rapport de force avec les forces de l’ordre de février 2020 à aujourd’hui, disposent de stocks et de lignes d’alimentations en armes et en munitions.
Lorsqu’il à survécu à une attaque de drone kamikaze le 1er mars 2025, Jimmy Cherizier, alias Barbecue, porte-parole du regroupement de groupes armés dénommé « Viv ansanm », a affirmé qu’il allait faire l’acquisition de cet équipement lui aussi. Au Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé et aux responsables de la « task force » créée pour lutter contre les groupes armés, Cherizier a rappelé que l’on pouvait tout avoir si on a l’argent.
Il a enfoncé une porte ouverte, redit un secret de polichinelle. Les réseaux de trafiquants d’armes et de munitions sont très actifs. Ils utilisent plusieurs routes. Ils profitent de la porosité de la frontière terrestre avec la République dominicaine pour passer des équipements létaux dans le grand flux des marchandises de contrebande. Il est connu aussi au plus haut de l’Etat que des armes et des munitions en provenance de USA, arrivent en transit en République dominicaine avant d’être acheminés en Haïti, a appris Le Nouvelliste de plusieurs sources.
Filière dominicaine, contrebande, marchandises en transit
En début de semaine, il y a eu une autre illustration qui confirme l’implication d’importateurs haïtiens dans l’acheminement de marchandises en transit de Miami comportant cargaisons d’armes et de munitions dissimulées. La Direction générale des douanes (DGA) de la République dominicaine, en coordination avec le ministère public, a intercepté une cargaison contenant 36 000 cartouches, 18 chargeurs de fusils, 13 chargeurs de 9 mm, un chargeur de fusil de calibre 50, un silencieux et une boîte de pistolet. L’opération a également permis de découvrir 23 armes à feu, dont des fusils de gros calibre et une mitrailleuse Uzi, a rapporté Dominican Today.
La cargaison, en provenance de Miami (Floride), était en transit vers Haïti lorsqu’elle a été saisie au cours d’une inspection détaillée. Parmi les armes confisquées figuraient un fusil Barret de calibre 50 mm, 17 fusils de calibre 7,62, un fusil de calibre 9, cinq pistolets Glock de 9 mm et une mitrailleuse Uzi. Cette opération fait suite à une récente saisie de 37 armes à feu dans le même port.
Les autorités continuent d’enquêter sur cette affaire avec le soutien du ministère public, du J-2 du ministère de la défense, du bureau américain des enquêtes sur la sécurité intérieure (HSI) et d’autres agences de sécurité, renforçant ainsi les efforts de lutte contre la contrebande d’armes dans la région, a rapporté Dominican Today.
Du côté haïtien
Des autorités haïtiennes concernées, a appris Le Nouvelliste, travaillent également sur ce dossier.
« Récemment des armes et des munitions ont été dissimulées dans des bonbonnes de propane. C’est un travail de professionnel. Il y a une logistique derrière tout ça. Des marchandises arrivées en transit en République dominicaine, dans des containers, sont souvent transférés dans des camions à destination d’Haïti. Dans certains cas, ce sont des policiers qui conduisent, escortent des marchandises de contrebande. Pour quelques milliers de dollars, ils sacrifient leurs pairs policiers/policières, jouent un rôle funeste dans l’alimentation de la violence », a poursuivi notre source qui souligne qu’il faut, dans cette bataille, prendre au sérieux plusieurs choses dont d’abord la protection de la frontière terrestre.
Frontière quasi abandonnée
La protection de la frontière est une tâche qui incombe à la police, à l’armée et à la douane en dernier lieu. La réalité, a appris le journal, est que l’effectif affecté à la protection de la frontière est dérisoire. Entre la police frontalière (Polifront), des détachements de la BLTS, des agents de l’UDMO dans des villes frontalières ou proches comme Hinche, Mirebalais, il y a à peine 600 policiers pour sécuriser la frontière longue de 392 kilomètres avec la République dominicaine. La police frontalière (Polifront), nominalement en charge de la frontière, compte moins de 400 membres, a appris Le Nouvelliste.
Les relations entre la police et les douanes ne sont pas les meilleures, a regretté une autre source qui a plusieurs exemples de douaniers malmenés par des contrebandiers dans l’indifférence totale de la police. Dans certains cas, des policiers affectés pactisent avec des contrebandiers généreux, a poursuivi notre source, prompte à évoquer le traumatisme du 24 novembre 2018, lorsque trois agents de l’unité de surveillance frontalière ont été lynchés au bureau des douanes Malpasse après avoir lancé des SOS.
« Ces incidents interviennent à la suite d’une altercation survenue lors d’un contrôle douanier de routine quand des individus se sont opposés catégoriquement aux injonctions des douaniers voulant contrôler une cargaison de marchandises suspectes », avait indiqué l’ADG dans un communiqué.
Une personne avait trouvé la mort lors de cette tentative des douaniers pour contrôler cette cargaison avant d’être emportée par la furie. « Une foule en furie, manifestement manipulée par des délinquants identifiés comme des contrebandiers notoires, a attaqué à coups de feu, de pierres et de machettes les agents de l’administration générale des douanes (AGD) », selon la note qui avait souligné que, « durant plus de trois heures, ces individus ont mené une attaque coordonnée contre la structure de contrôle de l’Administration générale des douanes, contre les douaniers mais plus particulièrement contre les agents de la brigade anti-contrebande ».
« Les informations recueillies sur place, ces actes odieux sont l’œuvre d’un puissant réseau de contrebandiers et de trafiquants opérant sur la frontière terrestre haïtien-dominicaine », avait indiqué l’AGD, presque dix ans après le bras de fer, sous la présidence de René Préval qui avait gardé à son poste le directeur de la douane de Malpasse, Jeantal Clervil, détesté par les contrebandiers.
Au fil des années marquées par des abandons et des renoncements, ces réseaux ont continué leurs activités. Le chef de gang « Lanmo San jou » a affirmé qu’il savait acheter des armes et des munitions de fournisseurs basés à Fond Parisien. Il s’est trouvé d’autres fournisseurs. Récemment, pour une énième fois, il a exposé d’autres fusils dont des AK-47, des munitions et s’est réjoui d’avoir dans son arsenal le fusil anti-matériel Barret cal 50. Il s’est réjoui d’avoir donné 120 fusils à ses hommes, responsables des dernières atrocités commises à Tabarre 25.
Craintes de l’effet de la goutte d’huile…
Entre 2021 et fin 2024, Belladère, plaque tournante des importations illégales, a gagné en importance. Le temps dira si le fait de devenir un hub de la contrebande entraînera des conséquences sur la sécurité des populations civiles de Belladère, Lascahobas, Mirebalais et Saut-d’Eau. Pendant plusieurs années, via le port de St Marc, des armes et des munitions sont entrées sur le territoire. Ces derniers temps, des villes du bas-Artibonite dont Petite-Rivière sont devenues invivables. Des groupes, armés par des hommes politiques influents, s’affrontent dans ces communautés. C’est la population civile qui paie le prix fort.
D’autres préoccupations
Il y a, a appris Le Nouvelliste, d’autres préoccupations en ce qui concerne la frontière avec la République dominicaine. « Des rapports de l’ONU font également état de l’acquisition d’armes et de munitions par des groupes paramilitaires tels que la Brigade de surveillance des aires protégées. La Brigade, qui s’est développée entre 2017 et 2024 et compte environ 6 000 membres dans tout le pays, constitue une puissante entité armée qui échappe au contrôle des pouvoirs publics », peut-on lire le dernier rapport de l’ONUCD.
Marchandises en transit
La cargaison d’armes et de munitions saisie en République dominicaine était dissimulée dans des objets usagers, de la marchandise en transit en République dominicaine, a appris Le Nouvelliste. Il y a un triple problème avec les marchandises en transit. Premièrement, cette tactique est utilisée pour ne pas payer les douanes. Des containers de marchandises en transit finissent par entrer en contrebande sur le territoire Haïtien. Des armes et des munitions sont dissimulées dans ces marchandises.
Cette stratégie de certains importateurs prive le trésor public de ses taxes, met encore plus en danger la sécurité publique, réduit le volume d’opérations d’installations portuaires en Haïti, a indiqué notre source. C’est possible, a-t-elle répondu, interrogée sur la possibilité que les attaques contre des installations du port de Port-au-Prince soit un prétexte, une justification de l’importation de marchandise en transit. « Je ne sais pas », a répondu notre source interrogée sur le volume des marchandises en transit et le manque à gagner pour le trésor et pour les installations portuaires haïtiennes.
Les douaniers dominicains ont pu intercepter ces produits létaux au port de Haina parce qu’ils ont un scanner, le RAPISCAN Eagle P60-S, fabriqué aux États-Unis. Il est capable d’inspecter 1000 containers en 24 heures. Ce scanner coûte entre 2,5 et trois millions de dollars us, a poursuivi notre source.
Des coopérants dont la France travaillent avec Haïti sur le renforcement de la sécurité de la sécurité aux frontières, particulièrement dans les ports. Avoir des scanner serait une bonne chose. Pour Port-au-Prince, ce n’est pas tout à fait réaliste avec le climat d’insécurité au bord de mer. Mais il serait tout à fait indiqué pour le port du Cap-Haïtien ou une poignée, quelques dizaines de policiers de la BTLS constitue un rempart pour que le Cap-Haitien ne devienne pas — totalement — la nouvelle destination de prédilection des trafiquants d’armes et de munitions. Avec les conséquences possibles en termes de renforcement du trafic d’armes, de pullulement et de renforcement de gangs.
L’ONUDC a également évoqué la deuxième ville d’Haiti dans son rapport. « Il existe des liaisons maritimes directes entre Port Everglades et Cap-Haïtien. Compte tenu du taux de sous-déclaration, les données relatives aux saisies ne rendent pas parfaitement compte du volume d’armes à feu et de munitions qui entrent en Haïti en violation de l’embargo sur les armes, de l’éventail des catégories d’armes faisant l’objet du trafic, ou de l’étendue des canaux utilisés par les trafiquants pour transporter le matériel ». « L’acquisition de fusils et de munitions de plus en plus gros calibre est préoccupante. »
D’après les rapports antérieurs, les armes de 7,62 x 39 mm, 7,62 x 51 mm et 12,7 x 99 mm sont de plus en plus nombreuses en Haïti, ce qui présente le risque de faire un plus grand nombre de victimes et d’infliger des blessures plus graves. « Comme indiqué dans les rapports précédents, les gangs tels que Grand Ravine, 400 Mawozo et 5 Segonn semblent être les plus actifs dans l’acquisition d’armes à feu et de munitions, y compris avec le soutien d’un ancien chef de l’ Unité de sécurité générale du Palais national », peut-on lire dans ce rapport.
L’insécurité est une problématique connue depuis des années. Les corollaires de l’insécurité sont nombreux, ont des incidences très graves sur la vie des citoyens et des citoyennes. Pour le moment, l’ONUCD produit des rapports, le Conseil de sécurité a établi un embargo sur les armes et les munitions qui continuent d’arriver sur l’île en provenance des USA, principalement.
Mais à date, la protection de la frontière, comme le font les Dominicains qui ont massé des milliers de militaires du CESFRONT, des douaniers, n’est pas à l’ordre du jour. Ceci, plusieurs années après les recommandations du CSIS. Entre-temps, l’ONU veut supporter la MMAS, cherche 908 millions de dollars pour ses opérations humanitaires, soit une augmentation de plus de 30% comparée à 2024.
La réponse, hors contribution de la communauté internationale à travers la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité, se trouve dans le budget de la Police Nationale d’Haïti et dans celui des Forces Armées d’Haïti principalement.
Les deux composantes principales de la réponse sécuritaire disposent de 28.6 milliards de gourdes pour la PNH et de 8.8 milliards de gourdes pour les FADH. Au taux de 131 gourdes pour un dollar, cela fait 285.4 millions de dollars.
Haïti investit 285.4 millions de dollars pour résoudre un problème pour lequel l’ONU cherche 908 millions de dollars. Mais pour le moment, il serait judicieux de commencer par le commencement en matière de défense nationale et de sécurité publique : déterminer ses frontières, se donner les moyens pour les défendre.
Source : Le Nouvelliste