Avec la fin de l’année académique, Haïti a tourné le dos à un système éducatif vieux de plus d’un siècle. Place désormais au Nouveau Secondaire.
Jeudi 22 octobre, 16 heures. Les derniers centres d’examens ferment leurs portes sur tout le territoire national. C’est la fin des examens officiels pour l’année académique 2019-2020. C’est aussi la fin de la philo traditionnelle pour Haïti. Le pays adopte le Nouveau Secondaire (NS), initié depuis cinq ans par l’Etat.
Pour les 111 000 candidats de cette année, seulement 11 000 venaient d’établissements scolaires qui tardaient à embrasser le Nouveau Secondaire. Ironie du sort, la majorité de ces récalcitrants étaient des écoles publiques. Pour l’année académique 2020-2021 qui débute le 26 octobre, pour certains et le 7 novembre pour d’autres, toutes les écoles du pays seront dans le Nouveau Secondaire.
Le traditionnel et le Nouveau Secondaire
Contrairement au système éducatif traditionnel qui priorisait l’apprentissage par cœur, en Haïti, le Nouveau Secondaire, lui adopte une approche par compétence. Avec ce système l’Etat ambitionne de former de futurs étudiants mieux adaptés aux universités du monde entier, estime Agella Edgard, assistant Directeur à l’Enseignement Secondaire (DES) au ministère haïtien de l’Education nationale.
« Non seulement le mode d’enseignement est différent dans le Nouveau Secondaire, mais on y trouve aussi des matières additionnelles comme l’économie, la statistique, l’éducation physique, les arts… », commente Nancy Gilot, jeune écolière qui vient de passer les examens NS4.
Le Nouveau Secondaire oriente aussi les élèves vers le monde professionnel. Le système éducatif, divisé en quatre séries, permet à chaque écolier de choisir celle qui l’oriente le mieux vers le métier qu’il compte étudier.
Absence d’infrastructures, arriérés de salaires…
Enseignant
dans l’une des meilleures écoles du pays, le Centre Culturel Alcibiade
Pommayrac, Ronald Andris considère le Nouveau Secondaire comme
une révolution. « Il permet réellement aux jeunes de maîtriser leur
apprentissage », témoigne Ronald Andris, tout en soulignant que
l’Etat doit investir lourdement dans les infrastructures nécessaires. Le
ministère doit augmenter le nombre de lycées, favoriser la construction de
laboratoires, aménager des terrains pour l’éducation physique dans tous les
établissements scolaires.
Ronald Andris a raison de parler d’investissements lourds pour que le Nouveau
Secondaire soit une réussite. En effet, si nous considérons comment le ministère
de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) traite ses
professeurs avec des salaires qui sont toujours en retard, parfois d’une année !
Dans les 10 Universités Publiques en Régions (UPR), on se demande si l’Etat
veut vraiment donner un service adéquat à la population estudiantine des villes
de provinces et de l’arrière-pays.
Entre l’absence de campus pour les Universités Publiques en Régions, les réseaux téléphoniques et Internet défectueux, les infrastructures routières de base inexistantes, on se demande comment ce Nouveau Secondaire pourrait fonctionner.
Education en souffrance
Depuis une décennie, des lycéens manifestent chaque semaine durant l’année scolaire pour exiger de l’Etat des professeurs dans les salles de classe, et le paiement de plusieurs mois d’arriérés de salaire pour ceux qui viennent travailler. Le dysfonctionnement des écoles publiques en Haïti est si grave que des ex-députés comme celui de Jacmel, Kétel Jean-Philippe utilisait la résolution de ce problème comme promesse de campagne en 2016.
« Ce Nouveau Secondaire va-t-il créer encore davantage de trous béants d’inégalités entre les riches et les pauvres ? Entre citadins et paysans ? Ce Nouveau Secondaire va-t-il créer les conditions pour que les professeurs soient vraiment à la hauteur des exigences de l’éducation future que le MENFP dit vouloir prôner ? », se demande Jacques Antoine, professeur de physique.
Une statue aux pieds d’argile
La majorité des élèves va étudier dorénavant dans les Universités Publiques en Régions avec leurs lots de problèmes. Les responsables de ces institutions seront toujours aux abois, à la recherche de financements externes qui ne viennent pas ou ne viennent plus à cause des problèmes politiques de kidnapping, d’insécurité et autres faits alarmants qui minent et ruinent la vie sociale, nationale, scolaire, psychologique, notre vie de peuple.
« Le Nouveau Secondaire est un bon programme. Mais, la façon de l’imposer lui donne l’air d’une statue d’airain aux pieds d’argile ! Mon inquiétude citoyenne relève de mon impuissance quand je vois notre pays s’enfoncer dans l’abîme. Le manque de visions de nos dirigeants fait que nous voulons être au diapason du monde, alors que nous appliquons mal les leçons apprises ailleurs », conclut Jacques Antoine.
Pierre-Paul Ancion