Haïti. Crise sécuritaire et humanitaire : Garry Conille appelle à « un engagement sans fard » des pays amis

Le Premier ministre Garry Conille a exprimé son impatience au moment d’appeler à « un engagement sans fard » de la communauté internationale, lors d’une réunion ad hoc du Groupe de coordination internationale de l’assistance en sécurité en Haïti (GCIAS), à l’hôtel Montana, jeudi 8 août 2024, a appris Le Nouvelliste de sources généralement bien informées.

Le Premier ministre Garry Conille, « franc » et « direct », un tantinet « ému », s’est exprimé en présence du chef de la police, Rameau Normil, du commandant de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) Godfrey Otunge, de la représentante du secrétaire général de l’ONU, Maria Isabel Salvador, de l’ambassadeur du Canada, André François Giroux et d’autres partenaires internationaux, a appris le journal.  

« Les enfants d’Haïti ne sont pas moins méritants que ceux des autres pays…! », a soutenu le Premier Garry Conille, dans un contexte d’état d’urgence sécuritaire décrété par l’exécutif dans quatorze communes contrôlées par les bandes armées, de retard dans la livraison d’équipements aux forces de sécurité haïtienne, à la MMAS, d’un faible niveau de financement de la mission, de difficultés à compléter l’effectif de cette mission qui doit atteindre 2 500 membres.

Ces derniers jours, des bandes armées, après Gressier, ont pris le contrôle de Ganthier, sont aux portes de Fond-Parisien et de la cité du drapeau, Arcahaie.

A cette réunion de coordination, « le Premier ministre a été très franc, très direct. Il a exprimé son impatience et indiqué ce qui manquaitTout prend du temps. Tout est lent. Il faut agir vite. Il faut faire l’impossible », a appelé le Premier ministre Conille, a indiqué une source diplomatique qui voit d’un bon œil « ce message politique » porté à cette réunion généralement technique de ce groupe coordonné par le Canada.

« Le message du commandant de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) Godfrey Otunge était dans la même ligne que celui du Premier ministre Conille. C’est une mission en phase de déploiement », a poursuivi notre source. « On est bien conscient qu’il faut que cela bouge », a concédé cette source diplomatique, soulignant que ce n’est pas impossible de vaincre les gangs.

« Il faut les équipements. Mais surtout à temps », a commenté cette source diplomatique qui voit dans l’Assemblée générale de l’ONU en septembre prochain la possibilité d’avoir des rencontres de haut niveau pour mobiliser le reste de la communauté internationale sur Haïti. « Cela va être critique », a prédit cette source.

« Le Premier ministre Garry Conille a été très direct et correct. Il a dit clairement qu’il y a un besoin de plus d’appui pour la PNH et la MMAS. La MMAS est dans une phase de déploiement. L’effectif et les moyens ne suffisent pas. On manque de financement. Les engagements pris tardent à se concrétiser. Cela fait huit mois depuis la création du fonds fiduciaire pour la MMAS. On s’attendait à des contributions mais cela ne s’est pas concrétisé », a confirmé une autre source diplomatique.

« Je suis préoccupé », a avoué cette source. « Le Premier ministre comprend ses limitations politiques et ses limitations dans le temps. Et il sait qu’il doit donner des résultats rapidement », a dit notre source.

« Nous vivons un moment très difficile. L’espoir est toujours là mais si on ne voit pas de résultats, cela peut devenir très compliqué », a prévenu notre source.

« Je suis moi aussi dans un moment de frustration. Même si Haïti est sur la table et qu’il y a beaucoup d’offres, cela traine. Il est important que les pays qui ont exprimé un intérêt agissent », a lancé cette source, qui reconnaît qu’il y a d’autres priorités dans le monde.

Sans langue de bois

Cette semaine dans une interview à l’émission Hard Talk de la BBC, le premier ministre Garry Conille a confié que le déploiement de la MMAS « est trop lent et que les Haïtiens s’impatientent ».

« Sans aide, la situation peut rapidement se détériorer », a soutenu Garry Conille, qui a mis en avant la fragilité de la transition qui a fondé beaucoup d’espoir dans un soutien rapide de la communauté internationale sur le plan sécuritaire et humanitaire. Des politiciens aux aguets sont susceptibles de « capitaliser » sur la détresse de la population, a expliqué Conille.

« Nous sommes extrêmement préoccupés. Les supports promis à Haïti arrivent trop lentement. Le peuple haïtien a été extrêmement patient, a poursuivi le PM Conille dans cette interview à la BBC. Il est extrêmement important que les engagements pris par des partenaires et des pays voisins se concrétisent le plus rapidement possible », a poursuivi Conille, signalant que l’appel à contribution pour les interventions humanitaires est financé à moins de 30 % et cela ne va pas mieux sur le plan de la sécurité.

Le PM Conille a dit que le phénomène des gangs n’est pas propre à Haïti. Mais Haïti, avec un ratio de 103 policiers pour 100 000 habitants, a des désavantages majeurs dans cette lutte . 

Interrogé sur les règles d’engagement des membres de la MMAS, Garry Conille a laissé comprendre que la mission d’appui la PNH fait face à une réalité. Ce sont des policiers, non des militaires. Ils ne pourront ouvrir le feu sur le terrain que s’ils sentent que leurs vies sont en danger, a dit Conille, qui a affirmé que, eu égard aux critiques contre les policiers kényans, accusés de violation des droits humains, d’exécution sommaire dans leur pays, que ces derniers respectent les lois internationales et haïtiennes. Ils fournissent jusqu’ici un « accompagnement exemplaire », a assuré le Premier ministre Garry Conille dans cette interview avec la BBC.

Entre-temps, Le Nouvelliste a appris que des équipements supplémentaires doivent arriver pour la PNH ainsi que pour la MMAS. Mais pour le moment, il n’y a pas d’information publique sur le montant exact disponible pour financer la finalisation du déploiement de la MMAS ni sur l’intégralité des décaissements effectués dans les 70 millions de dollars fournis par l’administration Biden.

Au début de l’été, CNN avait indiqué qu’une publication sur le site web du département de la Défense (ministère de la Défense) des USA a attribué un contrat de 30 millions de dollars à Garda World Federal Services LLC pour des services privés de sécurité et de protection en Haïti pour les entrepreneurs qui préparent la base de la Mission multinationale d’appui à la sécurité.

L’alerte ignorée… 

Avant le grand déferlement de violence du début de l’année 2024 confirmant l’hégémonie des gangs et leur contrôle quasi total sur plus d’une dizaine de communes d’Haïti, le Premier ministre Ariel Henry avait le soutien d’une large part de la communauté internationale. Le fonds d’appui à la PNH a été créé en 2021, au niveau bilatéral, l’enveloppe — hors contribution à la MMAS — de la coopération en matière des USA et du Canada était supérieure de 300 millions de dollars et le Conseil de sécurité de l’ONU avait autorisé en octobre 2023 le déploiement de la Mission multinationale d’appui à la sécurité presque un an après la demande formulée par le gouvernement Henry.

En mars 2023, lors d’une réunion à l’OEA, Helen Meagher Lalim au-delà du caractère prémonitoire de ses propos, avait mis en garde sur ce qui pouvait se passer et dressait en seul mot le portrait de cette coopération en un seul mot : « On tourne en rond ».

« Il n’y a que 9 000 officiers en service, un pays entier à surveiller. Les gangs sont tellement armés que les policiers restent dans leurs commissariats. Ils ne sortent pas pour combattre les gangs (…) Existe-t-il un plan, une stratégie pour reconstruire la police ? Si c’était le cas, je ne serais pas ici en train de demander les forces dont nous avons besoin. Haïti ne pourra pas résoudre ce problème tout seul avec plus de formation. Ils ne sont plus que 9 000… », avait indiqué Helen Meagher La Lime. Haïti a besoin du soutien d’une force, d’un soutien de combat pour pouvoir montrer qu’il y a un effort en cours pour dominer les gangs.

S’il n’y parvient pas, le pays continuera à s’enfoncer dans la spirale d’un Etat failli, avait prévenu Helen Meagher La Lime, qui avait tiré la sonnette d’alarme. Mais cela n’a pas permis d’avoir une coopération plus efficiente en matière de sécurité. Ni prévenir les milliers de morts de fin 2023 et des six premiers mois de 2024. 

Le PM Conille s’exprime, prend à témoin l’opinion sur les besoins, les engagements non tenus. Le temps dira assez vite si les USA et la communauté internationale lui réservent ou non un sort similaire à celui de son prédécesseur, Ariel Henry.  

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