Rendez-vous raté lundi, compensé mercredi 21 février par la présence des deux présidents, de la Région, Ary Chalus, du Département, Guy Losbar. Ils sont venus écouter les doléances des planteurs de cannes affiliée aux Jeunes Agriculteurs de Guadeloupe, au Kolektif des Agriculteurs, à l’ADCAG de Roméo Meynard.
La discussion à ce stade n’a pas donné grand-chose. Les présidents ont été créatifs, proposant des solutions, certains planteurs sont restés sur leur faim. Les discussions vont sans doute se passer ailleurs et sans témoin…
Roméo Meynard, président de l’UDCAG :
Au premier étage de la Chambre d’agriculture, la réunion, au cours de laquelle Patrick Sellin en ses bâtiments, a fait office de modérateur, au cours de laquelle les planteurs ont expliqué ce qu’ils veulent avant même de penser à démarrer une campagne cannière cette année.
Que veulent-ils ? Apparemment, ils exonèrent l’Etat, la Région, le Département d’éventuels manquements pour se concentrer sur l’usine de Gardel. Et aussi sur la chaîne qui conduit du champ de canne à la broyeuse, en passant par les opérateurs de coupe, les transporteurs.
Et c’est bien de chaîne dont il faut parler. « Vous voyez l’image avec les planteurs qui vont apporter leurs cannes à l’usine. On se croirait du temps de l’esclavage, ça suffit ! », a dit quelqu’un. Les grands mots ! Pour de grands maux…
« Nous ne demandons pas de l’argent à l’Etat, à la Région, au Département ! Nous ne sommes pas des mendiants », ont-ils dit en substance. Ce qu’ils veulent c’est que leur canne soit rémunérée au juste prix, c’est-à-dire en tenant compte des coûts.
C’est peut-être — voire sûrement — Roméo Meynard qui a résumé la situation : « Nous en avons assez de mourir à petit feu alors que les opérateurs de coupe, les transporteur, l’usine s’en mettent plein les poches ! »
La réunion a débuté par des excuses. Celles de Roméo Meynard aux deux présidents qu’il avait accusé lundi, constatant leur absence, de « laisser tomber la profession pour aller parader au Salon de l’agriculture… »
Guy Losbar, président du Conseil départemental :
L’un comme l’autre président l’ont assez mal pris qui ont dit qu’ils avaient missionné des délégations pour rencontrer les planteurs de cannes, délégations composées de personnalités, élus et techniciens éprouvés, à même d’entendre les doléances des planteurs.
Ary Chalus, président du Conseil régional :
L’harmonie étant revenue pour un temps, les discussions ont pu commencer.
Deux tempéraments : Ary Chalus tout feu tout flamme, pour balancer sur l’Etat qui ne ferait pas son boulot, au contraire de la Région, vite recadré par Guy Losbar, plus pragmatique, qui est allé droit au but. Par les planteurs aussi qui n’accusent en rien l’Etat dans ce dossier. Sauf, peut-être, de fermer les yeux sur des pratiques qu’ils réprouvent : matériel « obsolète » du CTCS et « manque d’équité » de l’usinier.
C’est un peu oublier que l’Etat peut difficilement se mêler directement d’activités économiques très privées, le CTCS étant financé par les planteurs et l’usinier et ce dernier ayant une activité économique qui suit les règles… du capitalisme économique. Autre donnée, sociale celle-ci, l’usine donnant bon an mal an du travail à des milliers de personnes, directement ou indirectement et assurant ainsi une certaine tranquillité dans les bassins agricoles… sauf dans les deux mois précédant la récolte où les discussions sont âpres. C’est sans doute ce qui explique que l’Etat verse au pot de la tranquillité sociale chaque année…
Suivons les débats.
Quand on s’étonne de la diminution de la production de cannes depuis cinq ans, la réponse est claire : « On produit moins parce qu’on ne peut plus acheter d’intrants. C’est devenu trop cher ! Et on produit à perte. »
Pour ces planteurs, pourquoi produire plus alors que l’usine ne peut pas accepter plus de cannes chaque jour, 4 ou 5 000 tonnes à broyer.
Pour un retour d’investissement il faudrait pouvoir produire 700 000 t de canne là où la Guadeloupe tout entière produit un peu plus de 450 000 tonnes.
« Or l’usine est dans l’incapacité de traiter et il reste encore de la canne sur pied en fin de récolte », accusent les planteurs.
Que faire alors pour que ces planteurs soient satisfaits ? Lire : pour qu’ils commencent la campagne dans quinze jours, comme prévu ?
Leurs revendications sont apparemment simples : il faut changer les matériels de contrôle du taux de richesse de la canne du CTCS, il faut l’établissement d’un coût de revient minimum de la canne, il faut le paiement de la mélasse et de la bagasse par l’usine.
Avec l’assentiment des deux présidents conquis par le discours des planteurs qui disent que porter la canne à l’usine « doit rappeler quelque chose » et que « kann à la richesse doit cesser. »
D’autant, expliquent-ils, se fondant sur des rapports d’experts mandatés par eux, que le calcul du taux de sucre est biaisé… ce qui induit un prix moindre prix de la tonne de canne payé… à la richesse.
Des experts, ingénieurs indépendants, fustigent la démarche de Gardel
« Des subventions de l’Etat pour moderniser Gardel lui donnent la possibilité de produire plus. Or, à part le sucre cristallisable les autres produits ne sont pas payés : sucres spéciaux, mélasse et bagasse. »
Les présidents demandent des précisions.
« La valeur ajoutée de la canne ne revient pas aux planteurs. La valeur ajoutée produite par l’usine est gardée par l’usine », lance un expert.
« Ils essaient de tirer le maximum de la canne. S’ils veulent continuer il faut qu’ils tiennent compte des producteurs. S’ils le font ils seront un modèle plus vertueux et plus équitable », dit un autre expert.
Il poursuit : « Avec la canne on peut faire d’autres chose que du sucre. Il faut que l’on mette en place un autre schéma de développement de la filière. »
La Région pourrait soutenir ce schéma, disent-ils.
Le Département peut mettre 10 000 hectares à la disposition des jeunes qui veulent se lancer en agriculture, explique le représentant des Jeunes Agriculteurs, Cyril Césaire.
Cyril Césaire, président des Jeunes Agriculteurs :
Guy Losbar explique que c’est en cours mais que s’y opposent des occupations illégales, des baux obsolètes, etc.
En fait il n’y aurait pas plus de 20% de ces terres disponibles.
Guy Losbar : « La récolte peut-elle commencer le 1er mars ? Avec la promesse que tout ceci sera étudié. »
Se pose la question de la représentativité des membres du collectif. Il y a un travail de cohésion à faire avec l’ensemble des agriculteurs qui font de la canne, disent Patrick Dollin, président de la Commission Verte de la Région, et Denis Céleste, directeur général adjoint en charge de l’Economie.
Les membres du collectif mettent en avant que l’on fait des promesses chaque année et qu’une fois la récolte commencée tout est oublié.
« Ça fait quinze ans qu’on parle de ça et rien ne change. C’est chaque année pire. On ne peut pas commencer la récolte avec cette situation », dit un planteur.
« C’est pas une question de tonnage, c’est une question de richesse. On ne veut pas être volé par l’usine. On ne peut pas démarrer la campagne », dit un autre planteur.
« Quel prix vous voulez ? Quel prix vous voulez ? », demande Ary Chalus.
« Ce n’est pas en quinze jours qu’on peut déterminer de nouvelles donnes ! Il faut nous engager à revoir ce que vous avez dit avec toutes les parties concernées », propose Guy Losbar.
Roméo Meynard : « Nous avons 700 000 euros de dettes. — il fait allusion à la situation de sa SICA — On n’en peut plus. Ce que nous proposons c’est un prix bloqué de la tonne de canne pour trois ans, le temps de nous organiser et de revoir les données du problème. »
On remet en cause le président du CTCS « qui ne dit rien », des présidents de syndicats « qui ne font pas de canne. »
La discussion se poursuit avec le coût de production. Les intrants ont augmenté. « On a dépassé les 1 000 euros la tonne d’engrais. Le coût des prestations de récolte a augmenté de 30%. La coupe mécanique a augmenté de 40%. Le coût de revient de la tonne sur un bassin comme nord Basse-Terre c’est 83€ la tonne. »
« On travaille plus pour gagner moins », commente-on.
En fait, les 109€ la tonne sont contraints par des obligations que les planteurs ne peuvent respecter.
Pourquoi ? « Parce que les données sont biaisées », disent-ils.
Depuis 2002, 14,24€ la tonne c’est ce que paie l’usine. Le reste ce sont des aides de l’Etat.
L’augmentation de 30% obtenue en 2023 ne concerne personne, dit le collectif, dans les conditions de l’accord. Personne ne répond aux critères de l’accord.
« L’usine doit payer équitablement ce qu’elle achète. »
Guy Losbar est applaudi.
Roméo Meynard demande pourquoi « la France » accepte qu’à la Réunion la canne soit payée le double de la Guadeloupe. Il oublie qu’à la Réunion, la canne est livrée propre, sans paille, sans herbes… ce que les producteurs se sont engagés à faire pour obtenir un prix attrayant. Et qu’à la Réunion, l’agriculture, surtout la production de canne, est profondément ancrée dans le cœur des agriculteurs qui se sont professionnalisés, avec passion.
Il faudrait 140€ la tonne pour que le planteur ait un revenu avec 60 tonnes à l’hectare et 9 de richesse. « Nous avons demandé 160€ pour commencer à couper », lance Roméo Meynard.
Guy Losbar préfère qu’on revoit le modèle économique (l’usine et ses capacités, ses pratiques vis-à-vis des planteurs) et que l’on revoit le travail de culture (planteur). Que l’usine partage les bénéfices équitablement avec les planteurs et que ceux-ci revoient leurs pratiques culturales pour être à même de produire plus.
Roméo Meynard se dit déçu et manifeste vivement cette déception avant de quitter la salle :
Les présidents iront porter la parole du collectif au préfet et à l’usinier de Gardel.
Guy Losbar :
Ary Chalus :
André-Jean VIDAL
Aj.vidal@karibinfo.com