Le sénateur de la Guadeloupe Victorin Lurel, ancien ministre des Outre-mer, est particulièrement sensible au dossier brûlant du narcotrafic.
Une commission sénatoriale a fait un audit très inquiétant sur l’état du narcotrafic en France. Elle fait des constatations et des propositions pour tenter d’enrayer la montée en puissance de cette délinquance particulière. N’est-ce pas un coup d’épée dans l’eau ?
Cette commission d’enquête sénatoriale est le fruit d’un travail d’investigation colossal, suivant une démarche transpartisane associant un président socialiste – mon collègue Jérôme Durain – et un rapporteur LR – Etienne Blanc. Son constat est effectivement sévère et alarmant. La France – et singulièrement les Outre-mer – sont « submergés » de produits stupéfiants ; l’État apparait désarmé voire dépassé par une spirale de trafics en tous genres et de violences qui détruisent des familles, des quartiers et des régions entières de notre territoire national.
Dire cela ça n’est, de mon point de vue, aucunement critiquer l’action des pouvoirs publics et de leurs agents, qu’ils soient policiers, gendarmes, douaniers, magistrats ou personnels pénitentiaires, qui se dévouent au quotidien pour mener les enquêtes, démanteler les réseaux, interpeller et condamner les voyous. J’envisage plutôt cette commission d’enquête comme un électrochoc pour une prise de conscience globale sur les dangers que fait peser le narcotrafic sur notre sécurité et les intérêts fondamentaux de la République. L’essentiel est que les insuffisances pointées dans ce rapport servent avant tout à conforter l’ensemble de la chaine d’investigation, d’interpellation et de condamnation pour que l’État se réarme enfin.
Ce rapport, dont nombre d’experts, de médias et de politiques se sont d’ores et déjà emparés, fait autorité en la matière. Ses recommandations font, je le crois, consensus dans le spectre politique. Le précédent Gouvernement s’en été lui-même saisi en programmant l’examen de la proposition de loi qui en est issue début 2025 : je fais partie de ceux qui souhaitent ardemment qu’elle soit discutée, votée et mise en œuvre au plus vite.
Sur ce sujet, je suis convaincu que l’union nationale doit pouvoir se faire pour qu’effectivement ces propositions soient suivies de mesures concrètes.
« L’Etat doit se donner les moyens de harceler
ces criminels,de les appréhender, de couper les têtes
de réseaux et de démanteler les trafics. »
Les organisations criminelles qui dirigent ce narcotrafic ont gangréné la société, ce qui ressort du rapport. Les autorités policières et judiciaires sont dépassées par des intelligences astucieuses et sans freins moraux pour diffuser herbe et poudres diverses. Que faire ?
Nous avons face à nous des forces criminelles sur-organisées et sur-équipées. Des puissances d’argent et de guerre qui défient au quotidien et de manière globales les autorités politiques, policières, judiciaires et douanières. L’enjeu, pour l’État, est donc de trouver les moyens budgétaires et les réponses policières et pénales pour enfin se battre à armes égales avec ces organisations de gangsters. Tant que ces trafics paieront, ils prospéreront. C’est pourquoi la réponse doit être globale et systémique. Elle doit être financière, pénale et organisationnelle.
L’État doit d’abord se réarmer en moyens humains, matériels et technologiques. Il doit se donner les moyens de harceler ces criminels, de les appréhender, de couper les têtes de réseaux et de démanteler les trafics. Un véritable plan d’urgence pour les services d’enquête et les juridictions devra être mis sur pied, l’ensemble des services de sécurité devra être redimensionné et les moyens techniques dont ils disposent devront être modernisés et sensiblement renforcés tant pour l’enquête que pour la surveillance. Les pouvoirs publics devront en parallèle s’attaquer au haut du spectre en durcissant les réponses pénales et en menant une véritable guerre financière au narcotrafic contre la corruption et le blanchiment.
Le rapport sénatorial regorge de propositions pour ce faire : création d’un dossier « coffre », recours aux techniques spéciales d’enquête, recours accru aux « repentis », systématisation des enquêtes patrimoniales, instauration d’un gel judiciaire des avoirs, fermeture administrative des « commerces de façade », mesures en faveur de l’incorruptibilité dans la sphère publique comme dans la sphère privée… Enfin, face à cette guerre menée sans pitié et sans morale, je suis absolument convaincu que la France doit se doter d’une organisation complétement repensée pour s’attaquer efficacement au haut du spectre, à ces logisticiens du crime et ces barons de la drogue qui ont désormais des moyens financiers quasi-illimités.
L’urgence est donc de créer, sur la base de l’Office antistupéfiants, une véritable « DEA à la française » capable de devenir l’unique chef de file en matière de narcotrafic dans la sphère répressive. Une DEA disposant d’une autorité sur tous les services de terrain chargés de la lutte contre le narcotrafic (police, gendarmerie et douane), d’un large pouvoir de saisine et des moyens à la hauteur de cette ambition. En parallèle, sur le modèle du un parquet national antiterroriste, nous devrons créer un parquet national antistupéfiants pour spécialiser et incarner la lutte contre le narcotrafic dans la sphère judiciaire. Vous le voyez, les réponses existent et le consensus politique se forme. Reste la volonté pour le nouveau gouvernement de les faire aboutir.
Outre-mer, la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe sont des portes d’entrées des trafiquants sud-américains vers l’Europe. L’aéroport de Cayenne, les terminaux à conteneurs de Pointe-à-Pitre et Fort-de-France sont des passoires. Ceci va-t-il être longtemps supportable ? Que fait l’Etat français ?
Cette situation n’a jamais été et ne sera jamais supportable. Nous le savons, les outre-mer et tout particulièrement les Antilles-Guyane sont des points névralgiques des trafics, des portes vers l’Europe, des lieux stratégiques de transit mais aussi de négoce et de stockage.
Pas plus tard que la semaine dernière, les autorités ont intercepté dans l’Hexagone plus de 2 tonnes de drogue en provenance de la Guadeloupe pour une valeur estimée à plus de 130 millions d’euros. En aout dernier, une saisie record de plus de 10 tonnes de cocaïne a été opérée sur un navire de pêche au large de la Martinique.
Derrière ces chiffres chocs, c’est bien tout un écosystème de l’argent, de l’exploitation et de la violence qui est mis à jour et qui démontre une intensification des trafics.
La question n’est donc pas tant de demander ce que fait actuellement l’Etat mais ce qu’il doit faire, dans des délais extrêmement brefs, pour éviter l’approfondissement d’une spirale criminelle.
Vous le savez, cela fait maintenant de nombreuses années que je fais des propositions pour enrayer cette explosion des trafics de toute nature dans la Caraïbe et ce rapport sénatorial valide en tous points le constat que je ne cesse de dénoncer.
Je présenterai également un rapport conduit avec mon collègue LR Philippe Bas sur les modes d’actions de l’Etat Outre-mer en matière de sécurité, de défense et de justice. En amont, je peux d’ores et déjà vous rappeler les quelques mesures que je préconise de longue date en la matière : une extension des contrôles à 100 % en Martinique et en Guadeloupe, un développement des contrôles à l’intérieur même des territoires ultramarins, le déploiement des moyens techniques, une rénovation de la politique de lutte contre les « mules », le déploiement de scanners portuaires et la mise en place de zones clôturées, obturées et vidéosurveillées dédiées aux contrôles au sein des terminaux, la mise en place de radars pour constituer un rideau de surveillance et d’interception permanent autour de l’archipel, le redimensionnement et la modernisation des moyens aéromaritimes vétustes, la création en Guadeloupe d’une brigade nautique armée de 20 effectifs supplémentaires et de trois bateaux semi-rigides, le renforcement des 12 drones opérationnels dans les Antilles, l’augmentation significative des effectifs de la police, de la gendarmerie, des douanes et de l’autorité judiciaire, la rénovation et la sécurisation de nos centres de détentions devenus des centres de formation au crimes …
« J’ai toujours considéré que le développement
de mon péyi et l’harmonie de mon peuple
ne pouvaient se faire sans sécurité. »
En Guadeloupe, des gangs mêlent importation de stupéfiants et d’armes, trafics connexes. Les morts liées à des questions de territoire sont nombreuses, en Martinique aussi. L’insécurité liée devient prégnante pour les « honnêtes gens ». Ne risque-t-on pas une situation similaire à ce que l’on voit en Haïti ou en Jamaïque, avec des hommes armés de fusils d’assaut tenant des quartiers entiers sous leur loi et une police impuissante ?
Je n’aime ni faire l’autruche ni jouer les Cassandre : les risques d’une flambée exponentielle de la violence sont là mais nous pouvons collectivement les déjouer.
Oui les gangs pullulent, la criminalité atteint des niveaux records, le nombre d’homicide en Guadeloupe est 7 fois supérieur à la moyenne nationale, les vols avec armes y sont 12 fois supérieurs et certaines zones du territoire sont qualifiées « d’armureries ambulantes ».
Le danger est donc bien présent et je peux moi-même en témoigner à la suite de mes échanges quotidiens avec les autorités locales, les maires, les responsables associatifs et les quelques familles désœuvrées qui me décrivent courageusement et dignement la réalité de leur quotidien.
Ce quotidien c’est un renforcement des trafics à toute heure du jour et de la nuit jusque dans des zones résidentielles jusque-là épargnées ; c’est aussi une professionnalisation des gangs qui sèment la terreur dans des quartiers entiers et exploitent la détresse sociale d’une jeunesse précarisée et en déshérence.
Nous devons à ces élus et à ces familles protection et sécurisation. Nous leur devons des réponses concrètes, rapides et durables. C’est ce que je m’efforce de faire en tant que sénateur en interpellant sans relâche le Gouvernement et en lui demandant notamment le déploiement dans les plus brefs délais des moyens annoncés dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, la création de nouvelles unités de forces mobiles, le renforcement de 80 agents de la Compagnie départementale d’intervention, la définition d’une nouvelle doctrine du maintien de l’ordre dans l’archipel et le développement des contrats locaux de sécurité avec les collectivités locales de Guadeloupe (Région, Département, EPCI et communes) comprenant un volet « prévention », un volet « formation » des polices municipales pour favoriser l’interopérabilité, un volet « professionnalisation » visant la sécurité privée et un volet « judiciaire » en lien avec le parquet.
Le rapport en question : https://www.senat.fr/notice-rapport/2023/r23-588-1-notice.html