Européennes. Olivier Nicolas : « Il faut que la Guadeloupe choisisse d’envoyer à Bruxelles et Strasbourg un député qui ait la maîtrise des dossiers »

Le Guadeloupéen Olivier Nicolas, secrétaire fédéral du PS en Guadeloupe, secrétaire national aux Outre-mer, est en 19e position sur la liste Place publique, conduite par Raphaël Glucksmann.

Il réveille l’Europe. Le slogan de votre liste. Les sondages pensent que ce réveil ne fera pas beaucoup de bruit… commentaire !

Les sondages disent en réalité une seule chose : nous avons commencé cette campagne en mars en dessous de 10% et deux mois après nous sommes autour de 14-15%. A l’inverse, la liste macroniste était au-dessus de 20% et nous sommes désormais au coude à coude. Avec Raphaël Glucksmann, nous nous sentons portés par une dynamique et, en plus d’avoir cherché à réveiller l’Europe, nous avons aussi réveillé la gauche socialiste et sociale-démocrate. Une liste PS au-dessus de 12%, cela fait bien longtemps que l’on n’avait plus vu ça. Et, pour être en campagne dans notre archipel depuis plusieurs semaines, cette dynamique se ressent même chez nous dans l’accueil que l’on nous réserve. Dans les derniers jours de campagne, nous avons tout donné pour justement faire mentir les sondages qui nous voient peut être un peu en-dessous de notre niveau réel.

Crier au loup tout le temps suffira-t-il pour empêcher le candidat RN de remporter le plus de suffrages ?

Moi, cela fait longtemps que je ne crie plus au loup car il est déjà là. L’extrême-droite prospère sur l’impuissance publique, qu’elle soit locale, nationale ou européenne. Elle fait son lit sur la colère de beaucoup de nos compatriotes qui constatent que nous traînons les mêmes problèmes d’eau, de transports, de déchets depuis au moins dix ans et que rien ne semble s’améliorer malgré tant et tant de promesses. Sans compter l’insécurité grandissante. Le FN/RN ne fait que surfer sur cette colère souvent légitime sans pour autant être capable de lui apporter la moindre réponse crédible et opérationnelle. La meilleure preuve, c’est que le FN/RN avait déjà fini en tête des élections européennes de 2019 en Guadeloupe et Mme Pirbakas avait été élue. Pour quel bilan après 5 ans ? A-t-on été bien représenté ou bien défendu ? Il est clair que non. Aujourd’hui le visage a changé, le discours s’est un peu plus banalisé en camouflant ses aspects les plus condamnables. Mais, en vérité, ce sont toujours les mêmes belles promesses que le candidat guadeloupéen d’extrême droite ne pourra pas davantage mettre en œuvre. D’abord, parce que non seulement le groupe auquel il appartiendra ne sera pas majoritaire, mais en plus aucun autre groupe ne voudra travailler avec un groupe qui compte dans ses rangs des fascistes danois ou des racistes allemands. Une voix pour le RN est une voix perdue.

Quel est votre programme pour les petits agriculteurs, les marins-pêcheurs, les salariés au SMIC ?

Notre programme, c’est la réorientation de l’Europe sur les priorités du péyi Gwadloup. C’est une détermination à la lutter contre l’impuissance publique, qu’elle soit locale, nationale ou européenne. Des millions d’euros de fonds européens sont déversés sur la Guadeloupe et pourtant demeurent les problèmes d’eau et d’assainissement, les défaillances en matière de transports publics ou de traitement des déchets et les trous dans l’offre de formation. Il faut comprendre les citoyens en colère : depuis 10 ans, rien ne s’arrange vraiment. Et nous devons nous poser les bonnes questions. Les fonds européens sont-ils bien utilisés ? Sont-ils bien ciblés ? La Région Guadeloupe annonce des taux d’utilisation des fonds qui, en réalité, ne disent rien de l’impact réel des projets financés. Comme trop souvent, ils disent qu’ils sont dans l’action mais ils n’évaluent jamais l’impact de leur action, alors que c’est primordial pour savoir si on persiste dans certains choix ou si on décide de nouvelles orientations. Si je suis élu député européen, mon premier combat au sein de mon groupe sera d’obtenir une simplification des procédures. Car la complexité des dispositifs a pour conséquence d’empêcher les petites structures (TPE, petits agriculteurs, artisans…) de bénéficier des fonds qui, en définitive, vont à ceux qui ont une ingénierie, des comptables, des bureaux d’études à leur service. Il faut davantage de justice dans l’attribution des aides européennes. Un autre combat sera de mieux accompagner l’agriculture maraîchère, la diversification, car c’est elle qui nous nourrit. J’en ai assez d’entendre depuis 10 ans que la souveraineté alimentaire est notre objectif alors que la politique menée nous en éloigne chaque année un peu plus.

La jeunesse a toujours intéressé la gauche. Mais que ferez-vous pour elle et singulièrement celle des Outre-mer une fois élu ?

La jeunesse n’est pas très différente du reste de notre population : elle espère en une Guadeloupe qui soit plus vivable. La seule différence — mais elle est énorme ! — c’est que les jeunes peuvent encore partir, quitter le pays pour aller sur des terres plus accueillantes qui leur offrent des perspectives d’avenir. Et c’est exactement ce qu’ils font. Cette saignée est le vrai drame de la Guadeloupe d’aujourd’hui. L’Europe, de ce point de vue, peut agir mais ne peut pas faire des miracles. La part la plus importante de l’effort devrait être conduite par l’Etat, mais surtout par les élus en responsabilité. Dans notre programme, nous avons plusieurs mesures pour les jeunes mais celle qui me paraît la plus significative, c’est le programme de construction et de réhabilitation de logements sociaux que nous voulons financer avec le produit de la taxation des super-dividendes, des super-profits et des super-salaires qui ont explosé de manière scandaleuse après la crise COVID. Le logement, c’est la clé de l’autonomie des jeunes qui ne peuvent en aucun cas se réaliser s’ils sont condamnés à rester chez leurs parents parce que les loyers sont trop cher et si on continue de ne rien faire pour stimuler la construction de logements à des prix abordables. C’est cette volonté politique là que nous portons.

Demain la guerre. Vous y croyez ? Comment qualifier Emmanuel Macron sur ce dossier ?

C’est un velléitaire. C’est à dire qu’il brandit la possibilité d’une intervention directe de l’armée française alors que tout le monde sait que l’armée française n’est toujours pas en état de s’inscrire dans un conflit de haute intensité. Notre tête de liste, Raphaël Glucksmann, alerte depuis longtemps sur l’impérialisme russe et sur la nécessité d’y faire face. Ce que demande l’Ukraine, ce ne sont pas des soldats français à leurs côtés, mais des armes et des équipements. C’est la passivité de nombreux pays occidentaux depuis le déclenchement du conflit qui rend possible le risque de guerre. Comme si personne n’avait retenu la manière dont la Seconde Guerre mondiale s’était pareillement déclenchée avec des alliés passifs face à la volonté expansionniste d’Hitler. Donc, pour vous répondre, j’aimerais une action déterminée de résistance pour éviter qu’après l’Ukraine ce ne soit le tour des pays baltes ou de la Pologne.

Demain un autre statut pour la Guadeloupe. Passer outre Paris pour un contact direct avec Bruxelles ?

Ce statut existe aujourd’hui : c’est celui des pays et territoires d’Outre-mer (PTOM). Certains chez nous le défendent, d’ailleurs. Pour ma part, je n’en suis pas un très grand fan, car il ne me semble pas correspondre aux besoins de la Guadeloupe qui doit pouvoir compter durant quelques années encore sur des fonds structurels (FEDER, FEADER, FEAMP…) qui sont clairement une nécessité lorsque l’Etat est, comme aujourd’hui, endetté et en déficit, et que nos collectivités sont presque toutes limitées dans leurs marges de manœuvre. Pour autant, le contact direct avec Bruxelles existe déjà. Mais, il faut encore que la Guadeloupe choisisse d’envoyer à Bruxelles et Strasbourg un député qui ait la maîtrise des dossiers, qui ait la capacité de s’inscrire dans l’un des deux grands groupes à vocation majoritaire et qui ne lâchera rien. C’est parce que je pense en être capable que je me présente pour la première fois dans cette élection.

Que se passe-t-il en Nouvelle-Calédonie ? Cette situation peut-elle inspirer les Outre-mer ?

Il se passe qu’Emmanuel Macron a réussi à fragiliser un processus de décolonisation original et consensuel qui avait réussi à rétablir la paix civile pendant 36 ans et qui avait survécu à toutes les alternances politiques depuis Michel Rocard. Mais c’est cela la méthode Macron : celle d’un pompier pyromane oublieux, voire ignorant, des histoires troublées et douloureuses des Outre-mer avec la France. Et je ne m’explique toujours pas comment deux parlementaires guadeloupéens ont pu, au Sénat, approuver cette manière de défaire un processus aussi exemplaire. On peut faire beaucoup de reproches aux socialistes, mais c’est une de nos grandes fiertés d’avoir montré que nous pouvons être fidèles à l’un de nos principes fondateurs : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et c’est bien cela qui doit continuer à guider notre vision des Outre-mer. Ce sont des territoires qui doivent pouvoir, si tel est le choix de leur population, accéder à davantage de responsabilités locales. La Nouvelle-Calédonie est assurément le territoire qui a acquis le plus d’autonomie au sein de la République. Mais cela ne s’est pas fait en un jour, ni même en quelques années et il est loin d’être achevé. C’est un processus qui s’étale sur plusieurs décennies et qui devrait inciter les plus autonomistes d’entre nous à être très humbles quant à ce qu’il faut de patience et d’abnégation pour négocier et avancer.

Trois priorités portées par votre liste pour les Outre-mer ?

Priorité 1 : la vie chère en reprenant la lutte contre les monopoles économiques.
Priorité 2 : une adaptation plus poussée des politiques européennes à nos réalités, comme le permet l’article 349 du traité européen, en particulier en matière de normes.
Priorité 3 : impliquer davantage l’Union européenne dans des domaines où l’Etat est aujourd’hui manifestement défaillant : l’accès aux services public comme l’eau, l’assainissement, les déchets, les transports, la formation professionnelle, mais aussi la continuité territoriale.
C’est à ce prix que nous transformerons les colères du pays en espérance.

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