La plénière du Département, réunie mardi 17 décembre sous la présidence de Guy Losbar, président du Conseil départemental, avait ceci d’inaccoutumé que le préfet Xavier Lefort y était invité, avec l’ensemble des directeurs des services déconcentrés de l’Etat en Guadeloupe.
Assis sur deux rangs, dans l’arène, il y avait l’intégralité des directeurs.
Le quorum des élus étant atteint, le président Losbar a entamé son discours par un court et vibrant hommage aux Mahorais touchés par Chido, le pire ouragan qu’a connu Mayotte depuis des décennies.
Les élus ont décidé de dédier 100 000 euros pour soutenir Mayotte d’autres actions aux côtés d’institutions comme l’Union Départementale des CCA ciblées et efficaces étant prévues dans les jours et semaines à venir.
« Des femmes, des hommes et des enfants ont perdu la vie dans cette horrible tragédie. Cela nous rappelle la fragilité de notre existence, mais aussi le fait qu’une telle tragédie pourrait très bien se produire chez nous. Ce drame vécu par nos frères et sœurs Mahorais nous touche et nous engage. »
Une minute de silence en honneur des morts de l’ouragan a rassemblé élus et public dans un moment de recueillement empreint de solennité.
Autre hommage, plus ludique, celui à la troisième dauphine de Miss France, jeune femme de Terre-de-Bas, salariée du Département, Moïra André.
« Le contexte de nos travaux est particulier parce que nous nous réunissons aujourd’hui dans une période politique qui exige lucidité et détermination », a dit Guy Losbar, qui a rappelé d’une part que le budget de l’Etat pour 2025 n’est pas voté, d’autre part que la partie du budget présenté par l’ancien Premier ministre, Michel Barnier, prévoyait « des coupes budgétaires importantes sur des secteurs cruciaux pour nos territoires : le logement, les exonérations de charges sociales et les fonds d’investissement. »
« Nous avons une conviction profonde : les décisions qui concernent la Guadeloupe doivent être prises en Guadeloupe.
C’est là tout le sens des travaux que nous avons menés dans le cadre des congrès des élus en 2023 et 2024, et que nous poursuivrons avec une détermination renouvelée.
Nous portons une vision claire, celle d’une gouvernance renforcée, adaptée à nos spécificités, et qui repose sur un partenariat intelligent avec l’État.
C’est dans cet esprit que nous accueillons aujourd’hui le préfet, dont la présence témoigne de cette volonté de dialogue et de coopération.
En cela nous renouons avec une tradition quelque peu perdue de vue ces dernières années : celle de permettre au préfet et aux services déconcentrés de l’État de venir, chaque année, présenter aux élus les conditions dans lesquelles l’État exerce ses missions au sein de notre archipel. »
Dans un contexte qui sera sans doute contraint, il convient que les élus prennent les choses en mains et le plus vite possible. C’est ainsi que dès la mi-janvier, les grandes orientations budgétaires seront présentées et que le budget sera voté fin janvier.
Le RIFSEEP ou régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel, est l’outil indemnitaire de référence qui remplace la plupart des primes et indemnités existantes dans la fonction publique. Il sera revalorisé.
Pourquoi ? Parce que ce début de 2025 marque un tournant dans l’organisation du Département, avec des services plus efficaces. « Cette transition est une opportunité de repenser notre fonctionnement, d’améliorer les outils de gestion et de simplifier nos processus, pour offrir un service public plus performant et plus en phase avec les besoins du territoire. »
Autre problème, celui de la sécurité routière.
« Avec 51 morts déjà recensés au 17 décembre 2024, nous faisons face à une véritable urgence. Le Conseil Départemental ne peut pas rester passif.
Nous devons mobiliser tous les partenaires concernés, de l’État aux collectivités locales, aux associations, à la société civile, et surtout les citoyens.
C’est une cause résolument guadeloupéenne au service de laquelle nous devons nous mobiliser collectivement pour identifier et mettre en œuvre des solutions efficaces.
Qu’il s’agisse d’aménagements routiers, d’actions de prévention ou d’éducation à la sécurité, à l’instar des assisses de la sécurité routière que nous organiserons avec l’Etat en début d’année prochaine, chaque initiative comptera pour inverser cette tendance dramatique. »
« C’est tout le sens de la campagne de communication que le département lancera dès aujourd’hui pour expliquer à tout un chacun qu’il nous appartient de se mobiliser pour « sauver nos vies ».
51 morts en 2024, c’est une véritable hécatombe, mais j’ose croire que ce n’est pas une fatalité et que chacun de nous peut se responsabiliser en levant le pied, en respectant le code de la route et les limitations de vitesse, en bannissant les conduites addictives au volant. »
Xavier Lefort, préfet de région, s’est associé aux propos de Guy Losbar sur la situation à Mayotte.
« Je suis très heureux que vous me permettiez d’instaurer cet usage républicain prévu par la loi de décentralisation », disait-il.
En effet, les textes prévoient que le préfet présente les actions de l’Etat dans le département, ceci chaque année. Rien n’est prévu pour ce qui est d’une présentation devant les élus du Conseil régional. Mais, dira Xavier Lefort à la fin de l’exercice, « s’il le faut, c’est avec plaisir que je ferai le même exercice devant les élus régionaux. »
Xavier Lefort, préfet de région :
En fait, c’est un bilan annuel, celui de 2023 que fera le préfet, même s’il évoquera en cette fin d’année celui de 2024, allant jusqu’à parler des actions à mener, souvent avec le Département, en 2025.
Cinq priorités : la sécurité, la cohésion territoriale, la cohésion sociale, l’économie et l’environnement.
Retour rapide sur deux grands événements, les passages des tempêtes tropicales Philippe et Tammy, un peu plus de temps sur la délinquance avec le souhait de s’appuyer sur les élus au travers des CLSPD (Comités locaux de sécurité et de prévention de la délinquance).
« Le préfet François Lalanne (chargé d’une mission de sécurité, ce haut fonctionnaire a passé six mois en Guadeloupe) a proposé un plan de prévention et de sécurité qui pourrait être signé au niveau de l’Etat début 2025. »
Pour ce qui est de la sécurité routière, le préfet déplore : « En 2023, nous avons enregistré une baisse sensible du nombre de morts sur les routes. L’année 2024 est tragique, avec 51 morts à ce jour et l’année n’est pas finie. Les efforts devront redoubler en 2025. Nous tiendrons, d’ailleurs, les Assises de la Sécurité routière avec le Département et d’autres collectivités dans le premier trimestre de 2025. »
Deuxième grand dossier : la cohésion du territoire. L’Etat dépense chaque année uns soixantaine de millions pour ce chapitre.
« Je souhaite développer l’ingénierie territoriale avec un guichet unique à mettre en place avec le Département. »
Le COROM (Contrat de redressement Outre-mer) a été signé par l’Etat avec 9 communes de l’archipel, pour une mise à disposition de 17 millions d’euros depuis 2020.
Troisième dossier : le volet économique. « Il s’agit, a dit le préfet de région, d’un enjeu fort pour la collectivité départementale. »
Que souhaite le préfet — qui n’est pas très éloigné de ce que souhaite le président Losbar ?
« Sortir de la dépendance économique à l’Hexagone. 95% des produits alimentaires viennent de l’extérieur. Avec un emploi valorisé. Actuellement, le secteur tertiaire non marchand emploie 80% des salariés. »
Il milite pour « une programmation précise et rigoureuse de la commande publique. »
Quatrième thématique : les enjeux environnementaux.
L’eau tout d’abord, « dossier dans lequel le Département est un acteur majeur. »
Qu’a dit le préfet Xavier Lefort ? Qu’après trois années, le SMGEAG est toujours déficitaire et que l’Etat ne pourra pas combler indéfiniment ce déficit. Il faut moins de dépenses, plus de recettes. Ferdy Louisy, vice-président du Département, président du SMGEAG a toute sa confiance dans cette renaissance du syndicat unique de l’eau.
Xavier Lefort a rappelé qu’il y a des investissements lourds prévus sur les deux prochaines années et qu’il faut reprendre en main l’exploitation de la ressource. Enfin qu’il faut rendre le syndicat réellement opérationnel.
Autres pans du volet environnement, le Fonds Vert, la mobilité durable, les risques naturels et les sargasses. Là encore l’Etat met au pot.
Pour la cohésion sociale, il y a eu, en 2023, 15 millions d’euros d’efforts communs Etat-Département.
Vivement applaudi, le préfet s’est ensuite livré à la sagacité des questions des élus.
Première question, un peu perfide, face à la demi-heure de satisfecit du préfet quant aux actions de l’Etat : « Qu’est-ce que les services de l’Etat n’ont pas réussi ? »
Souriant, le préfet de région a répondu : « Il y a des réussites et des échecs, des réussites collectives et des échecs collectifs. Prenons un échec, la sécurité routière. Que faire face à cette tragédie ? La seule réponse est l’action commune. »
L’eau aussi est une difficulté. « C’est un dossier sur lequel nous avons collectivement perdu du temps. Le SMGEAG montre encore des faiblesses mais le calendrier que nous avons élaboré en commun devient de plus en plus serré… »
L’économie ? « La Guadeloupe a perdu 10 points en matière d’autonomie alimentaire en 10 ans. »
Et de conclure : « Il faut se mobiliser les uns et les autres sur ces trois dossiers : la sécurité routière, l’eau et la souveraineté alimentaire. »
Adrien Baron sur la politique de la ville, Jean-Philippe Courtois, sur l’insécurité dans les communes, Maryse Etzol sur la continuité territoriale vont intervenir.
La continuité territoriale n’existe pas en matière de santé, d’économie, de culture, etc.
C’est Laurent Legendart, directeur de l’Agence régionale de santé, qui répond à la demande du préfet. Cette continuité territoriale elle se fait naturellement en matière de santé : les établissements de soins sont de mieux en mieux équipés. Le territoire est mieux maillé.
Daniel Dulac questionne le préfet sur les infrastructures sportives. Il souhaite un budget de l’Etat sanctuarisé. La transition énergétique aussi l’intéresse, la résilience du réseau électrique, le trait de côte qui se rétracte… Le préfet répond qu’il faut rattraper le retard si la Guadeloupe veut arriver en 2035 à l’autonomie énergétique. Actuellement, dit-il, 50% de l’énergie vient d’EDF et c’est du thermique.
« Il y a plusieurs pistes : l’efficacité énergétique, en construisant mieux, en utilisant d’autres méthodes que de mettre des climatiseurs partout, et il y a des projets, éoliens, solaires. Nous avons quelques années pour faire émerger un mix électrique qui ne soit pas carboné. Il demeure qu’on n’est pas suffisamment volontaires, c’est tout le problème. »
Revenant sur la question des infrastructures sportives, le préfet Lefort relève : « La politique sportive n’est pas assez ambitieuse dans ce département. »
Brigitte Rodes prend la parole : elle veut savoir quels moyens supplémentaires l’Etat peut mettre lutter contre les gangs, lutter contre la drogue. L’élue demande pus de répression.
Xavier Lefort répond que c’est une question prioritaire pour les services de l’Etat, gendarmerie et police. « Il y a un travail important qui est fait en police judiciaire pour démanteler les gangs et les trafics Mais, le grand public ne le voit pas. »
Des moyens supplémentaires ? « Il y a, dit-il, 1 000 policiers, 743 gendarmes en permanence renforcés par 280 réservistes et 245 gendarmes mobiles. Ce sont des moyens humains extrêmement importants. C’est une question d’organisation et pas une question de nombre. Ce n’est pas avoir plus de gendarmes qui va solutionner les problèmes de sécurité avec une jeunesse désœuvrée… »
Autres problèmes, soulevés par Brigitte Rodes puis par Marie-Yveline Pontchâteau-Théobald : les marginaux — il y en aurait une centaine à Pointe-à-Pitre, quarante à Basse-Terre — les violents. Pour les premiers, il faut faire plus appel aux polices municipales, pour les violents, la circulaire qui donne le protocole sera envoyées aux maires…
Hélène Polifonte s’inquiète de la prolifération des armes.
Xavier Lefort : « Comme la Guadeloupe ne fabrique pas d’armes, elles viennent sensément de l’extérieur. Outre la campagne Déposons les armes, la sensibilisation des familles, j’ai demandé qu’il y ait plus de contrôle des plages, des accès portuaires, des marinas des quais des Dominiquais, à Pointe-à-Pitre, où on ne veut pas faire de la peine aux producteurs de fruits et légumes de la Dominique. Il n’y a pas que des tomates qui sont débarquées là. »
Louis Galantine a une dent contre la DEAL et il parle « au nom de ses collègues élus. »
« Nous sollicitons la possibilité d’élaborer des lois dans certaines compétences. »
Xavier Lefort : « Nous sommes dans un cadre législatif. Mais, je vous rassure, il n’y a pas de personnes rigides à la DEAL. Pour ces questions que vous évoquez : des routes à élargir, des travaux d’aménagement à faire, il faut nous en parler. Parlez-en aux sous-préfets, parlez m’en. Nous allons nous emparer de ces dossiers. Il y a toujours moyens d’avancer. »
Jimmy Fausta intervient pour parler de cohésion territoriale et estime que Basse-Terre est désavantagée. Ce à quoi Xavier Lefort répond que les grandes administrations sont maintenues à Basse-Terre, la Cour d’appel aussi, malgré les tentations au fil des années.
A une question d’Elie Califer, le préfet répond qu’il y a 350 millions pour des projets qui ne sortent pas de terre chaque année.
Il s’inquiète, de même, qu’on ne fasse pas une consommation maximale des fonds européens gérés par la Région et craint un désengagement pour l’année prochaine.
Il faut savoir que les crédits des fonds structurels européens — FEDER et FSE — sont répartis en sept tranches annuelles équivalentes qui doivent chacune être utilisée au plus tard au 31 décembre de la deuxième année suivant chaque année de programmation. Le non-respect de cette règle est sanctionné par le dégagement d’office des crédits, c’est-à-dire leur annulation par la Commission européenne.
« C’est un gros problème », commente le préfet.
C’est la fin des questions et le président Losbar et le préfet Lefort se disent prêts à renouveler chaque six mois ce type d’exercice démocratique.
Guy Losbar, président du Conseil départemental :