Grande nterview. « L’agriculture doit être faite par les agriculteurs », affirme Nicaise Monrose

Nicaise Monrose est maire de Sainte-Luce et président de la Commission agricole de la Collectivité Territoriale de la Martinique. Entretien.

Nicaise Monrose est aussi directeur général de la Chambre d’Agriculture de la Martinique. @CTM

Parlez-nous de l’agriculture en Martinique. Comment se porte ce secteur économique ?

L’agriculture en Martinique doit faire face à des problèmes conjoncturels, avec des filières en difficultés, comme on en connaît partout ailleurs. La CTM contribue à régler ceux-ci en soutenant les filières. Ainsi, nous avons voté une prime pour les petites exploitations de moins de 5 hectares en production végétale. Y compris des exploitations bananières pour faire face au coût des intrants dont les prix ont augmenté ces derniers mois. L’Etat fait la même chose pour les productions animales et c’est en cours pour les productions végétales.

La Martinique, tout comme la Guadeloupe, souhaite un développement agricole pus soucieux de l’environnement, sans produits phytosanitaires.

Le changement climatique, l’usage de produits phytosanitaires posent problèmes et les Martiniquais en sont conscients. En Martinique, la population réclame que l’on cesse d’utiliser ces produits-là. Ils sont échaudés par le scandale du Chlordécone. Ils veulent une autre façon de produire, agroécologique, adaptée aux défis qui sont les nôtres. La monoculture à base de produits phytosanitaire comme on l’a connue pendant des décennies ça suffit. Les gens ne veulent plus de cela. Il nous faut relever ce défi.

« L’agriculture doit être faite par les agriculteurs
et pas par des sociétés impersonnelles. »

Comment la CTM peut-elle intervenir ?

La CTM propose aux décideurs, que sont l’Europe et l’Etat, de revoir leur copie. Il faut désormais soutenir une agriculture propre, soucieuse d’environnement, un modèle agricole inclusif, plus vertueux aussi socialement. Les filières ont de vieux chefs d’exploitations et pas de relève. Or, il faut soutenir ces filières pour que la relève se fasse, tout naturellement, pour que les campagnes ne se vident pas, pour que la production végétale, animale locale soit maintenue, renforcée. L’agriculture doit être faite par les agriculteurs et pas par des sociétés impersonnelles. Nous avons encore de la chance d’avoir, en Martinique, de systèmes de production agricole, avec des agriculteurs associés, de la polyculture-élevage, des ressources qu’il faut protéger, développer.

Combien y a-t-il d’agriculteurs en Martinique ?

Le secteur de l’agriculture, c’est 2 400 agriculteurs recensés en 2017, sans doute moins de 2 000 maintenant. Le nombre d’installations, officiel ou informel, ne permet pas de compenser les départs en retraite ou autres. Il n’y a pas de politique publique forte pour permettre la transition agroécologique. La CTM veut soutenir cette vision de l’agriculture, les petites exploitations, en soutenant les installations de jeunes agriculteurs. Il y a de ! à 10 installations chaque année. C’est peu. D’autant que la moitié des projets tombent à l’eau au bout d’un certain temps…

Comment faire alors ?

La CTM veut qu’il y ait une politique d’aides aux petites exploitations — et même aux regroupements de petites exploitations — qui font des produits de qualité pour la consommation locale plutôt que d’aider, de soutenir toujours ceux qui produisent en masse. Et pas toujours de manière vertueuse. Moi, je dis : le paysan d’abord. Ce qui n’élimine pas les gros producteurs.

« Il faut réadapter le système en favorisant
 les installations plutôt que les transmissions. »

Aidez-vous l’installation de jeunes agriculteurs ?

Oui, nous aidons cette installation d’autant que la plupart de ces jeunes ont une autre vision de l’agriculture. Il faut leur permettre de proposer des modèles originaux. La CTM est en charge d’instruire les dossiers d’installations, pour les aides, mais l’Etat nous impose des reprises d’exploitations, qui sont rares. Les gens qui ont des terres les gardent, même s’ils ne cultivent plus dessus. Ou ils les transmettent mais cela reste familial. Il faut favoriser la création d’exploitations, il faut réadapter le système en favorisant les installations plutôt que les transmissions.

Quelles surfaces occupent les différentes filières végétales ?

Vous allez voir que c’est intéressant et vous allez comprendre tout de suite. Il y a 3 800 hectares en cannes, 3 500 en maraîchage, 4 800 en bananes. C’est assez équilibré. Mais, c’est au niveau des aides que ça ne va pas. L’aide au revenu, déterminée par l’Union européenne au travers du POSEI, c’est 5 millions d’euros pour la canne, 6 millions d’euros pour les productions végétales, 14 millions pour toute la production animale… et 95 millions pour la banane. Ce qui donne 20 millions pour toutes les filières qui permettent d’alimenter en produits frais les Martiniquais, contre 95 millions pour une banane qui est exportée pour la plus grande part.

Pensez-vous qu’on puisse un jour atteindre l’autonomie alimentaire ?

Nous voulons faire évoluer l’agriculture pour aller vers l’autonomie alimentaire. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas importer ce qu’on ne peut pas produire en Martinique. Les producteurs locaux doivent être accompagnés pour avoir des productions en quantités et en qualité. Le consommateur doit donner sa préférence à un produit local. Cette façon de voir les choses, salutaire, ça se construit. D’où la stratégie proposée par la CTM.

« C’est le marché insatisfait qui fait que l’on
importe ce qu’on ne produit pas sur place ! »

La CTM est-elle propriétaire de terres agricoles ?

Oui, la CTM a une banque de terres agricoles de 470 hectares qui sont louées aux agriculteurs. La SAFER gère cette banque de terres agricoles pour la CTM. En 2022, nous avons lancé un audit pour vérifier l’usage de ces terres et régulariser les occupants dont beaucoup, heureusement, exploitent effectivement ces terres agricoles. Un focus sur chaque exploitation est en cours. Les GFA (Groupements fonciers agricoles) ou de grosses sociétés agricoles gèrent les grosses exploitations, ce qui a permis de maintenir des surfaces agricoles exploitables. Sans cela…

Quand vous voyez sur les étals des supermarchés des productions agricoles tropicales qui pourraient être martiniquaises venir du Costa Rica, de République dominicaine, quelle est votre réaction ?

Il faut cesser d’avoir mal au cœur devant ces étals, il faut être moins affectif sinon on déplore et puis plus rien. Il faut définir une stratégie, il faut mettre en place des filières adaptées pour remplacer ces importations.

Est-ce qu’il faut taxer les produits agricoles à l’entrée ?

La CTM n’a pas le pouvoir de taxer les produits qui peuvent concurrencer les productions locales. Ou alors utiliser l’octroi de mer, mais on ne peut pas taxer comme ça, les consommateurs martiniquais vont en pâtir qui disent déjà que les produits de consommation courante sont chers. Il faut plutôt aider les producteurs à produire. C’est le marché insatisfait qui fait que l’on importe ce qu’on ne produit pas sur place !

Et si l’on parlait élevage ?

Les producteurs se donnent beaucoup de mal. Les prix des aliments et des produits vétérinaires ont augmenté. La consommation de viande fraiche, c’est du local essentiellement. Quasiment à 100%. La concurrence se fait sur le surgelé, avec l’importation de produits de dégagement à bas prix, surtout du porc, de la volaille.

Des produits de dégagement ?

Je constate votre étonnement. En Europe, au Brésil, d’où viennent les viandes congelées, sur une volaille, par exemple, on conserve les blancs de poulet, mais un poulet a des pattes, des cuisses des ailes. C’est ce qu’on nous envoie. Les fameux gros cartons de cuisses de poules ou d’ailes de dindes à 10 euros. Il y a des importateurs puisqu’il y a, dans la société martiniquaise, une majorité d’employés avec de petits salaires, de personnes qui vivent des aides sociales et qui e peuvent se payer que ces produits de dégagement. Il faut cesser de s’offusquer ! Si ces importateurs prospèrent, c’est qu’il y a un marché. Il y a des opérateurs économiques qui font leur beurre. On ne peut pas le leur reprocher. Il faut définir des stratégies pour trouver un autre circuit d’approvisionnement, d’autres méthodes de produire pour satisfaire les martiniquais. Pour ma part, je suis confiant dans l’avenir de l’agriculture si l’on dit les choses et qu’on agit. Il faut proposer un ordre différent.

Recueillis par André-Jean VIDAL
aj.vidal@karibinfo.com

En savoir plus

Nicaise Monrose a soutenu une thèse de doctorat en sciences économiques sur La nouvelle insertion de l’agriculture dans l’économie martiniquaise : « l’agriculture malmenée » en 1992.

« Au-dela de la crise de la production sucrière, il faut rattacher les évolutions de l’agriculture martiniquaise aux nouvelles modalités du développement de l’économie globale apparues dans les années soixante. Celles-ci vont modifier à la fois la place de l’agriculture dans l’économie et la trajectoire ancienne de l’organisation matérielle de l’activité agricole ; elles vont ainsi éloigner l’agriculture contemporaine de l’agriculture de plantation typique de la période coloniale. »

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