Haïti. « Chez nous, le pensionnaire est un condamné à mort »

Seulement, il arrive qu’on meurt ; et les causes qui font mourir sont plus ou moins visibles, mais leur effet est toujours le même. La vie n’a plus la saveur de la vie. Plaisir aussi bien que douleur, tout est frelaté ; l’action est comme une source tarie. Alors il est inévitable que le monde s’écroule faute d’action. Pour ceux qui ne veulent plus vivre, c’est bientôt la fin du monde. C’est ainsi qu’on meurt. Mourir, c’est renoncer.

Auguste Chatier

Les droits de l’homme se définissent généralement comme des droits attachés à la personne humaine. Il s’agit des prérogatives reconnues aux individus, considérées comme inhérentes à la personne humaine et essentielles à la démocratie et à la paix, par conséquent reconnues par des normes de valeur constitutionnelle ou par des conventions internationales, afin que leur respect soit assuré, même contre l’État.

Récemment on a donné comme prime en décembre une partie du montant de la retraite sans aucune explication, comme si c’était une faveur qu’on accordait aux pensionnaires. Mais non ! Les pensionnaires sont des citoyens comme tous les citoyens avec les mêmes besoins que les fonctionnaires. On accorde le boni aux fonctionnaires et une prime (qui équivaut à un mois de pension) aux retraités. On leur doit l’intégralité de la prime.

De plus, on augmente le salaire du personnel de la fonction publique sans indexer le montant de la retraite proportionnellement au coût de la vie et à la décote de la gourde, tout simplement parce les retraités ne connaissent pas leurs droits !

Pour combattre la corruption, il faut commencer par réduire les inégalités sociales en votant des lois qui apaisent les tensions sociales et en les appliquant dans leur intégralité avec la dernière rigueur et sans parti pris. Ces lois doivent aussi  éliminer les inquiétudes et éviter les frustrations inutiles.

« L’inquiétude et les incertitudes du lendemain
font peur aux fonctionnaires publics haïtiens »

Après le départ du président Manigat, on a vu le Premier ministre haïtien, Me Martial Célestin, circuler en ville sur grande distance à pied. Il était accompagné d’une servante. Il avait un pansement au pied droit et était obligé d’utiliser un bâton comme support pour marcher non sans difficulté. Il venait de voir son médecin. On n’a aucun respect pour son passé, pour sa personne et pour le prestige de la fonction qu’il a occupée dans le pays.

Un haut et grand dignitaire du gouvernement d’Ariel Henry a dit à l’ex-première dame, Martine Moïse, lors de son dernier voyage en Haïti pour commémorer le premier anniversaire de la mort de l’ex-président Jouvenel Moïse, que l’Etat ne lui doit absolument rien comme retraitée après l’assassinat crapuleux du président Jovenel Moïse pendant l’exercice de son mandat présidentiel. C’est réellement inquiétant, frustrant et révoltant ; aberrant et inimaginable ! Cette loi, on doit la refaire, nécessairement !

L’inquiétude et les incertitudes du lendemain font peur aux fonctionnaires publics haïtiens, c’est pourquoi ils n’aiment pas aller à la retraite. Dans certaines institutions, certains cadres ne sont plus en mesure de produire, mais ils luttent contre ce départ incontournable. Même actifs, certains d’entre eux n’arrivent même pas à faire face à leurs obligations.

Quelques exemples sont nécessaires pour illustrer ces affirmations : un enseignant dans un lycée ne demandera jamais d’aller à la retraite avec une seule chaire de cours quel que soient son âge et son nombre d’années. Il est obligé de travailler jusqu’à la mort.

« Que peuvent faire les anciens directeurs
qui ont fait carrière dans la fonction publique
avec une retraite de 35 300 misérables gourdes ? »

Nous avons actuellement des pensions qui sont inférieures à 15 000 gourdes, à 10 000 gourdes (79 euros). Ces retraités condamnés à la misère ne peuvent même pas dépenser 1 500 gourdes par jour. Certains directeurs généraux ayant fait carrière dans la fonction publique n’ont même pas 50 000 gourdes comme pension de retraite.

Que peuvent faire les anciens directeurs qui ont fait carrière dans la fonction publique avec une retraite de 35 300 misérables gourdes par les temps qui courent ? Ils sont condamnés à la mendicité. Et cela ne gêne personne dans la société. Ils croupissent dans la misère la plus abjecte et la plus noire. Alors que tout devient plus cher. Ils deviennent des proies faciles pour les usuriers. C’est un système à repenser totalement !

Récemment on a demandé 6 000 gourdes par personne pour une représentation de Ti Sentaniz de Maurice Sixto. Le retraité qui s’y rend avec sa femme doit payer 12 000 gourdes en principal. Ce n’est plus de son âge. L’admission à une soirée dansante se fait maintenant à 1 000 gourdes. Accompagné de son épouse, il paiera 2.000 gourdes. Le retraité pourra faire cet effort seulement une fois l’an.

Pour être seulement consulté par un médecin privé, il faut payer 4 000 gourdes par visite, sans analyse ni médicament. S’il paie deux visites médicales, effectue des analyses avec profil lipidique, une radiographie et acheter des médicaments, un chèque de pension d’un mois ne saurait suffire.

C’aurait été une illusion de prétendre se faire traiter à l’extérieur du pays, si les circonstances l’y commandent, sous prétexte qu’on a une assurance et qu’on est retraité. Nous sommes condamnés à vivre avec une décote vertigineuse de la gourde et une pension misérable. Nos assurances ne fonctionnement même pas correctement de manière interne, que dire à l’international.

On fait payer les assurances à tous les fonctionnaires publics même si dans les sections communales, il n’y a ni médecin ni centre de santé. Le montant de notre pension n’est même pas équivalent à l’assistance que les pays organisés donnent à leurs chômeurs.

« Le fonctionnaire public vole et pille les caisses publiques,
sans commune mesure, pour assurer son lendemain »

Certains pensionnaires sont obligés de se chercher du travail dans le privé pour arrondir leur fin de mois et pour ne pas mourir de faim. Il faut 100 gourdes pour une course simple. Il n’y a presque plus d’offre sur le marché inférieur à 25 gourdes. On doit disposer de 10 000 gourdes pour s’offrir une servante ; 1 250 à 1 500 gourdes pour un gallon d’essence ; plus de 500 gourdes pour un « chen jambé ». Avec 1 000 gourdes, on ne peut pas s’offrir deux repas par jour. Il n’y a aucune réglementation dans le loyer. Certaines transactions se font même en dollars américains

A l’âge de la pension, la retraite impose certaines conditions de suivi et de contrôle médical annuel, ce qui nécessite des débours considérables qu’il est difficile de réaliser sans assurance. Dans la grande majorité, les médecins n’acceptent pas d’assurance. Le client paie cash et le médecin remplit pour lui le formulaire d’assurance. S’il subit un traitement majeur, il doit le payer de sa poche. Le retraité n’a pas d’assurance. Pour comble de malheur, certains examens paramédicaux réalisés même ici en Haïti se paient en dollars américains. Le retraité est embarrassé d’une façon ou d’une autre.

Le fonctionnaire en poste est dévoré par l’idée que demain, il sera à la retraite. Il vole et pille les caisses publiques, sans commune mesure, pour assurer son lendemain. Chez nous, le pensionnaire est un condamné à mort. S’il ne veut pas mourir de faim à la retraite, il doit assurer ses arrières. Il nous faut corriger tous ces écarts et mettre tout le monde (fonctionnaires / retraités) en état de fonctionner et de vivre correctement.

Il est aujourd’hui clairement admis que lorsqu’on parle d’universalité des droits de l’homme, on fait allusion à des droits attribués à la personne humaine, de l’un ou de l’autre sexe, sur la base de l’égalité entre les sexes et sans aucune discrimination entre les droits, tels qu’ils ont été reconnus, consacrés par les instruments internationaux adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies.

Les organismes de défense des droits humains, les partis politiques, les médias, les journaux, les membres de la société civile, le protecteur du Citoyen, le secteur religieux n’ont pas considéré les retraités comme un secteur vital de la vie nationale, digne de considérations, dont les droits ont été et sont toujours violés et bafoués, pour leur apporter leur support et leur soutien, en vue d’une régularisation.

Islam Louis Etienne dans Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/237423/la-mise-a-la-retraite-est-elle-une-punition-ou-un-chatiment-en-haiti#

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