Gabriel Servile, député de la Guyane, a un projet offensif pour sortir le pays de la stagnation dans lequel on le maintient.
Qui est Gabriel Serville ?
Gabriel Serville est un citoyen de Guyane, né il y a 62 ans, qui a été professeur de mathématiques puis chef d’établissement dans le second degré pendant vingt ans, maire de la commune de Matoury pendant trois ans et demi, député de la Guyane depuis 2012. J’ai aussi occupé les fonctions de conseiller régional d’opposition entre 2010 et 2012, avant d’être élu à l’Assemblée nationale. Je suis issu d’une fratrie de trois enfants dont je suis le cadet.
A l’Assemblée nationale, vous étiez dans la commission développement durable et aménagement du territoire. Le développement durable et l’aménagement du territoire sont vos passions.
L’aménagement de territoire, le développement durable, sont un gros c-souci en Guyane ; C’est pour cela que je m’étais orienté vers cette commission. On y parle de forêts, de pêche, de mines, d’aménagement du territoire qui est essentiel en Guyane. Il y a aussi l’adduction pour l’eau potable, l’électrification du territoire, la couverture numérique qui favorise le développement. J’ai trouvé là les voies et moyens pour faire entendre les singularités de la Guyane, même si, au bout du compte, j’ai l’impression qu’être à l’Assemblée nationale c’est bien, c’est nécessaire, mais être acteur du terrain, en Guyane, c’est tout aussi bien parce que ce sont de niveaux qui sont interconnectés. Mais, avec le temps, j’ai fini par me rendre compte qu’il y a un rapport de force à établir avec le gouvernement si on veut que les dossiers soient correctement traités. Ce rapport de force il aurait dû être établi, tout d’abord, par la Collectivité territoriale de Guyane qui est quoiqu’on pense, une collectivité majeure en termes de développement. I faut à sa tête des femmes et des hommes avec une parole crédible, avec une posture qui inspire de la confiance, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui, d’où le choix, avec des amis, de me lancer à la conquête de cette collectivité.
Quand on visite la Guyane, on est étonné de voir le peu de développement des infrastructures… la faute des élus ou de l’Etat ?
C’est une responsabilité partagée. On a connu des élus locaux qui se battaient pour que les infrastructures soient développées et on a vu l’Etat y mettre des freins. Je pense notamment à l’époque où nous avions, à la tête de la Guyane Georges Othily, Eile Castor. Aujourd’hui, je ne pense pas que nous ayons les femmes et les hommes qui sont de cette trempe et soient capables de parler de partenaire à partenaire avec l’Etat. C’est ce qui me gêne. Dans la mesure où j’ai mené des combats en qualité de parlementaire pour permettre à la Guyane de bénéficier de crédits, de subventions, et je me suis rendu compte que, sur le terrain, ça n’avançait pas parce que l’échelon local n’était pas réactif. J’en veux pour preuve ce que j’ai glané pour alimenter la ligne budgétaire unique (LUB) qui permet de financer en partie du logement social. Sur les années 2018 et 2019, j’ai réussi à faire inscrire près de 100 millions d’euros en autorisations d’engagements et nous avons dépensé, en Guyane, 30 millions d’euros. Pourquoi ? Parce qu’il y a des problèmes locaux qui n’ont pas été réglés et n’ont pas facilité le démarrage des travaux de construction dans les délais requis. Nous avons compris que c’était lié à la faiblesse du foncier aménagé et souvent lié au surcoût que nous constatons dans les matériaux de construction, mais c’est aussi lié à la gouvernance. Comme il y a plusieurs entités qui participent au montage de ces dossier et que, par moment, elles ont du mal à harmoniser leurs pratiques, cela nous a fait perdre beaucoup de temps. Là, nous voyons bien que c’est une responsabilité qui doit être partagée entre les champs locaux et l’échelon national. Mais, quand on regarde le niveau d’équipement de la Guyane, le niveau des infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires, nous avons l’impression d’un pays en train de stagner.
N’y a-t-il pas aussi le fait que l’on ne sait pas combien il y a d’habitants en Guyane ?
Effectivement, depuis de nombreuses années, j’ai l’intime conviction qu’il y a un gros déphasage entre la population réelle de la Guyane et la population officielle. En 1998, il y avait, nous disait un responsable de l’Etat, un différentiel de 70 000 personnes. L’INSEE disait que nous étions 170 000 et cette personne disait que nous étions plus proche des 240 000. Quand, aujourd’hui, l’INSEE dit que nous sommes 300 000, je pense qu’on est plus proche des 370 000. Avec toutes les conséquences que cela entraîne au niveau des dotations de l’Etat. Je me dis que cet argent que nous perdons depuis la nuit des temps fait que, entre autres, les collectivités n’ont pas été en capacité de lever des fonds de manière à répondre véritablement aux besoins et aux aspirations de la population. Je me dis qu’il y a une nécessité de doper cette collectivité, d’avoir un vrai projet politique, de déterminer un vrai cap pour le pays. Aujourd’hui, on ne connait pas le cap qu’on a assigné à ce pays, en termes de développement humain, de développement économique. La Guyane vit une vraie transition démographique avec notamment cette crise migratoire qui la touche depuis quelques années et qui modifie les comportements et aussi les besoins du collectif. Je crois que l’une des premières décisions que je prendrais quand je serai à la tête de la collectivité, ce sera de poser la question de la quantification de la population de la Guyane et faire en sorte que l’INSEE ait les bons outils et que l’Etat puisse mieux accompagner le territoire par rapport à ce qu’il doit faire. Nous ne sommes pas en train de quémander, de supplier, puisque la volonté qui nous anime est de lutter contre cette économie de comptoir où il y a de l’argent qui arrive, qui rebondit et qui repart tout de suite en direction de la France hexagonale. Nous avons suffisamment de potentiel en Guyane pour nous développer entre l’agriculture, la pêche, la forêt, les mines, etc. je considère qu’on a de qui être autonome à tout le moins d’être plus indépendants des subsides de l’Etat. Nous devrons réformer également l’octroi de mer pour le remplacer par une taxe qui permettrait un autre mode de fonctionnement et ramener davantage d’argent dans les caisses de nos collectivités. Il faut penser à faire notre propre révolution pour avancer dans le sens de ce qu’espère la population.
C’est ce qui m’a poussé à me positionner avec mes amis pour faire une offre différente à la population.
Qui sont vos colistiers ?
Des membres du mouvement Pays Guyane, qui est un mouvement politique que j’avais lancé en octobre 1998, la Guyane insoumise, Mouvement génération, des partis progressistes de gauche auquel s’est adjoint un mouvement de jeunes qui nous suivait depuis quelque temps. L’ossature de la liste c’est trois mouvement politiques et Jeunesse et réussir. Il y a des personnalités de la société civile, en tenant compte de leurs compétences et de leurs motivations. La chose publique fait peur à beaucoup de personnes. Quand on met le pied en politique, on peut subir représailles et contrecoups. On a fait une alchimie entre les personnes qui relevaient des partis politiques, Jeunesse et réussir et des personnes de la société civile.
Quel pourrait être l’impact de la pandémie sur le scrutin ?
On pense qu’il y aura plus d’abstention que pour les autres scrutins, c’est pour cela que nous avions mis dans notre stratégie qu’i fallait s’adresser aux abstentionnistes, trouver le moyen de porter un discours qui leur donne envie de -se déplacer pour aller voter. Nous pouvons gagner cette bataille. La Covid-19 ne vient pas arranger cette situation puisque nous avons un confinement thématique, un couvre-feu qui ne nous permet pas de mener campagne, de nous rencontrer, de faire du porte à porte. Cette situation va certainement favoriser le président sortant qui continue à disposer de toutes les finances de la collectivité, qui continue à profiter de la pandémie pour aller porter secours aux personnes dans le besoin parce que cette pandémie a des conséquences sur le plan social, sur la capacité des uns et des autres à se nourrir. Le jeu consiste à utiliser les moyens de la collectivité pour se porter au secours des personnes dans le besoin. Quelque part, tout ceci crée des iniquités, des injustices graves dans le cadre de cette campagne. J’avais fait remarquer au préfet que les conditions n’étaient pas réunies pour que le scrutin puisse des dérouler aux dates des 20 et 27 juin. Le conseil scientifique national avait émis un certain nombre d’hypothèses… mais le gouvernement a maintenu le scrutin.
Propos recueillis par André-Jean VIDAL