Errol Nuissier : « Face au fann tchou, la solidarité permet de gagner »

Psychologue, expert judiciaire, anthropologue, Errol Nuissier ouvrira le séminaire des Universités de la Martinique ensemble, avec une analyse du concept de résilience, « du fann tchou à la réussite collective », vendredi 1er septembre, à Fort-de-France.

Comment définissez-vous le « fann tchou » ?

Le « fann tchou » est un mode de fonctionnement social qui repose sur la mécanique de l’envie. Il vise d’abord à éviter la réussite de l’autre, au détriment de sa propre réussite. En empêchant l’autre de réussir, on oublie que l’énergie dépensée à barrer la route de l’autre va gêner notre propre réussite.

Au final, qu’y gagne le destructeur ? La satisfaction que tout est voué à l’échec ?

Oui ! Le but c’est d’annihiler toute volonté, tout projet individuel et de mettre en échec toute tentative de projet collectif.

L’exiguïté de nos territoires exacerbe le phénomène ?

Oui, il y a un effet caisse de résonnance. Quand j’ai parlé de « fann tchou » en Martinique, on m’a fait remarquer que la Guadeloupe renvoyait l’image d’un territoire solidaire, et inversement : les Guadeloupéens ont l’impression que les Martiniquais sont solidaires. Il s’agit donc bien d’une représentation de la société.

Quelle en est l’origine ?

L’origine de tout cela est foncièrement humaine. L’un des exemples que je donne souvent, c’est le communisme, ce désir de vivre ensemble et de construire ensemble n’a pas duré 50 ans. L’homme est fondamentalement contre le partage. Cette illusion du partage n’est pas nouvelle. L’homme est individualiste : il recherche la satisfaction maximale de ses besoins. C’est humain, quel que soit l’endroit où l’on vit. N’oublions pas que le capitalisme ne modifie pas les hommes : ils l’ont créé. Le capitalisme correspond le plus à ce que nous sommes. Contrairement à ce qu’on a pensé, le capitalisme n’a pas modifié les mentalités. En réalité, le capitalisme est l’émanation de ce que les êtres humains, de par le monde, veulent.

D’après vos observations, s’agit-il d’une spécificité locale ?

Depuis que j’ai parlé du « fann tchou », partout où je vais, en dehors de la Guadeloupe où je vis, de la Martinique et de la Guyane, les gens me disent que ce fonctionnement s’observe aussi chez eux.

La tendance au « fann tchou » est-elle en train de s’estomper avec les nouvelles générations ?

Il y a un élément fondamental : la solidarité gagne. Cette année, par exemple, au Tour cycliste de Guadeloupe, on a vu que, pour gagner, Benjamin Le Ny a été aidé par l’ensemble des cyclistes guadeloupéens, mais aussi par les coureurs de Vendée. Quand nous sommes solidaires, nous trouvons d’autres personnes pour nous aider. Lorsque nous sommes en opposition, d’autres vont nous diviser ! Les divisions que nous vivons en Guadeloupe viennent de notre propre tendance à être en conflit : les autres en profitent pour nous diviser davantage. Quand nous sommes solidaires, les autres nous aident. Ceci se vérifie en Guadeloupe et ailleurs.

Toujours dans le domaine du cyclisme, qui est un révélateur des relations sociales, le Guadeloupéen Meving Gene a remporté le Tour de Guyane avec l’ensemble des membres de la sélection cycliste de la Guadeloupe qui se sont mis à son service. À chaque fois que la Guadeloupe est solidaire, elle n’a peur de personne et elle gagne ! Je souhaite que les générations qui viennent prennent en compte l’idée que c’est vraiment ensemble qu’on nous reconnaît, qu’on nous respecte et que l’on gagne !

Entretien : Cécilia Larney

Conférence d’Errol Nuissier : « Du fann tchou à la réussite collective : une analyse du concept de résilience », vendredi 1er septembre, à 18 h 15, au Squash Hôtel (Fort-de-France). Entrée libre. Pour consulter le programme complet des Universités de la Martinique ensemble, les 1er et 2 septembre, cliquer sur le lien.

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