Grand entretien. Francis Lignières : «  Le sac d’engrais qu’on payait 21,64 euros est passé à 42,86 euros ! »

Une bananeraie détruite.

Francis Lignières est depuis 17 ans le président du groupement bananier Les Producteurs de Guadeloupe (LPG). Des ouragans, des tempêtes tropicales, des coups de vent, il en a connu. Malgré les aléas, chaque fois, avec les autres producteurs de bananes, il se relève, pour repartir au combat. Pour la banane française !

PAR ANDRÉ-JEAN VIDAL

Les dégâts de Fiona ont-ils été évalués ?

Oui, nous avons évalué les pertes de récolte. Il y a beaucoup de régimes à terre, bons pour la benne, beaucoup de bananiers déshydratés, cuits par le vent, d’autres couchés qu’il faudra arracher, autant de pertes pour les récoltes des mois à venir. Mais, à ces pertes, il faut ajouter les dégâts matériels, dégâts aux routes, aux voiries diverses, aux hangars… Les recensements se poursuivent.

« A Baillif, nous avons eu 400 mm d’eau en quelques heures,
avec les routes qui étaient comme des rivières, des éboulements sur les pentes où nous cultivons les bananiers. »

Quelles ont les zones les plus touchées ?

Goyave, Capesterre Belle-Eau, mais aussi d’autres zones, éparses. Ça, c’est pour les bananiers eux-mêmes. Pour les dégâts des eaux, c’est quasiment partout. A Baillif, nous avons eu 400 mm d’eau en quelques heures, avec les routes qui étaient comme des rivières, des éboulements sur les pentes où nous cultivons les bananiers. La rivière Saint-Louis a changé de cours, explosé le pont, fait d’énormes dégâts sur son passage à Baillif.

Les dégâts des eaux, ce sont aussi les routes, les ponts, les chemins, les voiries dans les propriétés, les éboulements…

A La Sarde, c’est particulièrement visible !

Dans une zone bananière comme La Sarde, à Capesterre Belle-Eau, ça fait un mois qu’ils ne peuvent pas travailler sur les parcelles. Ils n’y ont pas accès. La route est coupée à plusieurs endroits. Ils ne peuvent pas couper les régimes, ils ne peuvent pas traiter les bananiers contre la cercosporiose noire, ce qui est un travail quotidien puisqu’il faut enlever les feuilles nécrosées. Ils ne peuvent pas cycloner les bananiers, ils ne peuvent pas replanter, ils ne peuvent pas mettre les engrais… et, comme les sols ont été lessivés par les flots d’eau, les bananiers ont souffert de déshydratation avec le vent, souffrent de ne plus avoir les nutriments dans le sol qui les supporte. C’est un drame ! Et à la Sarde, pour réparer seulement les routes, ça va prendre des semaines… Mais, je ne sais pas si vous avez parlé avec eux, ils sont courageux. Ils veulent retourner sur leurs terres, repartir.

Quelles seront les conséquences sur les exportations ?

Nous exportons entre 1 300 et 1 500 tonnes de bananes chaque semaine en temps courant. Aujourd’hui, nous exportons 900 tonnes, la semaine prochaine 800 tonnes… Et entre 600 et 900 tonnes pendant les prochaines semaines… D’ici 3 ou 4 mois, ça va repartir. C’est, heureusement, l’intérêt du bananier qui porte rapidement un régime. Il est vraiment fait pour des régions comme la nôtre où un coup de vent, une ondée tropicale, un orage avec du vent, un ouragan peuvent faire que le producteur de bananes perd tout en une nuit.

La bananeraie de la Martinique peut-elle compenser ?

Non, nous avons un groupement Guadeloupe et Martinique avec lequel nous faisons 220 000 tonnes de bananes chaque année, 160 000 tonnes en Martinique, 60-70 000 tonnes en Guadeloupe. Là, ce sont les concurrents latino-américainesqui vont profiter de la situation ou la République dominicaine qui inonde déjà le marché européen avec de la banane soit-disant bio.

Soi-disant bio ?

Oui, l’Europe, Bruxelles, accepte que les producteurs de la République dominicaine exportent vers les pays européens, dont la France, une banane qui est traité huit fois plus que ce que nous faisions avant qu’on nous interdise certains produits contenant la molécule contre la cercosporiose noire. Pour rappel, la France achète, chaque année, 150 000 tonnes de bananes de République dominicaine gorgées de molécules chimiques.

Vous avez lancé une campagne de promotion de la banane des Antilles françaises. Ça tombe mal, non ?

Au contraire, nous espérons que cette campagne va nous permettre de conserver les marchés actuels. Qu’on ne profitera pas de nos soucis pour prendre notre place. C’est tout l’intérêt de notre groupement Guadeloupe-Martinique. Nous avons les mêmes circuits, c’est ce qui a permis de conserver notre place sur le marché européen et singulièrement français parce que nous pouvons fournir de la banane de qualité malgré tout. Les gens aiment notre banane ! C’est la banane avec l’autocollant tricolore !

« Nous allons mettre nos salariés en formation,
nous n’allons pas mettre de salariés au chômage. »

Malgré tout ?

Oui, parce qu’on ne nous a pas fait de cadeau : on nous a interdit les molécules contre la cercosporiose noire alors que tout le monde les utilise, on nous a augmenté tous les intrants. Le sac d’engrais qu’on payait 21,64 euros est passé à 42,86 euros. Un autre intrant est passé de 13,44 euros à 27,09 euros. Et le prix de la banane ne change pas, il reste le même.

Les salaires suivent les évolutions naturelles alors que nos concurrents paient des misères. Là, nous allons mettre nos salariés en formation, nous n’allons pas mettre de salariés au chômage. Il ne faut pas que Fiona ait un impact sur l’emploi dans la banane. D’ailleurs, on ne tient pas assez compte de l’intérêt économique de la banane guadeloupéenne. Nous versons 38 millions de salaires chaque année ! C’est ce qui permet de faire tourner l’économie dans les petites communes de la Basse-Terre.

L’observateur a le sentiment que les routes, les ponts, les chemins de voiries, dans ces zones rurales ne sont pas entretenus.

C’est vrai. Depuis Hugo en 1989, on n’a pas fait grand-chose. Nous avons arrangé nos chemins quand il le fallait sur nos exploitations, mais les réseaux publics n’ont pas été entretenus. Regardez le pont de Saint-Louis. Comme pour d’autres endroits, j’ai alerté à plusieurs reprises les pouvoirs publics, mais n ne fait rien. Le pont de Saint-Louis n’existe plus. Je ne peux plus, et d’autres non plus faire passer ma banane depuis les parcelles que j’ai de l’autre côté de la rivière jusqu’à mon hangar de conditionnement. Je ne sais même pas comment on va pouvoir réparer le pont. Et c’est une route importante en cas d’éruption de la Soufrière puisqu’elle permet aux gens qui habitent à Matouba et dans toute cette zone de s’échapper vers Baillif.

« Nous versons 38 millions de salaires chaque année,
ce qui permet de faire tourner l’économie dans les petites communes de la Basse-Terre. »

Quelles sont les compensations financières attendues ?

Nous allons faire jouer les assurances pour les hangars, le matériel. Pour les dégâts aux voiries, il faudra demander des aides mais il y a pour des millions de travaux. Pour les pertes de récoltes, il y a le POSEI, mais il n’a pas été revalorisé depuis 2006. Et puis il y a le manque à gagner pendant des mois, jusqu’en 2023.

Regardez les dégâts que peut faire une tempête tropicale comme Fiona. Il y a la bananeraie, il y a les infrastructures. Nous avons un contrat avec une cartonnerie à Baillif. Elle nous fournit depuis des années les cartons dans lesquels nous conditionnons les bananes que nous exportons, mais aussi les gaines, la ficelles, etc. Or, la rivière des Pères est entrée dans les bâtiments de l’entreprise, détruisant les stocks de carton, les stocks de cartons d’emballage, tout le matériel dont nous avons besoin pour le conditionnement des bananes. Estimation des dégâts : 20 à 25 millions d’euros, sans compter que l’entreprise ne peut pas réinvestir sur le même terrain, imaginez qu’il y ait le même phénomène de Fiona l’an prochain ! Pendant ce temps, nous allons conditionner dans nos stocks-tampons de cartons, il y en a qui viennent déjà de Martinique, d’où l’intérêt d’être en groupement. Et comme ça fait 17 ans que je suis à la tête de la filière, j’ai appris à être prévoyant : nous avions déjà demandé à une autre cartonnerie si elle pouvait nous livrer pour diversifier nos approvisionnements.

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