Guyane. Embarquement sur Air Cocaïne

Chaque année, ils sont plusieurs milliers à prendre l’avion, à l’aéroport Félix-Eboué, de Cayenne, pour gagner l’Europe par Paris-Orly. Jeunes Guyanais, ils tentent leur chance, chargés d‘un ou deux kilogrammes de cocaïne par des chefs de gangs qui ont des contacts de l’autre côté de l’Atlantique. 

En 2019, selon les statistiques des Douanes, il y a eu plus de 1 000 interpellations contre moins d’une centaine dix ans plus tôt. Le procureur de Cayenne, dans un document intitulé « La prévention du phénomène des mules en Guyane » explique qu’il y aurait, dans chaque vol quittant Cayenne pour Paris, entre six et dix mules. Au départ, mais certains hésitent dans le hall même de l’aéroport, il y en aurait… une vingtaine appâtés par le gain.

L’accroissement du nombre de mules au départ de Cayenne s’explique par une politique de répression différente de ce type de phénomène dans un pays voisin, le Suriname. 

Avant 2 010, la route de la drogue passait par les vols entre ce pays et les Pays-Bas. Mais, d’un côté comme de l’autre, les autorités ont été intraitables et répressives. 

D’où un changement de parcours, les lignes Cayenne-Europe étant devenues voies royales pour des trafiquants imaginatif. Environ 20% de la cocaïne consommée en Europe passe par là. 

L’intérêt financier est évident : le produit abonde en Amérique du sud, les frontières avec la Guyane sont plus que poreuses, le prix d’un kilogramme est estimé à 3 500 euros dans la banlieue de Cayenne contre 35 000 euros dans l’Hexagone.

Les chômeurs sont nombreux en Guyane qui sont abordés. Jeunes, désargentés, ils cèdent à la combine : se transformer en mule en absorbant des capsules contenant de la cocaïne. 

« Tu fais un voyage et c’est tout bon ! »

Moyennant 3 à 5 000 euros par kilogramme transporté, les mules sont faciles à trouver. D’autant plus que, un temps rebutées ou effrayées par des histoires de capsules remplies de cocaïne ayant littéralement explosé dans l’estomac de mules qui sont mortes dans d’atroces souffrance d’une overdose, les mules sont chapitrées depuis que des ingénieurs ont inventé une capsule plus solide…

Et puis, seulement le tiers des mules sont interceptées par la douane ou la police. Les autres passent sans encombre et touchent le salaire de la peur. 

Deux mules décèdent : l’autopsie
révèle des boulettes de cocaïne

Ce sont, peut-on dire, les risques du métier. Si les trafiquants de cocaïne ont obtenu auprès d’ingénieurs astucieux, des capsules plus solides pour transporter de la drogue ingérée par les passeurs, 10 grammes par capsule, il arrive que des passeurs utilisent des capsules traditionnelles, solides mais qui ont une fâcheuse tendance à se dissoudre sous l’action des sucs gastriques. 

Le 8 avril, un homme s’effondre sur un trottoir, rue Malouet, à Cayenne. Les secours le conduisent à l’hôpital où il décède dans la nuit. Le lendemain, un homme s’écroule à la Charbonnière, à Saint-Laurent du Maroni. Il décède peu après. Le premier, à l’autopsie, a rendu un kilo et demi de boulettes, dont une a éclaté. Le second n’avait que 620 grammes de cocaïne. Là encore, la capsule s’est fissurée… 

Morts d’une overdose. Chaque décès entraîne l’ouverture d’une enquête pour homicide involontaire et trafic de stupéfiants. 

Outre l’ingestion des capsules, tous les moyens sont bons pour passer la cocaïne : faux fruits, souvent des oranges, des pamplemousses, évidés et remplis de poudre blanche, pareil pour des légumes type aubergines, cocaïne pressée contre le corps emmailloté de bandelettes comme le serait une momie, tissus ou papiers saturés de cocaïne diluée dans de l’eau, séchés, qui seront mouillés et retraités à l’arrivée. Fausses poupées, plus rare des bébés morts et chargés de boulettes, qu’une « mère » tient dans ses bras tout le long du voyage. Un bébé silencieux… et qui va le rester jusqu’à ce qu’il soit décousu et vidé des capsules ou sacs de cocaïne que contenait sa cage thoracique.

Il faut trois douaniers pour traiter le dossier d’une mule surprise à l’aéroport de Cayenne. Comme il y a une dizaine de mules interceptées pour chaque vol… cela fait trente douaniers. Des douaniers qui sont sûrs que, chaque jour, on leur envoie des mules peu chargées, sur lesquelles ils se fixent… tandis que d’autres mules passent sans encombre. Ne restera aux douaniers qu’à prévenir leurs collègues à l’arrivée. Et à ces dernier d’avoir la chance d’attraper les bonnes personnes.

Un rapport du sénat, rédigé par Antoine Karam, sénateur guyanais, en 2020, vise « à mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l’urgence d’une réponse plus ambitieuse. »

Que dit le sénateur ? « Il s’agit d’un véritable fléau pour les jeunes de Guyane, qui, faute de travail ou de perspectives, sont susceptibles de tomber dans ce piège. Les passeurs, en effet, sont principalement des jeunes privés d’emploi et issus de l’Ouest du département, région où se concentrent de multiples difficultés socio-économiques. »

Il poursuit son raisonnement : « En Guyane, le trafic de cocaïne se développe comme une activité économique à part entière, en l’absence de développement économique et d’alternatives. Il met en jeu des vies humaines et menace les équilibres économiques et sociaux, d’ores et déjà fragilisés par le chômage et la forte croissance démographique. Une réponse forte est nécessaire, de toute urgence. »

Que recommande le Sénat ?  « La mission d’information recommande d’intensifier les contrôles et les saisies pour diminuer la rentabilité du trafic sur l’axe Paris-Cayenne et décourager les trafiquants.
Les efforts supplémentaires doivent concerner 
l’aéroport Félix Eboué et ses abords. De nouveaux équipements, tels que des scanners à rayons X pour le contrôle des bagages, devraient être déployés. 
Par ailleurs, la mission plaide pour la réalisation ponctuelle de contrôles approfondis dits « à 100 % » à l’arrivée des vols en provenance de Guyane, à l’image de ceux pratiqués par les Pays-Bas sur les vols venant de pays à risques. 
La mission préconise aussi de conforter la solidité juridique des arrêtés préfectoraux d’interdiction d’embarquer. 
Enfin, tout ce volet doit être assorti d’une communication adaptée, de nature à en garantir l’effet dissuasif. »

Bien évidemment le Sénat invite toutes les forces de police, de gendarmerie, des douanes, à travailler de concert, à être plus réactives, à alléger les procédures pour démanteler les réseaux, les magistrats à accélérer le traitement des dossiers. Enfin, elle suggère de confier au préfet, en y associant la Collectivité territoriale, une mission d’impulsion de la politique de prévention et de coordination des initiatives conduites au plan territorial. 

Depuis la rédaction de ce rapport (il a été enregistré par le Sénat le 15 septembre 2020), des efforts ont été faits pour contrer les gros trafics, mais les mules voyagent toujours sur la ligne Cayenne Paris. Chaque mois ou presque des petits (ou plus gros) réseaux sont démantelés en Guyane ou dans l’Hexagone, sitôt remplacés par d’autres réseaux plus malins…

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