Depuis quelques mois, les milieux politiques de Guadeloupe sont titillés par une volonté de changer la donne. Les émeutes de la fin de l’année 2021 ont laissé des traces. Les émeutiers étaient-ils représentatifs de la population qui n’est pas descendue dans la rue les rejoindre comme en 2009 ? Comment faire avancer les dossiers chauds, demander plus de pouvoirs locaux, sans bouleverser une population versatile dont on ne sait pas réellement ce qu’elle veut ? L’idée est que la situation ne peut plus durer sans qu’il y ait tension ou explosion. Mais, jusqu’où peut-on aller quand on est un élu de Guadeloupe ?
Après l’appel de Fort-de-France, où le Martiniquais Serge Letchimy a obtenu que les présidents des différentes régions des Outre-mer — Guadeloupe, Guyane, Réunion, Mayotte et même Saint-Martin — soient sur une même longueur d’onde — faire bouger les lignes, obtenir de l’Etat plus d’autonomie sur les problématiques locales — des initiatives ont été lancées, avec plus ou moins de réactivité : Gabriel Serville, en Guyane, a réuni le congrès des élus et se donne quelques mois pour rassembler les idées et les énergies pour en final de compte convaincre sa population que le statut doit être modifié. Sans aller trop loin quand même.
Serge Letchimy a ouvert un congrès des élus à étapes, sur trois mois, avec des temps forts : concertation des partis politiques, puis de la population au travers de remontées d’informations, avant de réunir les élus et de trancher. Là encore on ne parle pas d’indépendance.
En Guadeloupe, c’est plus diffus. Les élus veulent changer… tout en ne changeant rien qui puisse faire peur à la population. Position pas très commode. D’ailleurs, Serge Letchimy est venu en début de semaine sonder les cœurs et les intentions… voir si, de retour au pays, les signataires de l’appel de Fort-de-France sont toujours aussi volontaires pour casser la baraque.
Quoiqu’il en soit, ne faisons pas de procès d’intention.
L’affront puis la fronde
Emmanuel Macron, qui n’est pas un grand connaisseur des Outre-mer et a gardé une dent contre des Guadeloupéens qui l’ont défié à plusieurs reprises — en résistant à la vaccination en période de Covid, en bloquant la Guadeloupe pendant deux mois, pour ce qui est du Collectif des associations en lutte contre l’obligation vaccinale et le passe sanitaire; en boudant le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu qui les avait invités à le rencontrer à la sous-préfecture, en allant à Paris demander « une domiciliation locale de certaines compétences de l’Etat », en ne faisant pas campagne pour sa réélection, en lui faisant l’affront de donner à Marine Le Pen le meilleur score local à la présidentielle, en réunissant les congrès, pour ce qui est des élus — a invité ces derniers à un dîner à l’Elysée pour répondre à leur demande de rencontre. Curieuse idée !
Cette invitation a provoqué la colère de Serge Letchimy qui a lancé qu’il n’avait pas besoin de dîner mais de négocier…
Les partis politiques de Guadeloupe ont embrayé, sortant d’une apathie qui devenait inquiétante en diffusant depuis des communiqués manifestant leur colère.
Après le passage de Serge Letchimy, les présidents des collectivités dites « majeures », à savoir le Conseil régional et le Conseil départemental et les sénateurs, les députés, le président de l’Association des maires, ont décidé de se rencontrer pour faire front uni. Et se parler.
C’est fait. La réunion de travail s’est tenue à la résidence départementale ce jeudi. Il y avait Ary Chalus, Guy Losbar, Victoire Jasmin, Victorin Lurel, Dominique Théophile, sénateurs, Olivier Serva, Christian Baptiste, Max Mathiasin, Elie Califer, députés, Jules Otto et Jean-Philippe Courtois, conseillers départementaux, Jocelyn Sapotille, président de l’Association des maires. Et quelques conseillers avisés.
« Une réunion fructueuse, a communiqué le Département, avec en ligne de mire une position convergente sur un projet de développement au service des urgences du pays et en parallèle la méthodologie relative à l’évolution de nos institutions en concertation avec la population. »
Les mots ont été pesés avec une balance de pharmacien !
De quoi ont-ils parlé en fait ? Des problèmes de la Guadeloupe tels qu’ils les appréhendent — eau, santé, chômage, jeunesse (le volet le plus sensible) — et d’une évolution statutaire qu’il faudra ensuite présenter à la population. C’est elle qui aura le dernier mot sur ce point-là.
Il s’agit d’engager une discussion avec le gouvernement en allant à Paris avec une feuille de route solide. Sachant qu’avec ce président-là des négociations (sur quoi en fait ?) risquent de s’emballer.
L’autonomie que Sébastien Lecornu a jetée dans le débat est un véritable piège pour les élus qui en sont bien conscients. A eux de jouer serré… et en équipe pour obtenir un maximum sans y laisser des plumes. En équipe… c’est ce qui sera le plus difficile, malgré les grandes déclarations.
André-Jean VIDAL