La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA), contrainte presque de quémander les inventaires des institutions publiques, tape du poing sur table, dégaine interdiction et mise en garde. Alors que la Cour montre ses crocs, les décrets de budgets 2022-2023 et 2023-2024 ont alloués respectivement 44, 9 et 48, 3 milliards de gourdes dans la rubrique « fonctionnement de l’administration/biens et services y compris autres dépenses publiques ».
Le 31 octobre 2024 au plus tard, toutes les institutions publiques devaient communiquer au ministère de l’Economie et des Finances l’inventaire actualisé de leurs biens meubles et immeubles. « Jusqu’à maintenant nombreuses sont les institutions publiques dont l’inventaire des biens meubles et immeubles n’est pas parvenu à la Cour », a écrit le président de la Cour, Rogavil Boisguéné, au ministre de l’Economie et des Finances, Alfred Metellus, le 28 novembre 2024.
Le président de la Cour, a appris Le Nouvelliste, a rappelé l’envoi le 18 octobre 2024 d’une correspondance à la Ministre de l’Economie et des Finances (MEF) d’alors, Marie D.A. Ketleen Florestal, rappelant à son attention qu’en référence aux dispositions de l’article 10 de l’arrêté portant Règlement général de la Comptabilité publique du 16 février 2005 et de l’article ,5 alinéa Il du décret du 23 novembre 2005 établissant l’Organisation et le Fonctionnement de la CSCCA, l’obligation est faite aux Institutions publiques de soumettre au MEF, pour être acheminé à la CSCCA, l’inventaire actualisé de leurs biens meubles et immeubles.
« En outre, le Décret du 30 septembre 2024 portant Budget général de l’exercice 2024- 2025 en son article 104 émet les prescriptions suivantes : « Il est fait obligation aux institutions de l’Administration d’État de faire parvenir, au Ministère de l’Économie et des Finances pour être acheminé à la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif, au plus tard le 31 octobre, l’inventaire au coût d’acquisition de leurs immobilisations corporelles », peut-on lire dans cette lettre obtenu par Le Nouvelliste qui se fend d’une interdiction et pratiquement d’une mise en garde.
« Défense est faite aux Contrôleurs financiers et aux Comptables publics d’autoriser ou de payer une dépense sans la soumission de cet inventaire », selon cette lettre. « Les demandes d’audit ne seront prises en considération que si ces formalités règlementaires et légales sont accomplies préalablement », a mis en garde la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif.
Seulement 14 institutions, entre octobre et novembre 2024, ont remis leurs rapports d’inventaire pour l’exercice 2023-2024. Parmi ces institutions, on compte six ministères. La Primature, le MPCE, AAN/TPTC, MAST, MHAVE, MENFP, a appris Le Nouvelliste d’une source qui a souligné que pour l’exercice 2022-2023, 26 institutions publiques avaient soumis cet inventaire.
« Les chefs refusent de respecter les dispositions de la loi », avait déploré une source proche de la Cour en octobre dernier. Il y a de toute évidence, a estimé notre source, une opacité dont il faut chercher la cause. Disposer d’un inventaire des biens est élémentaire dans l’élaboration du budget. La question est pourquoi cette opacité ? s’est demandé une autre source interrogée par Le Nouvelliste jeudi 28 novembre, curieuse de savoir si le MEF a communiqué des informations sur le niveau d’exécution du budget de fonctionnement des institutions publiques. Il faut aussi savoir si le MPCE dispose de l’inventaire des biens acquis pour des projets, via le budget d’investissement, a poursuivi notre source.
Alors que la CSC/CA se fend de rappel, de menace, les exécutifs de facto qui élaborent leurs décrets de budgets ont effectué des prévisions importantes dans la rubrique fonctionnement de l’administration/biens et services y compris autres dépenses publiques. Les prévisions étaient de 44,9 milliards de gourdes pour l’exercice 2022-2023. Elles étaient de 48,3 milliards de gourdes pour l’exercice 2023-2-24.
Au cours de l’exercice 2022-2023 par exemple, il y a le rapport détaillé sur les marchés validés par la CNMP pour l’exercice 2022-2023. 87 contrats de « fournitures » ont été validés pour un montant supérieur à 3,3 milliards de gourdes. Il y a des institutions ayant passé des marchés de fournitures qui n’ont pas communiqué leurs inventaires, avons-nous appris.
« Tous les ministères, les organismes déconcentrés de l’Etat, les municipalités doivent fournir leurs inventaires. Lorsqu’on ne le fait pas, que l’on reste dans le flou de manière délibérée, c’est une porte ouverte à la corruption », a confié une autre source interrogée par Le Nouvelliste.
Sur le papier, il y a pourtant une procédure impliquant plusieurs entités. Elles doivent ou devraient être des garde-fous. Pour faire l’acquisition de biens, interviennent le directeur administratif, le directeur général, le ministre pour autoriser l’acquisition sur la ligne budgétaire indiquée, la direction du budget, le contrôleur financier, la direction du trésor pour la liquidation de la dépense. Le comptable public, en bout de piste, avant d’autoriser le paiement, vérifie une nouvelle fois que tout est correct, la conformité du marché, l’opportunité de l’acquisition du bien.
La responsabilité du comptable public est alors engagée. Celle du ministre, presque exclusivement, au cas où on sollicite une main levée ou un passé outre, a expliqué notre source. La difficulté à faire des audits sur une base régulière et a communiqué sans difficultés des inventaires renvoi à une question sur le respect stricte des lois sur la comptabilité publique, les passations de marchés publics, l’élaboration et l’exécution du budget, a longuement expliqué notre source.
« Quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup. Nous sommes face à une certaine opacité, a indiqué notre source, appelant a publié la liste des fournisseurs de biens et de services à l’Etat. L’on serait surpris de tomber sur des entreprises qui n’existent que sur le papier, lorsqu’il faut passer un contrat de fourniture pour des biens dont on devrait pouvoir garantir l’existence. Tout simplement parce qu’ils sont payés avec l’argent du contribuable haïtien », a dit notre source.
Source : Le Nouvelliste