Le dernier roman d’Évelyne Trouillot se déroule entre Port-au-Prince et Les Etats-Unis. C’est une quête d’identité, une leçon de vie, d’humanité. Un petit bijou, finement ciselé.
Ce que qu’on aime dans Les jumelles de la rue Nicolas (Project-Îles, 2023) c’est l’attente que cette histoire laisse en nous. On lit avec attente. Comme toujours, Évelyne trouve un schéma narratif qui capte. Qui laisse le lecteur sur sa soif. On ne ferme pas un livre haletant. Pas avant d’assouvir sa soif et de pouvoir enfin respirer.
C’est un roman à deux voix: la voix de Lorette est en italique (caractères inclinés) et celle de Claudette en romain (caractères droits). Une écriture limpide, efficace. La narration est imparable, d’un souffle romanesque nourri par la connaissance du monde de l’auteure. Nous sommes entre les Etats-Unis et Port-au-Prince. On se balade dans les rues, les aéroports. Tout en promenant son regard sur notre époque. Le passé, le présent mais surtout l’avenir. Avec des personnages qui ont toujours le rêve ailleurs.
« La première fois que j’ai foulé le parquet de l’aéroport JFK, j’ai emporté tout le quartier de Bas Peu de Chose avec moi. Tous les rêves des voisins m’étaient revenus. Comme si j’étais leur porte-parole. La représentante involontaire de leurs rêves. Des rêves vieux d’avant ma naissance, avec leurs béquilles mais debouts quand même. Des rêves tout neufs qui cherchaient où se glisser. Les illusions d’hommes et de femmes qui voulaient presque tous partir, aller ailleurs ».
Ici, son roman permet d’atteindre, sans aucun effort pour le lecteur, des profondeurs abyssales ou de poser des questions essentielles. Pourquoi nos rêves sont-ils toujours ailleurs ? Comment trouver l’autre en nous ? Pourquoi partir est toujours le choix idéal ? Elles sont deux sœurs. Elles ne sont pas soumises. Chacune d’elles voit le monde différemment. Claudette est née deux heures avant Lorette. Pure coïncidence, elles ne sont pas de même mère. Lorette est fille légitime, autrement dit né dans le mariage. Claudette est une fille naturelle née dans le Sud d’Haïti. Elle est issue en dehors du mariage. Les grands-parents de Claudette sont morts de maladies que les services de santé ne pouvaient pas soigner. Sa mère Julie est morte sitôt après sa naissance.
Elle est invitée par son père chez Rose-Marie, sa femme, à Port-au-Prince, durant l’embargo. Claudette et Lorette se rencontrent dans la maison familiale à Bas-Peu de Chose. D’un coup, une alchimie se passe entre eux. Étrangement, elles se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Parfois, les gens prennent Laurette pour Claudette, et vice versa. « De plus, j’ai envie de me retrouver double. Complète. Sans perdre une goutte de folie qui m’attache à toi. Je veux tout. Nos dérives, mes peurs, nos plaisirs, ton extase, nos besoins. D’année en année, j’ai appris que sans toi, je ne serai pas moi ».
Mais comment se dérouleront les destins de ces personnages qui grandissent à l’ombre de Rose Marie, femme autoritaire ayant une peur bleue de l’autre.
Évelyne Trouillot, littéraire, cultive la passion des mots. Elle aime les agencer, les croquer, les regarder. Elle les font jaillir comme une source vivifiante. Ici, l’écriture lui sert à nommer les choses comme elles sont. Elle sait peindre les âmes. Ses deux personnages sont des êtres sensibles qui ne voient pas le monde sans amour, sans tendresse.
Si le point aveugle (Javier Cercas) c’est Haïti, l’identité, l’enfance, on ne ferme pas ce roman sans penser à ces déclarations d’amour, ces attachements, ces témoignages touchants qui nous frappent. Lire ce roman c’est écouter des histoires, c’est plonger dans le passé d’Haïti. Mais c’est surtout apprendre à explorer l’être. Une plongée dans notre passé intime et notre rapport à l’autre. Une réflexion sur l’identité. En lisant Les jumelles de la rue Nicolas, on ne peut éprouver qu’empathie et émotion.
Source : Le Nouvelliste
Lien : https://www.lenouvelliste.com/article/243865/evelyne-trouillot-ici-et-ailleurs