La désormais traditionnelle cérémonie commémorative de l’abolition de l’esclavage, le 27 mai, organisée au fort Delgrès (Basse-Terre) s’est déroulée dans une ambiance particulièrement solennelle.
Les principales personnalités de Guadeloupe ont répondu à l’invitation de Yaël Braun-Pivet, nouvelle ministre des Outre-Mer, pour rendre hommage aux héros des événements de 1802, et à tous ceux qui se sont battus contre l’esclavage et pour la liberté.
Ce vendredi 27 mai, parmi les personnalités présentes, on a vu, aux côtés du préfet de Guadeloupe, Alexandre Rochatte, Justine Bénin, Secrétaire d’état à la mer, les sénateurs Victorin Lurel et Dominique Théophile, les présidents des assemblées régionale et départementale Ary Chalus et Guy Losbar.
Deux ministres
André Atallah, maire de Basse-Terre, a accueilli les 150 personnes présentes pour assister à cette manifestation au fort Delgrés. Tous les intervenants ont ensuite souligné dans leur allocution l’importance de ce moment de mémoire, en particulier Dominique Taffin, directrice de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage.
Guy Losbar a salué la dimension symbolique de la présence pour la première fois de deux ministres pour l’occasion. « La flamme de ceux qui se sont battus ici et ont donné leur vie pour la liberté, doit continuer à éclairer notre chemin », a déclaré la ministre des Outre-mer, Yaël Braun-Pivet.
Une cérémonie, ponctuée de plusieurs intermèdes artistiques assurés par le chanteur François Ladrezeau et la comédienne Lucile Kancel qui a lu un témoignage particulièrement émouvant d’une esclave de l’île d’Anguilla au XVIIIe siècle.
Plusieurs gerbes de fleurs ont symboliquement été déposées au pied de la plaque commémorative du sacrifice de Louis Delgrès, le 28 mai 1802.
Ils ont dit
Guy Losbar : « La Guadeloupe affirme la nécessité de continuer le combat pour nous libérer des chaînes de l’esprit ! »
« En créole, nous disons « Yo té pou nou sé » : c’est parce qu’ils ont été, que nous sommes aujourd’hui ! Cela signifie que nous rendons hommage aux victimes d’un commerce homicide qui saigna l’Afrique de ses forces vives, jusqu’à nos côtes.
« Yo Té Pou Nou Sé »
Cela signifie que nous reconnaissons la portée du combat de nos ancêtres pour la liberté en 1802, et que nous nous plaçons dans leur lignée !
« Yo Té Pou Nou Sé »
Cela signifie que nous célébrons l’engagement de celles et de ceux qui ont contribué à la libération des esclaves, en 1848.
Mais, nous le mesurons toutes et tous, cette barbarie de l’esclavage demeure une plaie encore douloureuse dans notre mémoire collective.
Et, il faut le reconnaître, un pan de l’Histoire de France dont nous attendons qu’il soit encore plus clairement assumé. »
(…)
« C’est pourquoi, 220 années plus tard, la flamme du serment de fraternité des rebelles noirs, blancs, et mulâtres de 1802, doit continuer d’éclairer notre chemin collectif !
C’est pourquoi nous devons mesurer combien l’Histoire de la Guadeloupe est devenue celle d’un extraordinaire métissage des cultures et des hommes !
Afrique, Inde, Orient, Europe, Caraïbe…
Tous les peuples du monde ont accosté un jour ici et y sont restés…et la belle harmonie de notre rassemblement en ces lieux en témoigne ce matin.
Oui ! la Guadeloupe adresse au monde entier un message d’humanisme !
La Guadeloupe affirme la nécessité de continuer le combat pour nous libérer des chaînes de l’esprit !
La Guadeloupe crie l’urgence de dépasser ce qui semble nous diviser, pour cheminer vers ce qui nous ressemble et ce qui nous rassemble !
C’est tout le sens de notre détermination à faire émerger une relation renouvelée entre nos territoires et l’Etat, nous l’évoquions ensemble tout à l’heure Madame la Ministre…
C’est toute la portée de notre volonté de disposer des moyens de mieux répondre aux attentes des Guadeloupéens !
C’est tout simplement continuer d’assumer résolument notre destin, pour que vive la Guadeloupe, au sein d’une République ouverte à la diversité de ses composantes. »
Ary Chalus : « Sécuriser l’avenir de notre jeunesse, pour qu’elle puisse demeurer libres de ses choix »
« La puissance du souvenir et le refus de l’oubli sont l’ultime défaite de la barbarie.
Rendre une dignité posthume à des générations de vies brisées, une mémoire ineffable aux martyrs est un travail indispensable pour perpétrer la vérité.
Je veux leur rendre hommage, ici, au Fort Delgrès, terre de lutte.
Leurs révoltes victorieuses, nous rappellent aujourd’hui que nous devons, avec prudence et modestie, faire usage du mot « héros », tant nous ne savons pas toujours nous en montrer dignes.
Nos ancêtres, ces héros, épris de liberté qui en postérité prennent aujourd’hui les noms de nos monuments, qui en vieux sages, veillent sur la destinée de notre archipel ; nous appellent à nous élever.
L’héritage qu’ils nous laissent doivent former le karésol pour bâtir notre Guadeloupe. Tirer des enseignements pour donner sens au « vivre ensemble », faire preuve d’audace, de courage; des préoccupations qui semblent bien éloignées de notre quotidien.
Si nous commémorons aujourd’hui l’abolition de la traite et de l’esclavage, ce n’est pas pour répéter indéfiniment le passé au point d’en devenir prisonnier, c’est pour comprendre, c’est pour construire.
Le 27 Mai, c’est aussi l’occasion, ici en Guadeloupe, de rappeler, et surtout de rappeler au monde, que l’humanité n’est toujours pas à l’abri de tragédies ultimes, de nouvelles tentatives de génocide fratricide. L’actualité en est une triste illustration…
La Commémoration est notre héritage, la connaissance du passé est notre liberté. »
« Notre mission aujourd’hui, c’est combattre le sentiment d’impuissance qui envahit certains d’entre nous car la Guadeloupe vit encore des moments qui, bien que n’ayant rien de comparable avec la situation d’antan, restent difficiles.
Et par ces temps encore troublés par des difficultés sociales et une violence qui mine notre société, nous ne devons pas pour autant succomber à la fatalité, à l’heure où nous voyons se rapprocher le risque de voir se défaire en quelques années, ce que nos anciens ont parfois mis des siècles à construire.
L’exemple de nos aînés devrait nous conduire à avoir plus de confiance en nous-même ! »
« Notre jeunesse aspire, en toute légitimité, à participer à la dynamique du monde. Elle y a toute sa place et toutes ses chances d’y réussir, quel que soit le domaine.
Commémorer ici l’abolition de l’esclavage, c’est aussi rappeler au monde que la Guadeloupe sait d’où elle vient. Je souhaite qu’à ce message elle dise aussi que désormais, elle sait où elle va ! C’est ce défi que nous proposent de relever les compagnons de Delgrès, un défi que je vous propose de relever » ensemble » : sécuriser l’avenir de notre jeunesse, pour qu’elle puisse demeurer libres de ses choix… »