« Les passions qui émergent naturellement lors d’une campagne électorale ne devraient en aucun cas servir de prétexte à la xénophobie ou au racisme dans un pays tel que les États-Unis, une nation forgée par des immigrants de toutes origines et qui s’est érigée en modèle de démocratie à l’échelle mondiale », a déclaré le président du Conseil présidentiel de transition, Edgard Leblanc Fils, à la tribune de l’ONU, jeudi 26 septembre 2024. Il appelle à la solidarité internationale pour aider Haïti à sortir de sa situation actuelle. Nous publions l’intégralité du discours.
Chers compatriotes,
J’ai l’immense honneur de représenter, ici, à la tribune de l’Assemblée Générale des Nations Unies, à un carrefour particulier de son histoire, le peuple haïtien, digne et fier, qui, malgré les tempêtes de tous ordres, a toujours su se relever. Première République noire du monde, Haïti porte dans ses entrailles la fierté d’une lutte héroïque pour la liberté et la dignité humaine. Elle se trouve, aujourd’hui, à un carrefour décisif. C’est donc avec le poids de cette histoire et l’espoir d’un avenir meilleur que je m’adresse à vous, en appelant à la solidarité agissante de la communauté internationale.
Permettez-moi, tout d’abord, d’adresser mes chaleureuses félicitations à vous, Son Excellence Philémon Yang, ancien Premier Ministre du Cameroun, pour votre élection en tant que Président de cette 79e session de l’Assemblée Générale. Haïti se tient fermement à vos côtés et vous assure de tout son soutien tout au long de votre mandat, afin de faire de cette session un succès pour l’ensemble de la communauté internationale.
Qu’il me soit permis aussi de saluer l’excellente qualité du travail accompli au cours de la 78e session par votre prédécesseur, Son Excellence Monsieur Dennis Francis de Trinité et Tobago, qui a su conduire les travaux avec dextérité, sagesse et leadership.
Je saisis également cette occasion pour exprimer, au nom du peuple haïtien, toute notre gratitude à vous, Monsieur le Secrétaire Général Antonio Guterres, pour votre visite en Haïti. Votre présence sur notre sol et votre soutien indéfectible à notre démarche auprès du Conseil de Sécurité, notamment pour renforcer la Police Nationale d’Haïti, vos récentes interventions en faveur d’Haïti, ont été vivement appréciées et resteront gravées dans nos mémoires.
2. Gratitude envers la communauté internationale
Je tiens à exprimer ma plus profonde gratitude à la communauté internationale pour le soutien apporté à mon pays en ces temps de crise. Cette solidarité, qu’elle se manifeste à travers des initiatives de sécurité, d’aide humanitaire ou de soutien au développement, est grandement appréciée. Par cette coopération continue et mieux adaptée, Haïti se remettra plus forte, plus résiliente et engagera, confiante, sa marche assurée vers le développement et le progrès.
Je salue, ici, tous les compatriotes Haïtiens à travers le monde, qui tout en restant attachés à leur pays natal, sont obligés de chercher d’autres cieux plus cléments pour gagner leur vie. Tout le monde reconnait qu’ils sont de rudes travailleurs. Je veux leur dire, partout où ils se trouvent que le Conseil Présidentiel de Transition et le Gouvernement pensent à eux en attendant que les conditions soient réunies pour qu’ils reviennent au bercail. J’en profite pour saluer Amnistie Internationale et d’autres organismes opérant dans le domaine de la défense des droits humains qui suivent de près les violations des droits des migrants haïtiens à travers le monde.
Je me permets, au nom du peuple haïtien, de saluer fraternellement tous les amis d’Haïti qui ont fait preuve de solidarité envers les migrants de notre pays, en particulier ceux résidant à Springfield, dans l’Ohio, aux États-Unis. La longue histoire d’amitié et de solidarité réciproque entre nos deux nations, depuis notre participation à la bataille de Savannah en 1779, nous permet de dire avec confiance que le peuple américain rejette toute incitation à la haine contre notre communauté. La participation active des immigrés haïtiens à différents niveaux de la vie des États-Unis est tangible et significative.
À cet égard, les passions qui émergent naturellement lors d’une campagne électorale ne devraient en aucun cas servir de prétexte à la xénophobie ou au racisme dans un pays tel que les États-Unis, une nation forgée par des immigrants de toutes origines et qui s’est érigée en modèle de démocratie à l’échelle mondiale.
3. Importance du thème du débat général
Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,
Le thème de cette 79e Assemblée Générale, « Ne laisser personne de côté : agir ensemble pour la paix, le développement durable et la dignité humaine des générations présentes et futures », résonne profondément avec les défis majeurs auxquels le monde est confronté aujourd’hui. Ce thème est un appel urgent à l’unité et à la coopération internationale dans un contexte où les inégalités, les conflits et la crise climatique exacerbent la vulnérabilité de millions de personnes à travers le globe. Alors que de nombreuses nations peinent à atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD), il est plus que jamais nécessaire de garantir que toutes les voix, en particulier celles des plus marginalisées, soient incluses dans les processus de décision mondiaux.
Cette thématique revêt également une importance capitale dans le contexte de la crise actuelle en Haïti. Il incarne l’essence même de notre lutte pour restaurer la paix et la stabilité, tout en assurant que chaque citoyen haïtien, chaque citoyenne puisse jouir de ses droits fondamentaux. Agir ensemble, comme le souligne le thème, est essentiel pour Haïti, car notre redressement ne peut se faire pleinement sans cette solidarité internationale.
4. Les grands défis mondiaux et les préoccupations des Nations Unies
Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,
Aujourd’hui, notre monde est confronté à des défis d’une ampleur sans précédent, des défis qui préoccupent profondément l’ensemble de la communauté internationale. Les Nations Unies, dans leur mission historique de promouvoir la paix, la sécurité et le développement durable, se retrouvent en première ligne face à des crises qui menacent non seulement des nations isolées mais l’ensemble de l’humanité.
Le changement climatique est sans doute l’un des plus grands périls de notre époque. D’après les données récentes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la température mondiale a déjà augmenté d’environ 1,1°C depuis l’ère préindustrielle. Cette élévation a provoqué une intensification des phénomènes climatiques extrêmes tels que les ouragans, les sécheresses et les inondations, des catastrophes qui affectent particulièrement les nations les plus vulnérables comme Haïti.
En 2023, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a estimé que plus de 100 millions de personnes supplémentaires risquent de basculer dans la pauvreté d’ici à 2030 en raison des effets du changement climatique. Pour Haïti, qui fait partie des pays les moins émetteurs de gaz à effet de serre, mais qui en subit les impacts les plus dévastateurs, cette crise mondiale exacerbe nos difficultés à garantir la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau potable et la stabilité économique.
Les conflits armés continuent également de semer la destruction et de ravager des vies humaines. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), le nombre de personnes déplacées de force a atteint 110 millions en 2023, un chiffre qui n’a jamais été aussi élevé dans l’histoire de l’humanité. Que ce soit en Syrie, en Ukraine, ou dans la région du Sahel, ces conflits prolongés exacerbent la pauvreté, détruisent des infrastructures vitales et entraînent des flux massifs de réfugiés. Le monde ne peut rester inactif alors que des millions d’hommes, de femmes et d’enfants fuient les violences, en quête de sécurité et de dignité. L’engagement de la communauté internationale est plus que jamais nécessaire pour trouver des solutions diplomatiques et promouvoir des initiatives de consolidation de la paix.
Un autre défi majeur concerne les inégalités économiques qui continuent de se creuser. Selon le Rapport sur le développement humain 2023 du PNUD, près de 1,2 milliard de personnes vivent encore dans la pauvreté multidimensionnelle, c’est-à-dire qu’elles manquent d’accès à des services essentiels tels que la santé, l’éducation et des conditions de vie décentes. La pandémie de COVID-19 a amplifié ces inégalités, poussant des millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté. Pour des nations comme Haïti, l’impact a été dévastateur. Avec un taux de pauvreté des plus élevés, le pays fait face à des défis structurels profonds. Mais ces inégalités ne sont pas seulement un problème haïtien, elles sont un problème mondial qui requiert des réformes économiques globales.
En outre, les défis liés à l’insécurité alimentaire se sont intensifiés ces dernières années. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), plus de 735 millions de personnes dans le monde ont souffert de la faim en 2022, une augmentation alarmante qui reflète les perturbations causées par les conflits, les crises économiques et le changement climatique. Haïti, malheureusement, ne fait pas exception. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a récemment souligné que près de la moitié de la population haïtienne est en situation d’insécurité alimentaire aiguë. Cette situation n’est pas seulement une urgence humanitaire, mais une menace pour la stabilité de notre nation. Nous devons travailler ensemble pour renforcer les systèmes agricoles, garantir un accès équitable aux ressources alimentaires, et lutter contre la faim de manière concertée et durable.
Enfin, les progrès technologiques apportent de nouvelles opportunités, mais également de nouvelles menaces. L’accélération du développement de l’intelligence artificielle, la prolifération des cyberattaques et la désinformation mettent en danger la stabilité des démocraties à travers le monde. Le rapport de l’Union internationale des télécommunications (UIT) montre que la fracture numérique reste un défi majeur, avec près de 2,7 milliards de personnes n’ayant toujours pas accès à Internet en 2023. Haïti, étant l’un des pays les moins connectés, doit impérativement bénéficier d’un soutien pour combler cette fracture numérique et participer pleinement à l’économie mondiale du XXIème siècle.
Cette année, Haïti réaffirme son engagement en faveur de la préservation de notre patrimoine commun, les océans. C’est pourquoi j’annonce aujourd’hui, avec fierté, que Haïti signera l’Accord sur la Biodiversité Marine au-delà des Juridictions Nationales (BBNJ), adopté le 19 juin 2023 et ouvert à la signature depuis le 20 septembre 2023. Cet accord est un outil crucial pour garantir la protection de la biodiversité marine, promouvoir une exploitation durable des ressources marines et renforcer la résilience des États insulaires comme le nôtre face aux défis du changement climatique. Haïti est déterminée à collaborer avec la communauté internationale pour s’assurer que cet accord profite à toute l’humanité, tout en contribuant à la protection des écosystèmes marins dont nous dépendons tous.
Ces défis mondiaux ne peuvent être relevés que par un engagement renouvelé en faveur du multilatéralisme, de la solidarité et de l’action collective. Haïti, malgré ses difficultés, se tient prête à collaborer avec la communauté internationale pour surmonter ces crises et bâtir un avenir où la paix, la justice et la dignité humaine triomphent. Mais nous ne pouvons y arriver seuls. C’est ensemble que nous devons agir pour garantir que personne ne soit laissée de côté.
En proclamant l’indépendance d’Haïti, le premier janvier 1804, le général Jean-Jacques Dessalines, Père Fondateur de notre Patrie, a donné aux Droits de l’Homme leur caractère universel. En d’autres termes, avec le triomphe de la Révolution haïtienne de 1804 ayant lancé le processus de démantèlement de l’ordre colonial et esclavagiste, les Droits de l’Homme ont cessé d’être uniquement les Droits de l’homme blanc pour devenir les Droits de tous les hommes et de toutes les femmes, c’est-à-dire les Droits de l’Humanité tout entière.
À ce titre, en tant que représentant de la République d’Haïti et porte-parole officiel du peuple haïtien, je me vois dans l’obligation d’attirer l’attention des dirigeants des grandes puissances sur le danger de guerre nucléaire menaçant l’existence des peuples sur tous les continents.
Dans cette optique, au nom de la République d’Haïti, je lance un vibrant appel aux Chefs d’État de tous les pays membres des Nations unies pour leur demander d’éviter à l’Humanité le péril de la fin de la civilisation sur terre.
5. Parcours et expérience du Président Leblanc
Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs,
Je m’exprime aujourd’hui avec l’expérience de plusieurs années consacrées au service de mon pays. Mon parcours politique, profondément ancré dans l’histoire d’Haïti, m’a permis de traverser de nombreuses épreuves, toujours avec un même objectif : le progrès de mon pays ; la fierté, la dignité restaurée et le bien-être du peuple haïtien meurtri. Ayant présidé le Sénat de la République de 1995 à 2000, puis ayant été témoin de moments critiques de notre histoire politique, j’ai vu de près les défis auxquels notre nation a été confrontée. Mon engagement politique remonte à une époque où les luttes pour la stabilité et la démocratie étaient omniprésentes.
Aujourd’hui, en tant que Président du Conseil présidentiel de transition (CPT), je me retrouve à nouveau à un moment charnière de l’histoire d’Haïti. Mon parcours m’a enseigné que la résilience et la volonté collective sont les seules voies pour garantir un avenir stable et prospère. C’est avec cette vision, ce dévouement et la force que confère cette riche expérience politique, que je m’engage à conduire la Transition, déterminé à mener Haïti vers la paix, la sécurité et la démocratie participative par la tenue de la Conférence nationale et le renouvellement du personnel politique à travers des élections libres, crédibles, transparentes.
6. Union nationale et responsabilité haïtienne
Le peuple haïtien, malgré ces épreuves auxquelles il est confronté, refuse de se laisser submerger par le désespoir. Des défis d’une ampleur sans précédent : une violence dévastatrice, une instabilité politique persistante, une précarité quasi générale et une pauvreté dégradante, se posent à son intelligence et à ses capacités d’action. Au milieu de cette tempête, il a compris qu’il lui fallait prendre une décision courageuse : celle de se mettre ensemble, de s’unir malgré les différences profondes pour pouvoir se relever et se mettre en marche, en toute confiance, vers la sortie de la crise multidimensionnelle qui l’afflige depuis déjà trop longtemps.
La création du Conseil Présidentiel de Transition est une matérialisation de cette décision, un exemple tangible de cette volonté de se réconcilier avec soi-même. Ce Conseil, qui rassemble organisations de la société civile et toutes les tendances politiques du pays, est le fruit de longues négociations. Il incarne la pluralité de la société haïtienne. Sa feuille de route est claire : restaurer la sécurité publique, organiser des élections libres et transparentes à la fin de l’année 2025, rétablir la confiance dans les institutions de l’Etat. Pour y parvenir, nous, Responsables au plus haut niveau de l’Etat, savons que nous aurons besoin du soutien de la communauté internationale, mais d’abord nous devons compter sur nous-mêmes, sur notre résilience, notre capacité à surmonter les divergences, les divisions internes.
7. Responsabilité partagée de la communauté internationale
Il est important de souligner que la résolution des problèmes d’Haïti repose avant tout sur les épaules du peuple haïtien. Il est de notre devoir, en tant que nation souveraine, de prendre en main notre destin, de surmonter les divisions et de construire ensemble un avenir de paix et de prospérité. Cependant, cette responsabilité n’incombe pas seulement à nous. La communauté internationale, les Nations Unies, les puissances étrangères qui ont souvent joué un rôle décisif dans l’histoire d’Haïti ont également une part essentielle dans ce processus de restauration de la paix, de redressement économique, de développement institutionnel et d’établissement d’un Etat de droit. En ce sens, l’échec d’Haïti à se relever n’est pas seulement celui d’une nation. Il traduit un échec collectif, une incapacité mondiale à respecter pleinement les principes de solidarité, de justice et de coopération internationale. C’est ensemble, avec une responsabilité partagée et un engagement renouvelé, que nous pourrons transformer cette crise en opportunité et tracer une voie durable vers la paix.
8. Problème de sécurité nationale et crime contre l’humanité
Aujourd’hui, Haïti fait face à une crise sécuritaire d’une gravité sans précédent. La montée en puissance des gangs armés, la violence généralisée et l’instabilité politique ont plongé la nation dans un état de vulnérabilité extrême. Les citoyens vivent dans la peur, incapables de circuler librement partout sur le territoire national, d’aller travailler ou d’envoyer leurs enfants à l’école, sans risque, notamment dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, la capitale. Cette situation affecte tous les aspects de la société haïtienne, fragilise les institutions, paralyse l’économie, mine l’espoir de lendemain meilleur.
L’avenir du pays est menacé. Cinquante pourcent (50%) de l’effectif des gangs de la région de la capitale sont constitués d’enfants et d’adolescents filles et garçons. Ils servent souvent de chair à canon lors des opérations contre les forces de l’ordre. Ils sont l’objet de graves violences de toutes sortes y compris des violences sexuelles. Ces abus et violences exercés contre des enfants et des adolescents doivent être considérés comme un crime contre l’humanité.
Le rétablissement de la sécurité nationale est une priorité absolue pour les autorités haïtiennes. Elles sont pleinement engagées à mettre fin à cette spirale de violence et à restaurer l’ordre, afin de garantir à chaque citoyen, à chaque citoyenne le droit fondamental à la sécurité. Elles sont conscientes que la paix et la stabilité sont les fondements indispensables pour permettre à Haïti de se redresser, de rétablir la confiance dans ses institutions et d’assurer le développement socioéconomique du peuple.
Dans cette optique, la décision du Conseil de Sécurité d’autoriser le déploiement de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MSS) à travers la résolution 2699 a été une réponse directe aux appels du peuple haïtien. Cette mission, bien que n’étant pas une force onusienne classique, incarne l’engagement de la communauté internationale à soutenir Haïti dans sa lutte contre l’insécurité. J’exprime, au nom du peuple haïtien, ma profonde gratitude aux États contributeurs, notamment au Kenya, pour avoir accepté d’assumer le leadership de la Mission, ainsi qu’à tous les pays qui y ont apporté leur soutien. Les forces de sécurité nationales avec l’appui de la Mission ont déjà montré des résultats tangibles sur le terrain permettant à la population de retrouver progressivement une certaine normalité. Beaucoup reste encore à faire.
Haïti a accueilli plusieurs missions des Nations Unies au cours des trois dernières décennies, notamment la MINUSTAH. Si certaines de ces missions ont contribué à stabiliser temporairement le pays, elles ont également laissé un héritage lourd de conséquences. Des allégations de violations graves des droits humains, y compris des abus sexuels, ont ébranlé la confiance du peuple haïtien. L’absence de poursuites et de réparations pour les victimes a renforcé un certain sentiment d’impunité, minant ainsi les efforts de reconstruction.
Il n’est cependant jamais trop tard pour bien agir et pour tirer des leçons du passé. En repensant l’approche, nous avons l’opportunité de redorer le blason des missions internationales en Haïti et de construire un avenir meilleur pour le peuple haïtien. C’est dans cet esprit que nous souhaitons voir amorcer une réflexion sur la transformation de la Mission de Soutien à la Sécurité (MSS) en une Mission d’Opération de Maintien de la Paix (OMP) sous mandat de l’Organisation des Nations Unies. Cette transformation permettrait non seulement de sécuriser un financement plus stable et d’élargir les capacités de la mission, mais également de renforcer l’engagement des États membres en faveur de la sécurité en Haïti. Je suis convaincu que ce changement de statut, tout en s’assurant que les erreurs du passé ne se répètent pas, garantira le plein succès de la Mission en Haïti.
9. Réparation historique et justice
Excellences, Mesdames et messieurs,
Je me tiens, aujourd’hui, devant cette Assemblée, en tant que voix de la République d’Haïti, pays dont l’histoire est inextricablement liée aux idéaux de liberté et de justice que nous célébrons tous ici. Mais Haïti, la première nation noire indépendante du monde, est aussi la grande victime d’une injustice historique qui a non seulement retardé son développement, a aussi marqué son peuple d’un fardeau dont les répercussions se font encore sentir.
En 1825, à peine 21 ans après avoir gagné sa liberté au prix d’une lutte héroïque, Haïti a été contrainte de payer une dette colossale à la France, pays colonisateur, en échange de la reconnaissance de son indépendance. Cette rançon, imposée sous la menace, a siphonné les ressources de la jeune nation, la plongeant dans un cycle infernal d’appauvrissement dont elle peine toujours à sortir. Cette dette a été une forme de punition pour sa hardiesse à se libérer des chaînes de l’esclavage et hisser l’être haïtien à la dignité de l’Homme. Elle a été une pénalité injuste qui a asphyxié le potentiel économique et social du peuple noir d’Haïti pendant des générations.
Dans le contexte d’aujourd’hui où plus que jamais l’attention est portée sur les efforts pour restaurer sans délai la sécurité et répondre aux immenses besoins humanitaires en Haïti, il me parait important d’attirer l’attention de l’Assemblée sur les séquelles du passé colonial et des rançons payées à certaines puissances qui ont largement hypothéqué le développement d’Haïti. Il n’est pas sans intérêt de rappeler qu’Haïti a été le seul pays à avoir payé pour son indépendance obtenue pourtant dans le feu et le sang. A la veille du bicentenaire de cet évènement inédit dans l’histoire du monde n’est-il pas venu le moment de la restitution des montants consentis ?
A cet égard, mon pays s’est félicité des propositions formulées par un certain nombre de Gouvernements et également certaines agences des Nations Unies pour des actions concrètes en vue de la reconnaissance, la réparation et la restitution des torts du passé. Haïti a confiance sans réserve dans l’Organisation des Nations Unies, dont les piliers sont la lutte pour l’égalité entre les peuples et le maintien de la paix entre les nations, pour jouer son rôle notamment dans la mise en place de mécanismes appropriés pour faciliter le dialogue entre les pays victimes de la colonisation et les anciennes puissances coloniales.
Ici, à cette 79e session de l’Assemblée Générale, Haïti est, par mon entremise, non pas simplement pour revendiquer une réparation, mais pour poser une question de principe, celle de la justice immanente. Ma démarche est résolument engagée, structurée et bien documentée. Le Comité National de Restitution et Réparation, en collaboration avec la Commission des Réparations de la CARICOM, a déjà entrepris des travaux exhaustifs sur ce sujet. Nous demandons la reconnaissance d’une dette morale et historique et la mise en œuvre de réparations justes et appropriées qui permettront à notre peuple de se libérer des chaînes invisibles de ce passé injuste.
11. Conclusion
Excellences, Mesdames et Messieurs,
L’histoire nous enseigne que les nations ne se relèvent pas dans l’isolement, mais dans l’union des forces, dans l’engagement résolu à bâtir un avenir commun. Haïti, cette terre qui a offert au monde un symbole de liberté inébranlable et qui a aidé plusieurs nations à se libérer du joug du colonialisme barbare, ne cherche pas la charité, mais la justice, le respect de sa dignité et de son droit à une existence digne et prospère. Les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui sont certes immenses, mais ils ne sont pas insurmontables. Ils exigent de nous tous une vision partagée, un sens profond de notre humanité commune, et la détermination à transformer les crises en occasions de renouveau.
Chaque nation, grande ou petite, riche ou vulnérable, porte une part de l’avenir collectif entre ses mains. C’est dans cette interdépendance que réside la force véritable du multilatéralisme. Que ce débat général soit le moment où nous réaffirmons notre engagement indéfectible envers la paix, la dignité humaine, et le développement durable, car ce que nous faisons aujourd’hui r
ésonnera dans les siècles à venir. L’histoire jugera la manière dont nous aurons su répondre aux défis de notre temps. Ensemble, dans un esprit de solidarité et de coopération, nous pouvons et nous devons construire un avenir où aucun peuple, aucune nation, ne sera laissé pour compte. Vive Haïti ! Vive la coopération internationale ! DEMAIN, UN AUTRE PAYS ! DEMAIN, UN AUTRE MONDE ! Je vous remercie pour votre attention.
Source : Le Nouvelliste