Haïti. Derrière chaque policier, il y a une famille qui s’inquiète

Applaudis quand ils marquent un point dans la bataille contre l’insécurité, critiqués quand ils causent une bavure, les policiers sont très présents dans l’actualité haïtienne. Derrière ces hommes et ces femmes qui sont en première ligne dans la bataille contre l’insécurité, souvent au péril même de leur vie, il y a des fils, des filles et des femmes qui, dans l’ombre, souffrent. On ne les voit cependant pas, ils sont toujours en état d’alerte et s’attendent toujours au pire.

Hérode, 30 ans, est fils de policier. Ancien soldat des Forces Armées d’Haïti (FAd’H), son père a rejoint les rangs de la Police nationale d’Haïti en 2004. En février 2024, Hérode a eu la plus grande frayeur de sa vie. « Le 19 février, dans la matinée, alors que j’étais à mon travail, j’ai reçu un appel de mon père. Il m’a dit : Cela pourrait être la dernière fois que tu m’entends », raconte Hérode. Le père d’Hérode était affecté au commissariat de Terre Rouge, une localité dans le département du Centre. La veille de cet appel, des bandits ont envahi cette localité et le commissariat a été pris d’assaut.

« Nous avons passé vingt-quatre heures sans ses nouvelles. C’est par voie de presse qu’on a appris l’attaque du commissariat où il était. Ma mère, mes frères et ma sœur ont été très bouleversés », conte Hérode au journal. Son père aura la vie sauve grâce à des habitants de la zone qui l’ont caché dans leur domicile. Depuis, son père a été transféré à la Direction départementale de l’Ouest (DDO). Cependant, la famille est loin d’oublier l’épisode de février. « À chaque fois qu’il sort de la maison, on est tous en prière, car on sait que c’est peut-être la dernière fois qu’on le voit vivant. Nous vivons avec cette peur au quotidien », confie Hérode.

Cette peur, Marie* l’a connue. Son conjoint policier de la 26e promotion a travaillé au sein de l’Unité départementale de maintien de l’ordre. « Je vivais dans une peur constante. Tant qu’il n’était pas rentré, j’étais sur le qui-vive. J’attendais toujours son appel et m’attendais toujours au pire », se rappelle Marie.

« Parfois, il partait en opération dans des zones où la communication était difficile. Je surveillais les nouvelles de ces zones sur les réseaux sociaux. Et les rares fois où il pouvait m’appeler, quand il le faisait, je m’inquiétais encore plus car je ne savais pas ce qu’il allait m’annoncer », rapporte cette jeune dame au journal. Son mari a travaillé à Croix-des-Bouquets, à Bon-Repos et à Thomazeau.

« Un soir, lors d’une patrouille, ils ont eu un accident. Mon mari est sorti avec une double fracture au bras. J’ai reçu un appel de l’un de ses collègues, qui m’a rapporté la nouvelle et m’a dit qu’il était à l’hôpital. Je me suis mis à faire tous les films inimaginables dans ma tête; en plus je n’arrivais plus à joindre ni mon mari ni le collègue qui m’avait appelé. Quand j’ai pu me rendre à l’hôpital, c’était une délivrance pour moi », avoue Marie, qui n’était pas au bout de ses péripéties. C’était l’une des premières fois, mais pas la dernière.

En 2022, lors des premières attaques contre le commissariat de Bon-Repos, son mari a été touché d’une balle dans le dos alors qu’il se trouvait à bord de l’un des blindés de la PNH. Le soir où elle a appris cette nouvelle, Marie a cru qu’elle ne reverrait plus son mari. Transféré aux urgences à l’hôpital Bernard Mevs, son mari a pu être pris en charge.

À l’été 2024, le conjoint de Marie a quitté le pays et l’a rejointe au Canada où elle s’était établie. « C’est une délivrance pour moi de n’avoir plus à vivre dans cet état de stress », s’exclame Marie.

Jasmine*, elle, n’a pas eu cette chance. Son fiancé issu de la 28e promotion était affecté à la Brigade de lutte contre le trafic de stupéfiants (BLTS). « J’étais toujours stressée et nerveuse à l’idée de savoir qu’il pouvait lui arriver du mal », raconte Jasmine.

Le 2 décembre 2022, en route pour rejoindre son poste de travail situé à Malpasse, les bandits de « 400 mawozo » l’ont intercepté. Il a été abattu et déchiqueté. « Ce jour-là, j’ai attendu son appel pendant longtemps. Finalement, quand je l’ai appelé, ce sont les bandits qui m’ont répondu. J’ai été… choquée », se remémore Jasmine, la voix encore empreinte de tristesse quand elle évoque cet épisode.

Une chasse aux policiers et à leurs
proches dans plusieurs quartiers

Dans plusieurs quartiers, les policiers et leurs proches sont mal vus dans les quartiers contrôlés par les bandits. Avec la nouvelle configuration, les familles des policiers ne sont pas à l’abri d’attaques. Hérode peut en témoigner.

« Le 11 novembre 2024, des individus ont pénétré notre cour, ils ont forcé une partie de la porte d’entrée mais Dieu merci, un voisin a appelé des agents de police qui sont arrivés à temps et les ont contraints à prendre la fuite », relate Hérode, qui habitait Caradeux. Bien avant cette attaque, son père policier avait reçu plusieurs appels anonymes le traitant de tous les noms et proférant des menaces à l’encontre de sa famille.

Pour se mettre à l’abri, Hérode et sa famille se sont retirés de cette zone qu’ils habitaient depuis 2011 et attendent que la situation se calme avant d’y retourner.

Sarah*, une ancienne résidente de la commune de Carrefour, a été obligée, elle et sa famille, de quitter la commune. Le petit frère de Sarah a intégré la Brigade d’opération et d’intervention départementale (BOID), il y a peu. « Des hommes armés sont venus dans la zone demander des indications sur notre demeure. Ils sont venus chez nous pour savoir où était notre frère et la raison pour laquelle ils ne le remarquaient plus dans le quartier », témoigne Sarah. Aujourd’hui, une partie de sa famille vit dans le département du Sud dans leur province d’origine. Sarah, quant à elle, vit à Tabarre avec sa sœur.

La chasse aux policiers et leurs proches est un fait courant dans plusieurs quartiers contrôlés par les gangs. À la mi-novembre, dans la zone d’Aral, dans la commune de Cité Soleil, des bandits à la solde de Jeff « Gwo lwa » Larose, de concert avec des bandits de ce quartier, ont mené une attaque afin de déloger les policiers et leurs proches. « Cette attaque est survenue après qu’un blindé de la PNH, surnommé par les bandits ʺTi Viniciusʺ a réussi à pénétrer la zone à deux reprises en une semaine. Selon les bandits, ce sont les policiers de la zone qui fournissent des informations à leurs frères d’armes », a indiqué une source sur place.

À Carrefour, à Santo, dans la commune de la Croix-des-Bouquets, des cas similaires ont été rapportés. Autant que les agents des forces de l’ordre sont menacés, leurs proches ne sont pas toujours hors de danger compte tenu de l’inquiétude dans laquelle ils vivent.

Les noms marqués d’un astérisque (*) sont des noms d’emprunt

Source : Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/252131/derriere-chaque-policier-il-y-a-une-famille-qui-sinquiete

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