Vendredi 1er mars, forts d’un accord passé en avril 2023 entre les autorités et la plupart des organisations de producteurs de cannes, ces derniers devaient commencer à livrer celles-ci à l’usine sucrière continentale de Gardel. Les livraisons à l’usine de Marie-Galante sont prévues pour le 14 mars. A Gardel, l’usinier attend toujours…
« Confronté à un blocage de son site, Gardel se trouve dans l’impossibilité de démarrer sa campagne et dans l’obligation de fermer son site et de mettre le personnel en chômage technique », a dit Nicolas Philippot, directeur général délégué de Gardel.
Que se passe-t-il ? Pourquoi la campagne cannière, la coupe et les livraisons de cannes à l’usine ne se font-elles pas ?
« Nous voulons être payés de notre canne à 160, voire 200 euros la tonne », ont dit les représentants des Jeunes Agriculteurs de Guadeloupe, du Kolèktif des Agriculteurs, de l’UDCAG réunis en Collectif des planteurs/producteurs. Ils ont rencontré et sensibilisé les présidents Ary Chalus et Guy Losbar, les députés Olivier Serva et Christian Baptiste.
Ces producteurs de cannes (ils ne veulent plus être appelés « planteurs », vocable trop « colonial », disent-ils), exigent de même d’être rémunérés sur la bagasse, la mélasse, l’écume que tire l’usinier de leurs cannes.
Or, il apparaît que la bagasse est livrée à la centrale biomasse d’Albioma, non loin de Gardel, qui, en échange, donne de l’électricité à l’usine le temps de la récolte (en dehors de cette période de mars à juin il n’y a pas de bagasse et la centrale tourne avec des pellets de bois venus d’Amérique du nord). La mélasse est vendue à l’usine Bonne-Mère qui en fait de l’alcool. Sur ces deux produits de la canne une fois celle-ci broyée, une partie revient aux producteurs de cannes. Ils en veulent plus.
L’écume sert à amender les champs du faire-valoir direct de Gardel et les champs des agriculteurs qui en font la demande. Ces trois produits, c’est acté, devraient être mieux rémunérés en fin de campagne avec effet rétroactif. Du moins, c’est ce qui ressort de discussions avec les autorités, les élus, l’usinier, les SICAs, d’Iguacanne, le GIE Canne, etc. Bref, ceux qui veulent que la campagne débute rapidement.
Ce sont les mêmes qui ont fait de l’accord de 2023 une sorte de bible à suivre, arguant qu’entre 2018 et 2023, le prix de la tonne de cannes a vu sa rémunération augmenter de 30%.
La parole ayant été largement donnée aux mécontents, il est apparu intéressant de reprendre les arguments de ceux qui veulent démarrer la campagne tout de suite.
« Chaque jour compte pour les richesses
et donc pour le revenu des planteurs ! »
Nicolas Philippot, directeur général délégué de Gardel, s’est exprimé longuement dans un communiqué que nous publions in extenso.
Que dit-il ?
« Nous espérons que la raison reprendra le dessus et qu’une filière unie et responsable annoncera un démarrage prochain de la campagne 2024. Chaque jour compte pour les richesses et donc pour le revenu des planteurs ! »
Il argumente : « Confronté à un blocage de son site, Gardel se trouve dans l’impossibilité de démarrer sa campagne et dans l’obligation de fermer son site et de mettre le personnel en chômage technique. Gardel rappelle que la situation actuelle a des impacts sérieux sur l’ensemble de la filière, ses emplois et sa compétitivité et sur le revenu des planteurs.
Depuis le 1er mars, un groupe de planteurs, sous l’impulsion du collectif, des JA et de la SICA Basse-Terre UD-CAG a décidé de bloquer le site de Gardel et de décourager les opérateurs de coupe de lancer la récolte.
Pourtant, le 6 février 2024, cette date avait été actée pour le démarrage de la campagne 2024 par l’ensemble des représentants de l’Etat et de la filière : Préfet de la région Guadeloupe, Conseil Régional, Conseil Départemental, Chambre d’Agriculture, interprofession Iguacanne, CTCS, GIE Canne représentant les 4 SICA cannières, syndicats agricoles UPG, MODEF, FDSEA, JA, CR et le Collectif des planteurs.
Gardel a démontré sa volonté d’accompagner la filière et les planteurs en accordant une part toujours plus importante de la recette énergie bagasse aux planteurs (désormais 12/13e au lieu de 10/13e) conduisant à une augmentation du prix de la canne de +1,90€/tonne.
Par ailleurs, dans le cadre d’une démarche constructive et transparente Gardel s’est dite ouverte à étudier la mise en place d’un mécanisme de partage de la valeur, une avancée historique à destination des planteurs. »
Gardel rappelle que :
- 100% de ses profits sont réinvestis chaque année en interne, selon un plan d’entreprise communiqué à l’Etat, pour améliorer sa performance, son efficience, lui permettre de répondre aux différentes évolutions législatives et sociétales et lui donner les chances de réussir face à une pression concurrentielle internationale chaque année plus forte avec la volonté de préserver tous les emplois de la filière.
- le prix de la canne a fortement augmenté depuis 2018, il est passé de 31,20€ par tonne en 2018 à 40.49€ par tonne en 2024, soit une hausse de +29,8% (+9,29€) indépendante de la teneur en sucre de la canne.
- l’entreprise continue d’accompagner la filière de façon responsable, en ouvrant en avril 2024 une plateforme ValorCannes d’amendement organique destinées à livrer gratuitement du compost aux planteurs (4,2M€ d’investissement, 750K€ de frais de fonctionnement annuels).
- l’entreprise prépare l’avenir en soutenant un plan Canne-Sucre-BIO permettant de revaloriser le prix de la canne (+20€ à la tonne pour les cannes certifiées Agriculture Biologique).
« Tous ces efforts sont mis en œuvre, poursuit Nicolas Philippot, alors que Gardel fait face à des difficultés structurelles menaçant son avenir avec notamment en 5 ans une perte de volumes de cannes (-11% en 5 ans) combinée à une perte de volumes sucres liée à une baisse de richesse (-29% en 5 ans) et que ses charges nettes d’exploitation augmentent en raison de l’inflation (+6.46%). »
L’UPG sans concession
L’Union des Producteurs de Guadeloupe, porte-parole de la majorité des producteurs de cannes, rappelle dans une déclaration : « Les producteurs agricoles n’ont pas de liens de subordination par rapport aux industriels ; ils sont des partenaires économiques qui doivent traiter d’égal à égal, chacun cherchant à défendre aux mieux ses intérêts ; mais ils sont dans une interdépendance les uns par rapport aux autres.
L’UPG appelle de son vœu à l’unité du monde paysan, condition indispensable pour sauver la filière et assurer la pérennité des exploitations agricoles.
La canne est une culture pivot autour de laquelle l’agriculture Guadeloupéenne doit pouvoir se développer en systèmes de production polyvalents et par terroir. »
Pour l’UPG, cinq grands chantiers prioritaires :
1-La révision de la formule et du protocole de paiement de la canne
2-Le partage équitable des recettes réalisées sur tous les coproduits issus de la transformation de la canne
3-La problématique du foncier agricole
4-La reconnaissance de la sole cannière comme puits de carbone, donnant droit à une indemnisation dans le cadre de la transition écologique
5-La restructuration globale de la filière.
Le texte de la déclaration de l’UPG :