Au Forum économique mondial de Davos 2025, la dette coloniale d’Haïti envers la France a été évoquée dans une perspective plus large de restitution et de reconnaissance des injustices historiques.
Ce débat s’inscrit dans une dynamique mondiale croissante dénonçant le colonialisme économique, dont les effets continuent de structurer les inégalités entre le Nord et le Sud global.
Comme chaque année, la publication du rapport annuel d’Oxfam sur les inégalités dans le monde a coïncidé avec l’ouverture du Forum de Davos. Et le rapport d’Oxfam de cette année, “Takers, Not Makers : The Unjust Poverty and Unearned Wealth of Colonial Inheritance”, soutient que le colonialisme ne fut pas seulement une domination politique, mais un système économique conçu pour enrichir une élite au détriment des peuples colonisés.
Ce rapport rappelle qu’en 1825, sous la menace d’une intervention militaire française, Haïti a été contrainte de payer à la France une rançon sous la forme d’une dette dont le remboursement et les emprunts contractés pour l’honorer a duré 122 ans, le dernier versement ayant été effectué en 1947 et souligne l’impact dévastateur de cette dette sur l’économie haïtienne.
« Après l’abolition de l’esclavage et son indépendance de la France, Haïti a été forcée d’emprunter pour rembourser les propriétaires d’esclaves 150 millions de francs, l’équivalent de 21 milliards de dollars, dont 80 % sont allés aux propriétaires d’esclaves les plus riches. Cela a déclenché le cycle de la dette et de la catastrophe qui se poursuit à ce jour », explique Amitabh Behar, directeur exécutif d’Oxfam International.
Selon Oxfam, il s’agissait là d’une dette injuste avec des conséquences persistantes. En effet, pour rembourser cette dette, Haïti a dû contracter des prêts auprès de banques françaises, créant ainsi un cercle vicieux d’endettement. Cette ponction massive de ressources a empêché le pays d’investir dans ses infrastructures et son développement industriel. Alors que d’autres nations ont bénéficié du plan Marshall ou d’annulation de dettes après des crises économiques, Haïti a continué de payer le prix de son émancipation.
Dans une enquête approfondie publiée en 2022, le New York Times avait d’ailleurs estimé que les sommes versées à la France à partir de 1825 pour indemniser les esclavagistes auraient coûté au pays jusqu’à 115 milliards de dollars en valeur actuelle si cet argent avait été investi dans l’économie haïtienne. Cette perte colossale illustre l’ampleur des conséquences économiques de cette dette imposée.
Le rapport d’Oxfam met en évidence cette dette comme un exemple frappant des relations inégales entre les grandes puissances et les nations post-coloniales. Aujourd’hui, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander la reconnaissance de cette dette comme une injustice historique et la mise en place d’actions concrètes pour une réparation économique.
Dans son rapport et ses interventions lors du Forum de Davos de cette année, Oxfam a appelé à des réformes urgentes pour lutter contre les inégalités historiques liées au colonialisme, en particulier pour des pays comme Haïti. Leur plaidoyer inclut la reconnaissance des injustices coloniales, la réparation des torts passés par le biais de compensations économiques et la révision des structures mondiales qui perpétuent les déséquilibres. Ils insistent sur la nécessité d’une gouvernance mondiale plus équitable et encouragent les alliances entre pays du Sud pour favoriser des échanges commerciaux justes, indépendants des anciennes puissances coloniales.
Le plaidoyer d’Oxfam au Forum de Davos inscrit cette discussion dans un débat plus vaste sur la restitution et la reconnaissance des formes d’exploitation héritées du colonialisme en mettant en lumière un système économique mondial qui continue d’extraire les ressources des pays du Sud au profit des élites du Nord.
« Pour chaque dollar donné en aide par les nations les plus riches, 4 $ sont remboursés aux pays riches à travers des mécanismes économiques inégaux. » Cette inégalité structurelle, qualifiée par l’auteur du rapport de « colonialisme milliardaire », illustre comment les flux financiers perpétuent un système d’exploitation déguisé.
Carl-Henry Cadet (Le Nouvelliste)
Lien : https://lenouvelliste.com/article/252739/haiti-a-davos-2025-comment-reparer-une-injustice-economique