Olivier Nicolas, Premier secrétaire fédéral de la Fédération guadeloupéenne du Parti socialiste, a rendu publique, au nom du bureau fédéral, la contribution des socialistes aux travaux préparatoires du XVIIe Congrès des élus de Guadeloupe.
Une nouvelle fois — une « énième » diront beaucoup — la question de la gouvernance de la Guadeloupe revient au premier plan du débat politique. Dans le prolongement de l’Appel de Fort-de-France initié le 16 mai 2022 et des travaux engagés au sein de la commission mixte ad hoc installée quelques mois après et qui rassemble la Région, le Département, les parlementaires et l’Association des maires, et dans la perspective d’une prochaine révision de la Constitution française, le débat est relancé. Et il doit faire l’objet courant juin 2023 d’un nouveau congrès des élus départementaux, régionaux et — désormais — des maires : le XVIIe en date.
« Les socialistes ne sont pas
d’indécrottables départementalistes »
La Fédération guadeloupéenne du Parti socialiste accueille favorablement la perspective de renouer sur la question de la gouvernance le fil de la discussion entre les élus, les forces politiques, les acteurs de la vie économique, sociale et associative et notre population. Ce fil aura été plusieurs fois interrompu au cours des deux dernières décennies, car chacun sait combien les débats institutionnels et statutaires ont rarement été consensuels et ont généré des divisions profondes, sans jamais aboutir.
La présente contribution est l’occasion de rappeler que les socialistes ne sont pas d’indécrottables départementalistes qui seraient opposés — par principe et pour toujours — à tout changement institutionnel ou statutaire.
Ce n’est évidemment pas la vérité.
Nous avons en héritage la vision des socialistes qui, comme Paul Valentino, avaient pointé dès 1946 les limites de la départementalisation et de l’assimilation. Et nous avons au coeur de notre ADN l’idée — pour reprendre la terminologie de notre camarade sénateur Victorin Lurel — que la Guadeloupe est aujourd’hui « une Nation sans Etat » au sein de la République française. Une « Nation sans Etat » qui pourrait faire le choix, demain ou après-demain, de s’administrer elle-même.
Pour le dire plus simplement : les socialistes croient fortement au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Et si nous affirmons sans complexe être pleinement à l’aise au sein de la République, c’est aussi parce que nous croyons que les Outre-mer lui donnent une dimension fédérale. Ce fédéralisme va dans le sens de l’histoire et nous souhaitons qu’il soit enfin pleinement assumé jusqu’à pouvoir accorder, le moment venu, aux territoires ultramarins qui le souhaitent un drapeau et un hymne, symboles de l’expression de leur identité propre au sein de la République.
Là se situe l’horizon des défis collectifs qui sont devant nous en matière de gouvernance.
« Il convient d’avoir pleinement conscience que le contexte
du moment apparaît assez défavorable à une relance de ce débat »
Toutefois, au moment de rouvrir ce dossier, les socialistes se veulent d’abord et avant tout lucides. Car, il convient d’avoir pleinement conscience que le contexte du moment apparaît assez défavorable à une relance de ce débat.
En effet, la méfiance de la population envers ses élus et sa classe politique s’est progressivement transformée en une défiance sans précédent qui se traduit, notamment, par un débat politique atone et parfois délétère, et une abstention régulièrement massive aux élections locales.
Les défaillances multiples de nombreuses politiques publiques et singulièrement des services publics essentiels (eau, assainissement, transports, déchets, santé, éducation…) affectent profondément la vie quotidienne de nos compatriotes qui savent que bon nombre des compétences en cause relèvent de la responsabilité locale.
La Guadeloupe de 2023 est un territoire en déclin démographique marqué, qui vieillit et perd en moyenne 3.000 habitants chaque année depuis une décennie, principalement nos jeunes qui partent faire leurs études et ne veulent ou ne peuvent revenir.
Enfin, une vingtaine de nos communes — sur 32 — sont sous la tutelle de l’Etat au regard de leurs grandes difficultés financières.
Dans un tel contexte, les préoccupations de l’immense majorité de notre population sont plutôt les services publics, que nos compatriotes désespèrent de voir s’améliorer ; le pouvoir d’achat, au regard de l’inflation qui sévit depuis des mois et qui amplifie la vie chère ; et la sécurité, face aux flambées de violence que connaît notre archipel.
A ce stade, nous devons admettre que nous n’y trouvons pas la demande d’un changement de nos institutions ou de notre statut dans la République, surtout si celle-ci revient à réclamer davantage de responsabilités à un échelon local qui, jusqu’ici, aux yeux de notre population, n’a pas fait ses preuves et a une crédibilité à reconstruire.
Ne pas tenir compte dans nos réflexions de ces réalités prégnantes que vit la population, ni de la profonde crise du leadership politique qu’elles révèlent chaque jour davantage, serait d’emblée prendre le risque d’un nouvel échec assurément dommageable pour la Guadeloupe.
« Nous ne pouvons rester dans un statu quo
aujourd’hui synonyme d’inefficacité des politiques publiques »
Car, s’ils sont très lucides sur le contexte, les socialistes le sont tout autant sur la nécessité d’améliorer la gouvernance de notre territoire.
Nous ne pouvons en effet rester dans un statu quo aujourd’hui synonyme d’inefficacité des politiques publiques, de manque de lisibilité quant aux compétences et aux responsabilités pour les citoyens et d’une tendance prononcée des pouvoirs publics, Etat comme collectivités locales, à se défausser les uns sur les autres pour expliquer les difficultés du pays.
C’est précisément cette conviction qu’il faut en finir avec une forme d’impuissance publique qui avait conduit en 2019 la majorité socialiste du Conseil départemental à proposer de relancer la réflexion collective sur la gouvernance après 6 longues années d’interruption dans le cadre d’un Congrès des élus départementaux et régionaux.
Comme aujourd’hui, il s’agissait déjà de s’inscrire dans la perspective d’une possible révision de la Constitution annoncée par le président de la République. Et nous disions à l’époque qu’il fallait, pour mener à bien cette nouvelle réflexion, à la fois tirer les leçons des échecs du passé et tenir compte des changements intervenus depuis 2003.
« Changer de paradigme autour
de quelques principes simples »
Autrement dit, nous affirmions qu’il fallait changer de paradigme autour de quelques principes simples qui sont au cœur des réflexions à partir desquelles notre parti politique affine depuis plusieurs années son logiciel :
– Un changement institutionnel ou statutaire ne peut pas et ne doit pas être une fin en soi ; il n’est pas une solution miracle, mais un moyen qui doit servir des objectifs et, idéalement, un projet de développement cohérent.
– La question de la gouvernance ne peut plus être pensée dans les mêmes termes qu’il y a 20 ans et ne peut se borner à simplement remettre au goût du jour le projet de collectivité unique fusionnant la Région et le Département, comme en 2003.
– La montée en puissance de nouveaux échelons administratifs avec les intercommunalités (communautés de communes, puis communautés d’agglomération et désormais une multitude de syndicats mixtes, ouverts ou non..) a créé de nouveaux chevauchement de compétences et de nouvelles complexités qui appellent une réflexion globale sur notre organisation institutionnelle.
– Enfin, un certain nombre de changements sont d’ores et déjà possibles pour améliorer l’efficacité et la lisibilité des politiques publiques pour les citoyens, pour peu que nos collectivités s’entendent sur une nouvelle répartition des compétences entre elles.
Ainsi, lors des deux congrès de 2019, les élus socialistes et apparentés ont défendu l’idée de rechercher collectivement une voie d’évolution de la gouvernance qui soit spécifique à la Guadeloupe. Nous l’avions baptisée « article 971 », afin d’exprimer notre souhait de nous inscrire dans la revendication d’une « gouvernance à la carte » répondant aux spécificités de notre territoire et à notre volonté de domicilier un certain nombre de pouvoirs au niveau local.
De même, lors de ces deux congrès, nous avons exprimé notre intérêt pour une révision de la Constitution française permettant à chaque territoire ultramarin qui le souhaite de définir dans une loi organique son organisation institutionnelle et la répartition des compétences entre l’Etat et le territoire. Cette loi organique, élaborée dans un dialogue étroit entre le territoire, d’une part, et le Gouvernement et le Parlement d’autre part, serait ensuite soumise au consentement de sa population.
Nous disions, notamment, que cette révision de la Constitution pourrait, par exemple, prendre la forme d’une réécriture, voire d’une fusion de ses articles 73 et 74. Et nous notons avec satisfaction que cette proposition figure parmi les différentes pistes d’évolutions présentées dans les travaux du Sénat sur la gouvernance des Outre-mer.
C’est pourquoi, au moment où nous contribuons aux travaux préparatoires à la prochaine réunion du congrès, nous indiquons que nous continuons à nous inscrire dans l’approche des deux précédents que les élus socialistes et apparentés ont largement contribué à inspirer. Et nous souhaitons que les travaux à venir s’inscrivent clairement dans la continuité des résolutions des 26 et 27 juin, et celles du 20 décembre 2019, qui constituent une excellente base de travail et proposent une hiérarchie des priorités qui reste pertinente.
« Nous devons nous saisir de l’opportunité que représente
pour nos territoires la révision constitutionnelle à venir »
En effet, nous devons en premier lieu nous saisir de l’opportunité que représente pour nos territoires la révision constitutionnelle à venir, rendue inévitable à échéance rapprochée pour tenir compte de la question calédonienne.
En demandant à être concernés par cette révision constitutionnelle, deux objectifs doivent être poursuivis :
– d’une part, dessiner un nouveau cadre pouvant répondre aux attentes des territoires signataires de l’Appel de Fort-de-France dont chacun peut mesurer la très large diversité entre les élus de la Martinique et de la Guyane — qui s’inscrivent résolument dans une quête d’autonomie accrue au sein de la République, ceux de La Réunion et Mayotte — qui privilégient un maintien dans le droit commun, et ceux de la Guadeloupe — qui s’interrogent encore ;
– et d’autre part, améliorer le processus par lequel les territoires ultramarins peuvent décider de faire évoluer leur gouvernance.
Ce dernier point est crucial.
Car les socialistes sont convaincus que le processus actuel porte en lui-même les germes de l’échec, quand bien même un bon projet viendrait à être proposé. Ce processus toujours en vigueur aujourd’hui prévoit en effet de consulter la population par référendum sur un principe (par exemple : passer de l’article 73 à l’article 74 ; ou aller vers une collectivité unique). Mais, le contenu concret dudit projet est toujours décidé par la suite, essentiellement à Paris, dans les couloirs des ministères et du Parlement. Ce qui, dans ces matières complexes, nous renvoie toujours à l’idée — d’ailleurs légitime — que le diable est dans les détails, que ces détails sont cachés et qu’ils sont décidés ailleurs que chez nous. En imaginant un processus prévoyant de consulter la population non plus sur un principe, mais sur la totalité du projet de loi organique — comme ce fut le cas pour le référendum sur le statut de la Corse en 2003 — il n’y aurait plus « chat an sak », car le chat devrait nécessairement être sorti du sac avant de consulter la population.
A travers cette révision constitutionnelle, nous devons donc chercher à élargir le champ des possibles en matière d’évolution de notre gouvernance.
Que cela prenne la forme d’une éventuelle fusion des articles 73 et 74, ou bien celle d’une évolution de la notion d’adaptation, ou celle – très complète et digne d’intérêt – proposée par le magistrat Stéphane DIEMERT ou encore celle proposée par le constitutionnaliste Didier MAUS, ou – pourquoi pas ? – d’une proposition que nous arriverions à élaborer nous-mêmes en légistique, il nous faudra aller au bout du débat pour ne pas subir une vision et une expertise imposées depuis Paris.
Au sortir du congrès du mois de juin 2023, c’est cette première demande forte que nous devrions, selon nous, exprimer.
Ensuite, nous devons relancer le chantier d’une meilleure répartition des compétences entre nos collectivités, comme le prévoyait déjà l’article 2 de la résolution du Congrès du 20 décembre 2019. Ce serait un gage donné à notre population qui observe – comme nous – que rien n’a été fait en la matière depuis lors et que « le contrat de gouvernance concerté » tant vanté en 2021 entre une région et un département aujourd’hui en symbiose politique, en théorie, n’aura duré que le temps d’une campagne électorale.
Pour notre part, nous maintenons l’idée que la Région et le Département pourraient par exemple s’accorder sur la création de blocs de compétence unifiés, tels que les « constructions scolaires lycées et collèges » ou les « routes nationales et départementales », à confier à l’une des deux collectivités. D’autres champs pourraient être concernés et faire l’objet de travaux au sein de la Conférence territoriale de l’action publique (CTAP) qui, étrangement, ne se réunit plus guère. Nous avons la conviction que les citoyens y verraient un progrès en matière de lisibilité des politiques publiques.
Enfin, nous devons réengager et surtout approfondir le travail sur les sujets dont nous savons qu’ils peuvent nous diviser collectivement :
- d’apporter des solutions en matière de préférence locale à l’emploi, car dans un pays où le taux de chômage ne descend jamais sous la barre des 20%, c’est évidemment une piste à explorer ;
- de mieux maîtriser l’aménagement de notre territoire à la fois pour favoriser le rééquilibrage territorial et pour protéger notre environnement lourdement menacé par le changement climatique ;
- de réguler l’économie en maîtrisant, par exemple, le droit d’installation, afin de favoriser le développement d’un entreprenariat local en continuant la lutte contre les monopoles et les distorsions de concurrence ;
- de maîtriser notre précieux foncier, afin de le protéger des spéculations et des captations ;
- de penser une fiscalité locale qui protège notre production sans être facteur de vie chère ;
- de peser sur les dynamiques démographiques qui sont aujourd’hui à l’œuvre en favorisant notamment l’incitation au retour de nos jeunes ;
- Contribution FGPS XVIIe CONGRES
- ou encore, plus globalement, d’atteindre avec d’autres moyens l’ambition d’égalité réelle que nous ne cessons de défendre.
« Le mode de gouvernance qui règle tout d’un coup
de baguette magique n’existe pas »
De même, nous serions partisans dans nos travaux d’aller au bout d’un débat étayé et argumenté sur la place de la Guadeloupe dans l’Union européenne, étant entendu que certaines forces politiques défendent un passage du statut de RUP (Région ultrapériphérique) à celui de PTOM (Pays et territoire d’outre-mer), ce qui serait un choix dont il conviendrait d’évaluer toutes les conséquences.
Voilà donc un travail de longue haleine qu’il nous est enfin proposé de relancer dans un contexte difficile, après une longue interruption. La défiance manifeste de notre population à l’égard des institutions et des élus plaide pour que nous abordions cette nouvelle étape avec humilité.
Les méthodes verticales du Gouvernement actuellement en place et l’approche comptable de son administration plaident pour que nous fassions preuve de prudence. La complexité des enjeux et la nécessité de rechercher un consensus plaident pour que nous fassions preuve de pragmatisme.
Mais, la nécessité d’apporter des réponses concrètes et réalistes au maux du pays plaide aussi pour que nous fassions preuve d’audace tout en tenant un langage de vérité. Le mode de gouvernance qui règle tout d’un coup de baguette magique n’existe pas. Comme n’existe pas non plus le système qui n’a que des avantages et aucun inconvénient.
N’oublions jamais que nous aurons toujours, au bout de nos travaux, une population sceptique à convaincre du bien-fondé de toute évolution et que, face à nous, elle aura des questions simples ; basiques :
– aurons-nous de l’eau en quantité et qualité ?
– aurons-nous des bus partout, en nombre et à l’heure – lutterons-nous mieux contre l’échec scolaire ?
– aurons-nous une meilleure offre de soins ?
– nos collectivités seront-elles mieux gérées ?
– et tant d’autres encore…
En élargissant le champ des possibles, c’est la confiance que nous devons tenter de rebâtir. Et la route promet d’être longue.