Ce 12 juin, les élus des conseils régional et départemental, les maires, les sénateurs, les représentants des EPCI, sans doute les députés sortants, se retrouveront au palais du Conseil départemental, à Basse-Terre, pour une journée de congrès. Les enjeux sont d’importance rassemblée dans un rapport (télécharger en fin d’article) : le changement de statut, plus d’autonomie, la collectivité ou l’assemblée unique, l’avenir des collectivités d’agglomération, les 153 résolutions du précédent congrès, en juin 2023, les emblèmes de la Guadeloupe…
« La vocation de l’évolution institutionnelle envisagée est de cheminer vers une organisation institutionnelle et un périmètre de compétences fondés sur une plus grande domiciliation locale du pouvoir de décision dans les domaines identifiés comme étant essentiels au développement de l’archipel :
. La fusion de la Région et du Département en une collectivité unique
. Le pouvoir d’adaptation des normes aux réalités de notre archipel
. La fixation du nombre d’élus
.La refonte de la carte de l’intercommunalité
. L’adoption d’une loi de programmation sur 10 ans portant contractualisation des engagements de l’État
. La mise en place d’une fiscalité spécifique
. La réflexion sur les éléments constitutifs des emblèmes de la Guadeloupe (hymne, drapeau…)
. Le régime législatif applicable
. Le rapport à l’Union Européenne.
Ainsi, après consultation de la population, il s’agira de mettre en place des institutions adaptées aux spécificités de l’archipel afin de favoriser son développement économique, social et culturel à travers un projet de développement territorial ambitieux. »
C’est le menu du Congrès des élus du mercredi 12 juin 2024.
Conformément aux deux résolutions adoptées à l’unanimité lors du congrès du 7 juin 2023, la commission mixte ad hoc composée de 7 élus régionaux, 7 élus départementaux, des 7 parlementaires et de l’association des maires, a poursuivi ses travaux durant plusieurs mois en assurant une large concertation avec plusieurs acteurs de l’archipel, mobilisant plusieurs experts et conduit des échanges approfondis avec l’ensemble des partis politiques et de la population.
Ces travaux visent à finaliser un projet d’organisation institutionnelle et un périmètre de compétences fondés sur une plus grande domiciliation locale du pouvoir de décision dans les domaines identifiés comme étant essentiels au développement de l’archipel.
Les résultats de ces travaux seront présentés lors du 18eme congrès des élus, qui se tiendra le 12 juin au Palais du Conseil Départemental.
UN CONGRES POURQUOI FAIRE ?
C’est la question que se posent les Guadeloupéens. « Il n’est pas question de changer de statut sans que la population soit consultée… », a dit à plusieurs reprises Guy Losbar, président du Conseil départemental et l’un des animateurs de la commission ad hoc qui a travaillé longuement sur le sujet. Outre cette commission, il y a eu des compilations des analyses des consultations précédentes, enrichies des nouvelles contributions d’experts, des partis politiques et des citoyens.
Les 153 préconisations du précédent congrès font l’objet d’une hiérarchisation et d’une analyse de faisabilité. Il faut déterminer quelles sont les mesures qui peuvent être réalisées dans le périmètre actuel et celles nécessitant une évolution institutionnelle. Enfin, envisager le projet de société qui découlera de l’analyse approfondie de toutes les contributions et l’organisation institutionnelle appropriée pour la mise en œuvre du projet.
INTERVIEWS
Qu’ont fait les membres de la commission ad hoc ? Ils ont entendu des experts, des représentants des partis politiques, analysé les contributions écrites de ces partis, tenu des ateliers de discussions, dépouillé les contributions des Guadeloupéens déposées sur une plateforme, Kanoukafe.com, enregistré les forums dans les communes où tout un chacun pouvait intervenir… Ils ont, de même, interviewé des grands témoins : Teva Rohfritsch, sénateur de la Polynésie française, Xavier Lédée, président du Conseil territorial de Saint-Barthélemy, Bruno Magras, président honoraire de la Collectivité de Saint-Barthélemy (7 mai), Serge Letchimy, président du Conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique.
UN LONG TRAVAIL EN ATELIER
7 ateliers ont permis de travailler sur 9 domaines et questionnements. De quoi s’agit-il ? De la fusion de la Région et du Département en une collectivité unique ainsi que du nombre d’élus; du pouvoir d’adaptation des normes et du régime législatif applicable; de la refonte de la carte de l’intercommunalité; des engagements réciproques de la France et de la Guadeloupe et des conséquences financières assortie de l’adoption d’une loi de programmation sur 10 ans contractualisant les engagements de l’Etat; de la mise en place d’une fiscalité spécifique; du rapport de la Guadeloupe à l’Union européenne… Et, accessoirement, d’un hymne, d’un drapeau, de décorations locales, etc.
ENTRÉE, PLAT DE RÉSISTANCE
Le timing du Congrès des élus est en trois parties : l’entrée, c’est revenir sur les 153 préconisations du précédent congrès. Voir celles qui sont réalisables dans le cadre actuel et celles qui exigent des modifications institutionnelles pour pouvoir être réalisées. Sachant que ces 153 préconisations sont vitales pour la Guadeloupe si l’on veut sortir de la situation ambigüe actuelle. Il faut impulser des politiques publiques solidement charpentées.
Deuxième partie, le plat de résistance l’évolution institutionnelle dont la synthèse des contributions des partis politiques ne sera pas le moment le plus calme : chaque parti à sa vision des choses.
DESSERT : UNE FUSION…
Parfois le dessert peut être bourratif, à moins que ce ne soit une bombe glacée !.. Là, c’est le projet d’architecture des nouvelles institutions. Que lit-on dans le rapport : « Description du modèle proposé (par la commission ad hoc) pour la fusion Région/Département. »
Et, ne nous illusionnons pas : c’est une volonté quasi unanime des élus et un souhait de 59% des Guadeloupéens sondés par Qualistat en 2023.
Cependant, la route est longue et le Congrès des élus de mercredi n’est qu’une étape.
« Rien ne se fera sans les Guadeloupéens », a martelé Guy Losbar.
André-Jean VIDAL
59%
En juin 2023, juste avant le Congrès des élus, Qualistat, à la demande du CAGI, avait sondé 512 personnes sur la question du statut.
Fred Réno, président du CAGI : « 59 % des personnes interrogées sont favorables à la fusion des deux collectivités. On a été un peu surpris car ce sont les 60 ans et plus qui sont le plus favorables au changement. Les jeunes le sont aussi à 54 à 56% mais ce sont quand même les plus âgés qui le sont le plus. Notre explication, c’est que les anciens ont l’expérience de l’avant et de maintenant et sont peut-être mieux placés pour comprendre la nécessité de fusionner. » Quand Fred Réno parle « de l’avant », il rappelle qu’avant la décentralisation il n’y avait qu’une assemblée, le Conseil général, remplacé par le Conseil départemental.
Ce serait dommage…
Les Guadeloupéens clament volontiers qu’ils souhaitent une assemblée unique, u changement de statut… mais tout autant qu’ils ne veulent pas que les élus leur fassent prendre le risque de perdre – quoiqu’ils en disent — « les avantages d’être Français. » Râler oui, mais dans certaines limites.
Le changement de statut… mais pas trop. C’est pour cela qu’à la première velléité des élus locaux d’avoir plus de compétences, ce qu’ils appellent pudiquement « la domiciliation locale de certains pouvoirs », le ministre des Outre-mer de l’époque, le cynique Sébastien Lecornu, avait répliqué : « Si c’est l’autonomie que vous voulez, parlons-en ! »
Il souhaitait leur rappeler que l’autonomie, il y a vingt ans, les Guadeloupéens l’avaient refusée tout comme une seule assemblée… et les inviter ainsi à prendre garde.
Mais, les élus d’aujourd’hui ne sont pas les élus d’hier. Ceux-ci font de la pédagogie, avancent prudemment, avec circonspection, cartes en mains (les deux rapports des congrès, celui de juin 2023 et celui de juin 2024 (voir plus bas) sont en ce sens remarquables). Il n’y a pas de roulement de tambour et de grandes phrases définitives. Ils disent clairement que les institutions telles qu’elles sont ne sont plus adaptées. Que l’onction vienne de Paris n’est plus de mise.
La parole en final de compte sera au peuple qui seul, dans l’isoloir, quand la question lui sera posée, dira s’il veut l’autonomie, l’assemblée unique, quelques changements à la marge ou rien du tout. Mais, ce serait dommage de manquer l’occasion… d’autre chose.
Victorin Lurel : aller plus loin
Dans la perspective du XVIIIe Congrès des élus départementaux et régionaux convoqué par le président du Congrès et président du Conseil départemental le 12 juin, le sénateur Victorin Lurel a écrit aux élus un courrier portant proposition d’un projet de résolution. Faut-il rappeler que c’est l’alors député Victorin Lurel qui a torpillé le processus.
Que veut Victorin Lurel ? Il est à retenir que le sénateur a participé à toutes les réunions de la commission ad hoc préparatoire du Congrès des élus. « Je reste convaincu que le fond de la proposition faite et l’ordre du jour du Congrès qui en découle ne sont pas de nature à renforcer les politiques de différenciation pour la Guadeloupe ni à favoriser une meilleure domiciliation du pouvoir en local.
Seule une révision de la Constitution serait en effet de nature à favoriser une meilleure prise en compte de notre situation spécifique et singulière, tant au niveau de la responsabilité politique dans l’exercice des compétences, que de l’organisation administrative et territoriale, notamment dans les domaines de la politique publique de l’emploi, du développement économique et humain, de la fiscalité, du foncier, de l’urbanisme et de l’environnement. »
Après avoir argumenté, Victorin Lurel conclut : « Je souhaite, pour ma part, que soit soumis au Congrès du 12 juin 2024 le projet de résolution qui suit, inspiré pour partie des travaux engagés par la Collectivité de Corse, afin d’alimenter une position de l’ensemble des élus de l’archipel et d’ouvrir, le cas échéant, les discussions avec l’État les autres territoires intéressés qui pourraient s’inscrire dans notre démarche. »
Une assemblée, combien d’élus ?
« Sans succomber à la « tentation populiste » et pour tenir compte des contraintes exposées par les représentants de Martinique et de Guyane qui peuvent tirer un bilan de près de dix ans de fusion, nous proposons que la nouvelle assemblée soit composée de 60 élus », dit le rapport.
Reste le mode d’élection de ces élus. Deux options.
1) Sous réserve d’une levée des obstacles juridiques en la matière, notre proposition renvoie à un mode de scrutin hybride combinant le scrutin proportionnel et le scrutin majoritaire uninominal à deux tours garant d’une représentation archipélique :
. 42 sièges correspondant au principe de territorialité. Les sièges sont répartis dans des sections si l’on accepte de faire de chaque île du sud une section ;
. 18 sièges correspondant au principe de proportionnalité. Les sièges sont répartis entre des listes sur le territoire de la Guadeloupe ;
. Les îles du sud disposeraient de 6 sièges : 3 sièges pour Marie-Galante, 1 siège respectivement pour la Désirade, Terre-de-Bas et Terre-deHaut. MariGalante pourrait contester cette distribution si l’on retenait le critère démographique pour désigner les représentants.
Au cours de la même élection, les électeurs auraient ainsi à désigner 18 autres représentants territoriaux à la proportionnelle. Autrement dit, l’électeur aurait à mettre deux bulletins dans l’urne : un pour désigner un candidat de son choix dans sa circonscription, un autre pour une liste de son choix.
Cette option inspirée du modèle allemand a peu de chances d’être validée en l’état actuel du droit français.
2) Il parait plus aisé d’instaurer la proportionnelle – ou plus précisément un scrutin de liste à deux tours avec prime majoritaire dans le cadre de sections électorales. L’élection ne se déroule donc pas dans une circonscription unique.
Le territoire est divisé en sections électorales (nombre de sections et seuil démographique de représentation à déterminer pour la partie « continentale » de la Guadeloupe) dans lesquelles s’affrontent les différentes listes. Par ailleurs, chaque île du sud constituerait une section avec attribution obligatoire d’au moins un siège à chaque île.
. Les sièges sont répartis entre les listes proportionnellement au nombre de voix obtenues dans chaque section ;
. La liste ayant obtenu plus de 50% au premier tour ou arrivée en tête au second tour (si aucune liste n’obtient la majorité au premier tour) reçoit d’emblée la moitié des sièges (30) augmentée d’une prime majoritaire d’au moins 5 sièges. L’objectif de cette prime est de favoriser la stabilité de l’équipe gouvernante, soit 35 sièges ;
. En cas de second tour, les listes ayant obtenues au moins 10% des suffrages exprimés peuvent se présenter ;
. Au second tour, la liste qui obtient le plus grand nombre de voix est élue et bénéficie de la prime majoritaire.
Quid des EPCI ?
Il y a six EPCI : CAPEX, CANGT, CARL, CANBT, CAGSC, CCMG.
CAPEX ou Cap Excellence, c’est le cœur du sujet. Cap Excellence est, selon l’analyse faite dans l’étude du CAGI, « d’abord un construit reposant sur des fondements les plus divers, parmi lesquels la viabilité économique du territoire, sa taille démographique, ses ressources techniques et administratives, sa capacité à influencer le développement du reste de la Guadeloupe, sa capacité à peser face aux collectivités régionale, départementale et à l’État ».
Le maire des Abymes, président de Cap Excellence, défend cette centralité. Il est favorable au regroupement des autres EPCI (Grande-Terre et Basse-Terre) qui constituerait les deux ailes du papillon, tandis que le centre en serait selon son expression « le corps ». On pourrait même, toujours selon lui, envisager une extension vers Morne-À-L’eau et Petit-Bourg dans l’hypothèse du regroupement.
On le voit, l’idée de trois EPCI est lancée, rationnelle puisqu’elle supprimerait les EPCI intermédiaires qui alourdissent le shcmilblik.
Maintenir la communauté de communes de Marie-Galante
S’agissant de Marie-Galante, la très grande majorité des maires interrogés s’accorde à dire que la Communauté de Communes – la première des outre-mer, créée en 1994 – ne saurait être remise en question. Marie-Galante est en effet un territoire insulaire avec une forte identité. Elle a une histoire et répond à une nécessité impérieuse dictée par la double insularité. Le Maire de Grand-Bourg va encore plus loin en préconisant l’émergence d’une seule commune (pour éviter les concurrences) et la création d’une Collectivité Territoriale dont il resterait à définir les relations avec la Guadeloupe.
Source : Rapport aux élus