Gilbert Laumord dans « lawonn a léwòz » pour une thèse de doctorat

Le comédien et metteur en scène guadeloupéen Gilbert Laumord finalise une thèse de doctorat qui ouvre la voie à un nouveau théâtre inspiré du léwòz.

Homme de théâtre expérimenté, polyglotte (français, anglais, créole, espagnol, danois, coréen), Gilbert Laumord est aussi doctorant à l’Université du Québec à Montréal (Canada). Son parcours de vie est imprégné de cultures découvertes au gré des mutations de son père, militaire, puis rythmées par ses propres voyages à travers le monde. D’une « errance » subie à une « errance » assumée, il ressent un jour l’impérieux besoin d’aller à la rencontre de sa propre culture, en Guadeloupe.

Un voyage initiatique au pays

Après avoir étudié en Angleterre, à Barcelone, au Danemark, puis parcouru l’Europe, la guitare en bandoulière, le blues aux lèvres, vient l’heure du retour au pays, en 1981. « Je voulais en savoir plus sur ce que l’on ne m’avait pas enseigné, sur nos héros que j’ignorais… En arrivant en Guadeloupe, j’ai été confronté à la réalité d’une culture dominante et d’une culture dominée, aux mots péjoratifs attachés à nos pratiques culturelles, à la langue créole », commente Gilbert Laumord.

Débute alors un voyage initiatique inversé. Pour étancher sa soif culturelle, Gilbert Laumord trouve sur sa route – et frappe à la porte de – plusieurs référents. Parmi eux, Hector Poullet et Sylviane Telchid, créolistes, Jacqueline et Yves Thôle, Jean-Pierre « Bébé » Rospart…, piliers du gwoka, Alex Nabis, Alain Verspan, Arthur Lérus et d’autres incontournables de la culture locale des années 1980, à l’origine d’un théâtre « identitaire », miroir de la société guadeloupéenne.

« La vraie université est sur le terrain du « lawonn » ! »

Gilbert Laumord, metteur en scène, doctorant.
Gilbert Laumord, lors de sa conférence à Lafabri’k-Léna Blou, en juillet.

« Ils font un théâtre connecté à notre manière d’être, où les revendications des ouvriers agricoles, le fonctionnement des Guadeloupéens, le génie populaire sont pris en considération et c’est que je veux explorer », explique l’homme de théâtre et doctorant.

Avec ces porteurs des traditions qui tendent à s’estomper avec le temps, Gilbert Laumord grandit, s’initie aux pratiques culturelles, observe les rites, s’approprie la langue, perçoit les vibrations du pays, des mots… « Plus je m’informe, plus j’apprends, plus j’étudie, plus je veux savoir, constate-t-il. Nous avons une culture qui est aussi belle que d’autres ! Je réalise aussi qu’il y a un équilibre à rétablir. La vraie université est sur le terrain du « lawonn », du conteur… D’une certaine façon, j’ai autant appris dans les « lawonn » que sur les bancs de l’université ! »

Fasciné par tant de savoir, l’homme de théâtre, fondateur de la compagnie Siyaj, honoré par le ministère de la Culture à Cuba, veut aller plus loin, intégrer cette richesse culturelle à sa pratique artistique, et transmettre à la génération d’après.

Du Danemark à la Corée du Sud

Depuis 2015, partant de sa riche expérience – de 40 ans – à travers les cultures du monde, du Danemark à la Corée du Sud en passant par celle dont il s’est abondamment nourri ces dernières années en Guadeloupe, Gilbert Laumord a entrepris des recherches sur le léwòz. La thèse de doctorat qu’il finalise sur La méthode léwòz pour une esthétique théâtrale met en évidence les liens qu’il établit entre le léwòz, singulièrement « lawonn a léwoz », et le théâtre.

Structurés autour de trois dimensions du cercle, du « lawonn », ses travaux se focalisent sur « lawonn a léwòz ». « En étudiant ma propre culture, je m’aperçois qu’il y a trois « lawonn » de base, qui sont les réceptacles de nos pratiques culturelles : celles du conteur, de la veillée et du léwòz. Etant dans une tradition de l’oralité, nos bibliothèques sont dans nos corps, nos voix, nos pratiques et à l’intérieur de ces trois « lawonn ». Pour l’homme de théâtre que je suis, il y a une grande inspiration à tirer de la manière décomplexée dont les choses se font dans cette tradition. Le génie populaire, le créole, l’improvisation ont leur place dans la manière de dire, de chanter. La poésie, les corps sont à leur place : il y a un dialogue entre danseur et musicien. C’est une vraie ruche ! »

Un « lawonn » immersif et intimiste

Il s’agit désormais de développer des outils pour un théâtre qui serait « le miroir de ce que nous sommes », indique Gilbert Laumord. Une multitude d’éléments extrêmement stimulants peuvent être mis au service de ma pratique théâtrale. Déjà, la forme circulaire : dans la singularité immersive et intimiste de notre « lawonn », tout le monde peut participer, l’assistance est loin d’être passive, elle peut intervenir, intégrer « lawonn », raconter une histoire… Il y a une codification, un savoir extrêmement sophistiqué ! Tout cela me motive pour cette recherche autant académique qu’artistique. En partant d’une spécificité culturelle, le léwòz, on peut répondre aux questions des générations futures, mais aussi lier danse traditionnelle, poésie, théâtre, jeu d’acteurs… ».

Si elle marque un aboutissement dans sa longue quête culturelle pour réunir les pièces d’une identité ignorée, la thèse de Gilbert Laumord ouvre aussi le champ à une nouvelle pratique théâtrale, basée sur la tradition du léwòz. Byen jouwa !

Cécilia Larney

HDN, une pièce pour aller plus loin

Les liens entre léwòz et théâtre, le metteur en scène Gilbert Laumord les a expérimentés grandeur nature avec la pièce HDN – Histoire de nègre, adaptée du texte d’Edouard Glissant. D’abord, en 2022, à L’Artchipel-Scène nationale de Basse-Terre, puis plus récemment au centre culturel Sonis (Les Abymes). Installée à l’intérieur d’un « lawonn », l’assistance est partie prenante, comme pour un léwòz où chacun leur tour, les danseurs peuvent spontanément intégrer le cercle pour délivrer un témoignage, dialoguer avec les « tanbouyés ». Une pièce portée par Lucile Kancel, Varenthia Anthoine et Harry Baltus, avec la collaboration du mouvement culturel Voukoum.

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