Haïti. Aéroport Toussaint-Louverture : la traversée du désert

L’aéroport Toussaint-Louverture ressemble drôlement à la « zone libre » des années 1940 pendant la Seconde Guerre mondiale.

L’aéroport-Toussaint Louverture ressemble drôlement à la « zone libre » des années 1940 pendant la Seconde Guerre mondiale. Les bénéficiaires du programme Humanitarian Parole de Biden y agissent comme des persécutés, pressés de quitter un territoire où la vie leur est tout simplement interdite.

Le parking de l’aéroport est bondé, il a fallu de longues minutes de négociation pour y trouver une place, ce dimanche. La place se paie jusqu’à 250 gourdes à l’occasion.

La salle de départ est remplie, les policiers sont au four et au moulin en vue d’en faciliter l’accès aux voyageurs. Tout est visqueux à l’aéroport en ce dimanche ensoleillé. « La dernière fois qu’on a vu une situation pareille, c’était avec les voyages au Chili », se réjouit un cambiste qui vend le dollar américain jusqu’à 170 gourdes pour certains. Tout fonctionne à merveille, estime-t-il, heureux dans le tohu-bohu ambiant.

« En Haïti, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Aujourd’hui, toutes les personnes qui ont une activité à l’aéroport sont dans une période de vaches grasses. Je vends en moyenne 15 000 USD par jour depuis l’annonce du programme Biden. Avant c’était autour de 7 000 USD », confie un cambiste.

À l’intérieur, des groupes de voyageurs sont remarqués : ceux qui ont l’enveloppe jaune, potentiels bénéficiaires du programme humanitaire de Biden, et ceux qui n’en ont pas. Certaines compagnies aériennes ont une ligne spéciale pour les bénéficiaires du « cadeau Biden ». « Au fil du temps, ils occupent plus de 70% dans nos vols ; peu importe la date considérée, on fait le maximum pour fournir un accompagnement à ces bénéficiaires », informe une employée de American Airlines.

Les bénéficiaires, enveloppe jaune en main, dégagent une odeur d’impatience. Bien regroupés, plutôt disciplinés, ils n’hésitent pas à poser des questions, simples en apparence, qui aident à anticiper certaines difficultés. « Il me reste combien de contrôles ? Les avions décollent toujours à l’heure indiquée ? etc. », demande un bénéficiaire à un voyageur expérimenté.

Un autre a dû attendre 30 minutes avant de réaliser qu’il n’était pas dans la bonne file d’attente. Il s’est trompé de compagnie aérienne. « Mon cousin m’a donné l’heure du vol, mais il a oublié de préciser la compagnie aérienne. Heureusement que je suis dans les temps pour le vol, sinon j’aurais raté l’avion. Je n’ai pas envie de passer un jour de plus dans ce pays », lâche James, un bénéficiaire domicilié à Delmas 31, qui avoue avoir vendu tout ce qu’il possédait.

James est un agronome formé dans une université privée à Port-au-Prince. Il avoue avoir essayé plusieurs emplois avant de se retrouver dans une situation compliquée à la Croix-des-Bouquets où il a passé 15 ans avant d’avoir été contraint de déménager. « J’ai passé deux ans à essayer de m’inventer une nouvelle vie, mais c’est tellement compliqué. Ce programme est une bouée de sauvetage pour moi. J’aime ce pays, mais pas au prix de sacrifier ma vie. Si tout va bien, dans 10 ans, j’y reviendrai », se promet le quadragénaire.

Tous les bénéficiaires n’ont pas la même histoire, mais ils en ont une. Certains sont des victimes récentes de kidnapping, d’autres ont été contraints d’abandonner leur domicile. Pour quelques-uns, la recherche d’une vie meilleure loin d’un pays où le marché du travail pour un professionnel qualifié s’amincit jour après jour, est la principale motivation. « C’est la chance d’une vie », lâche une jeune femme de 32 ans accompagnée de son enfant de 6 ans.

« C’est mon premier voyage, je ne sais pas comment ça va se dérouler, mais je sais que c’est le meilleur jour de ma vie. La pression que je ressens est incomparable. Mon oncle m’a dit que le plus dur est le contrôle de l’Immigration à Miami. J’ai envie de passer cette étape et de donner une chance à mon fils. Dieu pourvoira à tous les besoins », croit-elle.

Stressés, inquiets, motivés, tels sont les qualificatifs qui reviennent le plus souvent pour décrire les sentiments des bénéficiaires.

Mallette en main, peu de vêtements en stock, des papiers importants, billet d’avion pour un aller simple, ils sont des employés déchus ou de prestigieux professionnels, ils suivent tous d’un pas ferme la ligne menant au comptoir de la compagnie aérienne.

À ce rythme, ce n’est plus un voyage, c’est un exode, a fait remarquer un employé de l’aéroport.

Du contrôle de sécurité à la recherche de la bonne place dans l’avion, ils avancent comme dans une traversée de désert, comme s’il se jouait leur vie à chaque nouvelle étape. Du déplacement sur le tarmac aux premières secousses des zones de turbulences, l’inquiétude est lisible sur le visage de plus d’un. C’est une véritable course contre la montre. Vers l’inconnu. Tous persuadés que le pire est derrière eux.

Quand l’hôtesse de l’air s’exprime en créole pour annoncer l’atterrissage, les visages s’illuminent. « N’oubliez pas, si on vous demande combien de temps vous comptez passer aux Etats-Unis, vous devez répondre deux ans. Ne donnez pas trop de détails. Soyez bref; pour toutes les autres informations : you don’t speak english », précise l’hôtesse de l’air avant d’ajouter : « Mwen p ap tounen ak moun Ayiti demen », ce qui a suscité une salve d’applaudissements des passagers.

Des cris de joie, quelques larmes qui s’échappent accidentellement, des « alléluia », traduisent à quel point le voyage de Port-au-Prince vers le sol de l’Oncle Sam dans le cadre du programme humanitaire du président Biden constitue une traversée du désert vers la terre promise.

« M rive vivan », lâche dans un sourire crispé une dame pour ses premiers mots au téléphone avec un parent.

Source. Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/241283/a-laeroport-de-toussaint-louverture-la-traversee-du-desert

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