Cela a commencé en 2021. Quand dans la banlieue sud de Port-au-Prince un gang armé a provoqué la fuite massive d’habitants du quartier de Martissant.
2021 a été l’année de la première vague de ce phénomène pour lequel on a forgé un nom. Les territoires perdus de la République. Des communes ou quartiers où l’État ne contrôle plus rien. 2024, la superficie de ces territoires perdus de la République a augmenté. Du Nord au Sud, les territoires qui échappent au contrôle de l’État sont nombreux.
La perte de contrôle de territoires par l’État devient un phénomène bien réel. Des groupes armés profèrent des menaces, marchent sur des zones, tuent, incendient, violent. Rien qu’en 2023, des bandits à la solde de Izo 5 segond attaquent Carrefour-Feuilles et contraignent des milliers de familles à la fuite. 2024, la situation n’a pas été meilleure. Dès le mois de janvier, des résidents qui vivaient à la rue Laraque et dans les environs ont rapporté des bandits à pied d’œuvre dans cette zone.
Des dizaines de bandits, armes à la main, ont pillé systématiquement des maisons à la rue Edmond Paul jusqu’à la rue Villedrouin, en passant par l’avenue Muller et la rue Alexandre. Il n’y pas eu qu’une fois, puisque les habitants de l’avenue Magloire Ambroise, de la rue Cameau et des environs avaient la peur au ventre. Des menaces allaient bon train sur ces zones.
29 février 2024, la journée s’annonce paisible quand, dans la matinée, des balles s’abattent sur l’aéroport international Toussaint Louverture. Plusieurs installations sont touchées et même un avion de ligne. Dans les nouvelles, on annonce la reprise de la coalition armée « Viv ansanm », qui revendique l’attaque. Port-au-Prince et ses environs s’embrasent. Des balles sifflent. Tout est en mode arrêt.
Au fil des journées, les attaques se suivent. Des institutions publiques et privées au bas de la ville sont mises à sac. Les nouvelles sont relayées sur les réseaux sociaux, où même les bandits s’amusent à filmer leur forfait. Du 29 février au 21 mai, pas moins d’une dizaine d’installations de police sont attaquées.
Le 29 février, des gangs marchent sur le sous-commissariat de Bon-Repos. Cette attaque s’est soldée par l’assassinat de cinq des six policiers sur place. Les jours qui suivent, les deux plus grands centres carcéraux du pays : Le pénitencier national et la prison civile de la Croix-des-Bouquets sont vidés. Les prisonniers relâchés et une bonne majorité vont grossir les rangs des gangs. Pour certains, ils étaient en détention préventive pour leur implication dans des dossiers importants.
Depuis les gangs ont attaqué partout. À la Croix-des-Bouquets, après avoir attaqué le commissariat et le sous-commissariat de la commune, les gangs ont pillé toutes les succursales de banques, les dépôts de provisions alimentaires et autres entreprises de la place. Les locaux de la mairie, de la Direction générale des impôts et de l’Office d’assurance véhicule contre tiers (OAVCT) ont été vandalisés puis incendiés.
A deux reprises, le gang dirigé par le criminel Wilson Joseph, alias « Lanmò san jou », a tenté de construire un mur sur la route nationale # 8 pour contrôler tous les déplacements vers des communes plus reculées.
Dans d’autres communes, l’État s’est retiré tout simplement. Les autorités communales, là où elles restent en poste, sans moyens ne peuvent rien faire pour protéger la population. Et comme la nature a horreur du vide, dans ces zones, les bandits s’y installent et règnent en toute quiétude.
Dans la commune de Carrefour, après avoir chassé les policiers du commissariat et du sous-commissariat, les bandits contrôlent tout dans la commune et imposent leurs lois. Des témoignages rapportent que dans cette commune, les bandits se substituent aux tribunaux et vont jusqu’à trancher des différends entre des voisins.
Ganthier, Arcahaie, Cabaret, Mariani, Gressier, Carrefour, des communes autrefois paisibles ont toutes échappé au contrôle de l’État durant l’année 2024. Solino, célèbre pour être le quartier général de Shaba Level, un rara très populaire en Haïti, après avoir résisté des mois, est tombé aux mains des bandits. Nazon, quartier limitrophe, n’a pas pu résister non plus.
Les données des agences des Nations Unies font état de 80% de la région métropolitaine de Port-au-Prince sous contrôle des gangs. La mainmise par des gangsters sur ces territoires n’est pas sans conséquence. Les offres en matière de santé, d’éducation et d’espace de socialisation ont diminué. Entre février et mars, Le Nouvelliste a recensé au moins 18 institutions sanitaires non fonctionnelles dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince. Il va sans dire que ce chiffre n’a pas cessé d’augmenter avec le contrôle d’autres zones.
Par ailleurs, des gens qui habitent encore des zones contrôlées par les malfrats, dans certains cas, font état de calme et de paix dans ces zones. Pourtant, le climat peut basculer à tout moment. À Wharf Jérémie, dans la commune de Cité Soleil, début décembre 2024, plus de 207 personnes ont été assassinées par le gang de Micanor, selon un rapport d’enquête publié par le Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH), publié le 23 décembre 2024.
Les victimes étaient en majorité des personnes âgées, accusées de sorcellerie après la mort du fils du chef de gang. Toutes ces personnes ont été tuées pendant six jours.
Dans la capitale et ses environs, devant les difficultés de l’État à protéger les vies et les biens, ce sont les citoyens qui prennent en main leur sécurité. Dans ce contexte, des brigades de vigilance sont organisées par les citoyens pour prévenir toute attaque d’assaillants.
Dans les rues de Port-au-Prince, il est courant de se faire arrêter à une certaine heure par des jeunes gens cagoulés et armés pour une fouille. Cette pratique, si elle apporte une certaine solution jusqu’ici, peut représenter un danger à l’avenir.
De plus, les quartiers se barricadent. À Port-au-Prince, comme à Delmas ou à Pétion-Ville, des barrières sont érigées à l’entrée de plusieurs quartiers et dans certains cas sur la voie publique, à l’initiative des citoyens. Un problème de plus que l’État devra gérer quand il pourra reprendre en main la situation.
Source : Le Nouvelliste
Lien : https://lenouvelliste.com/article/252492/ces-communes-ou-letat-ne-controle-plus-rien