Alors que des rumeurs — persistantes — font état d’une possible prescription des faits dans le dossier de la Chlordécone, cette molécule agricole qui a empoisonné les sols, les eaux et les gens — 95% des martiniquais présentent, à l’analyse, des traces de la molécule dans leur sang —, les parties civiles se mobilisent. Elles font circuler une pétition.
Pour signer la pétition : https://www.myleo.legal/fr/products/petition-chlordecone?fbclid=IwAR2AlDR6XmGUg4F_bwHdCSO0yxROvaqIrOqM1QhIT_MozwYAvRmVAV_Jhxk
La pétition :
Trop souvent, les pollueurs profitent du délai de prescription pour échapper à toute poursuite judiciaire. C’est ce qui pourrait arriver prochainement dans le scandale du chlordecone. Cette injustice doit cesser. Dans la perspective des élections législatives, la société civile se mobilise et soumet au débat et au travail coopératif une réforme du régime de la prescription pénale en matière de pollution.
Le 25 mars 2022, après plus de 15 ans de procédures, les juges d’instruction du Pôle Santé de Paris ont fait savoir qu’ils avaient achevé leur enquête. D’après eux, personne ne devrait être renvoyé devant le tribunal car les infractions seraient prescrites.
Comme cela est-il possible ?
Tout d’abord, il convient de rappeler ce qu’est le chlordécone. Puissant pesticide destiné à éradiquer le charançon de la banane, cet organochloré est connu, depuis 1968, pour être particulièrement dangereux et rémanent. En raison de sa structure chimique, il est difficile à éliminer, au point que l’on considère aujourd’hui que la pollution durera plusieurs … siècles !
Outre son efficacité biocide, le chlordécone est connu pour être bio-accumulatif, c’est-à-dire que les micro-doses qui s’accumulent dans le corps peuvent au fil du temps devenir toxiques pour la santé humaine. Ce pesticide est un perturbateur endocrinien et cancérigène. Il affecte aujourd’hui 92 % de la population antillaise, sans distinction d’âge, de sexe ou de situation sociale.
Interdit aux Etats-Unis dès 1975 après la découverte des rejets de la seule usine de fabrication située à Hopewell (Virginie), il a fallu attendre 1990 pour qu’il le soit en France. Et encore, les industriels et propriétaires terriens avec la complicité de l’Etat se sont employés à « fabriquer de l’ignorance ». En laissant croire que ce n’était pas si grave, ils ont même obtenu une dérogation permettant l’usage de ce poison jusqu’en 1993.
Ainsi, malgré la gravité de la pollution et la reconnaissance scientifique de son caractère cancérigène par l’OMS depuis 1979, il a fallu attendre 2004 pour que les pouvoirs publics commencent à mettre en place de timides mesures d’accompagnement, loin de répondre aux attentes des populations. On est loin de la politique volontariste du gouverneur de Virginie, qui prit des décisions courageuses dans le mois de la découverte de la pollution d’Hopewell.
En 2006, plusieurs associations environnementales et des citoyens éveillés saisissent la justice. Mais cette dernière préfère mener une guérilla procédurale pour refuser d’enquêter. Dix ans perdus parce que le Ministère public refuse de voir la réalité en face et conteste jusque devant la Cour de cassation la recevabilité de la plainte. Et à présent, après quelques années d’une enquête complaisante avec les industriels et les grandes familles de la banane, le parquet vient nous expliquer qu’il y a prescription.
On comprend l’émoi qu’une telle position, si elle était définitivement confirmée par la justice, susciterait localement. Mais, au-delà de la situation aux Antilles, le délai de prescription risque d’être utilisé pour défendre les intérêts d’autres industriels, y compris dans l’Hexagone. Il est donc urgent d’agir et une solution existe.
Pourquoi modifier le régime de la prescription en matière de pollution environnementale ? Tout simplement pour le mettre en adéquation avec la réalité. Pour certaines substances toxiques, le corps humain, lui, ne peut pas éliminer ces toxines ou après une longue période.
En matière de prescription, la loi peut modifier deux paramètres, soit la durée, soit le point de départ de la prescription.
La solution proposée consiste à créer un mode particulier de calcul de la prescription, dès lors que l’infraction poursuivie résulte d’une pollution des sols, de l’air ou de l’eau. En l’état actuel du droit, le point de départ est fixé au jour de la pollution sans qu’il soit toujours possible de déterminer avec précision la date exacte de son commencement.
Nous pensons au contraire qu’il faut décaler le point de départ de la prescription au jour où la pollution a cessé. Cela aurait pour conséquence de motiver le pollueur à agir au plus vite et à ne pas laisser le mal se répandre.
Le poids des lobbys industriels a empêché, à ce jour, une telle évolution. Mais le scandale du chlordécone aux Antilles et plus généralement la prise de conscience de l’opinion publique française en matière de rejet toxique des pesticides impliquent de légiférer sans tarder.
C’est pourquoi, les auteurs de cette tribune lancent un appel aux élus locaux, aux parlementaires et au président de la République pour qu’une réforme du régime de la prescription soit adoptée dès le début de la prochaine législature.
Au-delà c’est l’ensemble de la société qui doit se mettre en mouvement pour lutter contre les goliaths de l’industrie des pesticides.
PREMIERS SIGNATAIRES
Patricia Chatenay-Rivauday, Janmari Flower, Jeanine Feler, Association VIVRE Guadeloupe
Dr Jean-Claude Pitat, PDG CAPÈS DOLÉ et Clinique CENTRE MÉDICO-SOCIAL
Philippe Pierre-Charles, Lyannaj pou dépolyé Matinik (cdmt)
Marie-jo Hardy-Dessources, Lyannaj pou dépolyé Matinik (ufm)
Laetitia Privat, Lyannaj pou dépolyé Matinik (sesd)
Roger Arnault, Lyannaj pou dépolyé Matinik (assaupamar)
Jean-Jacob Bicep, Alyans pour Gwadloup
Malcom Ferdinand, chargé de rechercher au CNRS
Ghyslain Vedeux, ancien président du CRAN
Christophe Lèguevaques, avocat au barreau de Paris