Guyane. Le pays veut se faire entendre du président de la République

La Guyane accueille, depuis dimanche 24 mars 2024, Emmanuel Macron, président de la République Française. Ce voyage officiel était très attendu des élus et des Guyanais. Ils ont des choses à lui dire.

La visite du chef de l’Etat, qui débute ses rencontres ce lundi, ne peut pas être une simple visite officielle, avec rencontre des chefs d’administrations de l’Etat, des élus, quelques discours lénifiants style « Je vous ai compris » et puis, retour à Paris.

La Guyane a des problèmes sociétaux importants, des désirs de changements, que l’Association des Maires de Guyane (AMG) a détaillés dans une adresse au président de la République.

Ce document mérite, parce qu’il est une véritable feuille de route proposée à l’Etat en Guyane, d’être détaillé et rendu public.

Porté par Michel-Angé Jérémie, maire de Sinnamary, président de l’AMG, ce document embrasse toutes les difficultés de la Guyane et propose des solutions.

SÉCURITÉ DES GUYANAIS
La Guyane fait face à des problèmes de sécurité notables qui ne cessent de croître au fil du temps. Parmi ces problèmes, on peut citer l’augmentation de la criminalité, notamment les vols à main armée, les homicides et le trafic de drogue.
Les Maires de Guyane et Présidents d’EPCI sont en première ligne, en particulier dans les zones frontalières de la région qui sont particulièrement touchées par des activités illégales et qui restent exacerbées par une insuffisance de contrôle et de surveillance.
De plus, l’orpaillage illégal représente une menace pour la sécurité environnementale et humaine, contribuant à la déforestation, à la pollution des cours d’eau et à l’exploitation des travailleurs.

Propositions :

▪ Education et formation : investir dans l’éducation et la formation contribuerait à prévention de la criminalité en offrant des alternatives positives, en particulier pour les jeunes.
▪ Développement économique : stimuler l’économie locale, créatrice d’emploi, permettrait également de réduire la criminalité tout en offrant des opportunités économiques légitimes.
▪ Services sociaux : le renforcement des services sociaux, tels que le soutien à la famille, l’aide au logement et l’offre de soins de qualité, permettrait d’atténuer certains des problèmes sociaux sous-jacents qui contribuent à la criminalité.
▪ Justice restaurative : cela implique de travailler avec les auteurs d’actes criminels et leurs victimes pour réparer les dommages causés et prévenir la récidive.
▪ Partenariats communautaires : travailler en partenariat avec les communautés locales pour identifier et résoudre les problèmes de sécurité peut aider à créer des solutions adaptées aux besoins spécifiques de chaque communauté.
▪ Technologie : l’utilisation de la technologie, comme la vidéosurveillance et les systèmes de détection de la criminalité, peut aider à renforcer les efforts de prévention et de répression de la criminalité.

RECENSEMENT DES POPULATIONS
Les maires de Guyane ont relevé ces derniers mois de très nombreuses incohérences entre la réalité quotidienne et les chiffres délivrés par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Nous avons déjà alerté l’INSEE afin qu’elle prenne conscience de ces incongruités, comme :
▪ le nombre d’habitants en Guyane qui serait en baisse selon les derniers chiffres malgré une forte croissance démographique.
▪ le doublement de la population de Régina, 1 716 habitants en 2024 contre 842 en 2023.
▪ la perte de 250 habitants de Macouria, 19 020 habitants en 2024 contre 19 252 en 2023.

Propositions :

Les maires de Guyane souhaitent que l’INSEE modifie enfin sa méthode permettant de considérer les spécificités de notre territoire :
▪ en mettant fin au décalage très problématique des 3 années qui séparent la prise de référence statistique prise par l’INSEE et la publication des chiffres. Nous souhaitons que les chiffres reflètent fidèlement la réalité statistique de notre territoire. La référence statistique doit porter sur l’année N ou l’année N-1.
▪ en prenant en compte la réalité de l’habitat informel.
▪ en prenant en compte la présence d’orpailleurs et pêcheurs illégaux sur l’ensemble des communes de Guyane.

CONTRE L’INJUSTICE FINANCIÈRE
Avec 84 000 km2 de superficie, nous rappelons que la Guyane est le plus grand département français ! Couplé à l’absence de fiabilité des données de l’INSEE sur lesquelles il se base, le mode de calcul actuel de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF) génère pour les communes guyanaises non pas une garantie d’égalité mais une preuve d’injustice qui plombe le dynamisme local. Les communes de Guyane font face à des défis uniques en matière d’infrastructures, de services publics et de développement économique.

Propositions :

Les maires de Guyane souhaitent que la future réforme de la DGF prenne en compte les spécificités de notre territoire :
▪ en permettant une prise en compte de la superficie des communes guyanaises dans le calcul de la DGF.
▪ en garantissant à toutes nos communes, même les plus éloignées et les moins peuplées, de pouvoir bénéficier des ressources nécessaires pour assurer le bien-être de leurs habitants et promouvoir un développement harmonieux sur l’ensemble du territoire guyanais.
▪ en associant pleinement les maires de Guyane aux travaux du Comité des finances locales qui œuvre actuellement à la forme de la DGF, telle que vous l’avez souhaitée, Monsieur le Président de la République, en marge du dernier Congrès des Maires en novembre 2023.

« Nous attendons de votre venue qu’elle coïncide avec un échange approfondi sur des problématiques qui sont également essentielles pour la Guyane : celle du processus d’évolution institutionnelle, celle du désenclavement et enfin celle du développement durable du secteur pêche et aurifère », disent les maires de Guyane.

OCTROI DE MER
Ne pas faire n’importe quoi ! Une réforme de l’octroi de mer en Guyane pourrait avoir des conséquences importantes pour les communes et le tissu local.
D’abord, il est important de noter que l’octroi de mer a été conçu pour protéger l’industrie locale en taxant davantage les produits importés.
Dans son rapport, la Cour des comptes a indiqué que l’octroi de mer avait un impact positif sur les recettes des communes, représentant une part significative de leurs budgets de fonctionnement.
En revanche, toujours selon la Cour des comptes, l’octroi de mer n’améliorerait pas la compétitivité de nos entreprises locales et entraînerait de la cherté pour les consommateurs locaux.
Le changement préconisé consisterait à remplacer l’octroi de mer par une nouvelle taxe, une « TVA régionale ».

Propositions :

Pour les maires de Guyane, il est crucial :
▪ d’équilibrer les besoins des consommateurs, des collectivités locales et des entreprises pour assurer un développement durable de la région.
▪ de prendre en compte l’impact sur l’industrie locale. Si l’octroi de mer est réduit, les produits importés pourraient devenir plus compétitifs, ce qui pourrait menacer les entreprises locales.
▪ de diligenter une étude d’impact approfondie dépassant le cadre de l’enquête actuelle.
▪ de garantir une gestion régionale de cette potentielle nouvelle taxe, de la fixation des différents taux, de ses exonérations le cas échéant, etc…

GRANDS PROJETS
Retards, complexité administrative… Les grands projets d’aménagement appelés opérations d’intérêt national concernent les infrastructures publiques mais aussi la rénovation de l’habitat dégradé.
La mise en œuvre de ces projets essentiels est entravée par divers facteurs, notamment la complexité administrative, la lenteur des procédures d’approbation et les défis logistiques inhérents à l’immensité et la diversité géographique de la Guyane.
Ces retards ont des conséquences directes sur le développement économique et social de la région, entravant le progrès dans des domaines clés tels que l’infrastructure, le logement, l’éducation et la santé.

Propositions :

Accélérer les procédures. Il y a un projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement.
« Si nous nous réjouissons des accélérations introduites par cette future loi (actuellement en commission mixte paritaire), en particulier pour Mayotte et pour la Guyane, il nous paraît en revanche indispensable que les décrets d’application prévoient que les Maires soient impérativement consultés avant toute mise en œuvre d’un projet et qu’ils puissent émettre un avis éclairé. »
Pour les maires de Guyane, il ne serait pas acceptable que des opérateurs ou bailleurs puissent directement intervenir sur les territoires communaux sans être consultés et avisés ; il appartient aux maires de veiller à la cohérence des plans locaux d’urbanisme.

RETROCEDER LES TERRES
Avatar de l’ancienne colonie, l’Etat est le premier propriétaire foncier de la Guyane française. A la demande de Jean-François Carenco, alors ministre délégué aux Outre-mer, il a été décidé de rétrocéder ces terres aux collectivités afin qu’elles les gèrent. Cela se fait depuis un an, doucement mais régulièrement.

Propositions :

A l’heure actuelle, lorsqu’une entreprise souhaite s’implanter sur un territoire de Guyane, ce sont les opérateurs de l’Etat – l’ONF par exemple – qui fixent le montant du loyer ou de la cession du terrain sur lequel l’entreprise va s’installer, sans consultation de la commune sur laquelle l’opération s’effectue.
C’est également l’opérateur qui va – seul – encaisser le prix de cession ou de loyer, alors que l’arrivée d’une entreprise coïncide le plus souvent avec de nouveaux salariés, des familles, et donc des besoins en infrastructures publiques ; celles-ci étant à la charge des communes.
Pour les maires de Guyane, il est essentiel que ce mode opératoire soit entièrement repensé et que les communes puissent bénéficier de tout ou partie de ces sommes afin d’améliorer et de contribuer à leurs budgets et de leur action territoriale tant en investissements qu’en fonctionnement, au service des populations déjà présentes ou qui viendraient à s’installer.

André-Jean VIDAL
aj.vidal@karibinfo.com

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