ENTRETIEN. Elie Domota : « Il faut encadrer les prix des produits de première nécessité »

Elie Domota, secrétaire général, va ouvrir, ce jeudi 10 juin, le 16eCongrès de l’UGTG.
Tour d’horizon sur les conflits en cours, le relance de l’économie, l’augmentation des prix des produits alimentaires… de l’essence.

Propos recueillis par André-Jean VIDAL

Le conflit entre l’UTC-UGTG et les collectivités, plus particulièrement les mairies, dure depuis trois mois. Que se passe-t-il ?

C’est un beau combat, un combat historique. Les personnels de catégories C dans la fonction publique territoriale sont ceux qui, avec ceux qui, dans le privé, font du nettoyage, subissent le plus la précarité, l’exploitation. Ceci pour les rémunérations les plus faibles. Dans le public, grâce aux 40%, certaines personnes perçoivent 800 euros par mois. Le drame c’est que, quand ces personnes arrivent au moment de la retraite, elles ont… 329 euros. Aujourd’hui, avec 329 euros, on ne peut pas vivre décemment. On ne peut pas vivre du tout ! Nous sommes là aux deux tiers de ce qu’on appelle le seuil de pauvreté. Si ces personnes n’ont pas de famille, un petit jardin, quelques petits animaux, il ne leur reste que la soupe populaire ou la misère. C’est inadmissible. Notre combat c’est de permettre que tout le monde soit sensibilisé, et singulièrement les maires, pour qu’ils comprennent qu’il faut arrêter d’utiliser ces personnes comme étant des bases électoralistes.

Que faut-il faire ?

Il faut augmenter les quotas horaires pour que ces personnes aient des salaires décents, sortir du temps partiel pour passer au temps plein. Ceci, quelques années avant leur départ à la retraite pour leur permettre d’avoir une retraite décente. Ensuite, faire en sorte que ceux qui ont 62 ans ou qui approchent des 62 ans, puissent avoir un temps plein pour qu’ils puissent accéder à 500 ou 600 euros de retraite. Enfin, il faut améliorer la situation des personnes qui ont été embauchées. Il faut arrêter d’en embaucher d’autres pour les mettre dans une même situation de précarité. 

« Nous attendons que les maires nous disent Banco et qu’ils signent l’accord qu’ils nous ont envoyé. »

Pourquoi les négociations n’avancent-elles pas ?

Il y a des maires qui ont compris ces problèmes. Mais, curieusement, il y a des maires qui ne comprennent pas. Ou ne veulent pas comprendre. Pour eux, c’est un fonctionnement normal. Quand je pense qu’il y a des maires qui viennent me voir et me disent : « J’ai compris le problème. Ma maman elle-même travaillait dans ces conditions. Aujourd’hui, elle n’a pas de retraite… » La revendication que nous portons, c’est une revendication de justice sociale. C’est une revendication noble. Nous attendons que les maires nous disent Banco et qu’ils signent l’accord qu’ils nous ont envoyé, issu de nos discussions avec les quatre maires qui ont été mandatés par l’Association des maires. Malgré ces discussions et cet accord auquel nous sommes parvenus, il y a deux ou trois maires qui jouent comme qui dirait à faire la guerre avec les travailleurs. C’est inadmissible. On ne peut pas jouer comme ça avec la vie des malheureux. Ce n’est pas une faveur qu’on leur fait, c’est une justice sociale qu’on leur rend. Les camarades qui sont actuellement en grève vont gagner et nous allons tout faire pour que tous les maires signent cet accord-cadre. Dans les autres collectivités, nous négocierons pour voir si on peut avoir mieux. Mais, il est hors de questions que nous descendions au-dessous du socle négocié avec les quatre maires mandatés. *

Ce conflit concerne combien de personnes ?

1 200 personnes sont concernées par ce problème, 1 200 familles, des milliers de Guadeloupéens. Je connais bien leur problème. Ma maman travaillait à la cantine, elle faisait moins de 20 heures par semaine. Elle est partie à la retraite. Quand j’ai touché mon premier salaire d’agent à l’ANPE, je gagnais dix fois ce qu’elle touchait pour sa retraite après toute une vie de travail. Il faut arrêter de faire des jeux avec les malheureux ! Ce petit jeu de quelques maires qui ne veulent pas que l’accord soit signé, c’est infect ! 

Au Gosier, le maire, Cédric Cornet, a rédigé un protocole de fin de conflit qu’il a signé et transmis à Nestorius Favel pour signature. Il semblait sûr de lui. Il a fait une explication de texte dans laquelle il dit que le protocole reprend ce qui a été négocié entre l’UTC-UGTG et les quatre maires. Qu’en dites-vous ? 

C’est de la manipulation grossière. Je ne vais pas m’étendre sur Cédric Cornet et le Gosier. On sait qui est Cédric Cornet, venu d’où il est venu, devenu maire et président de collectivité. Non ! La Guadeloupe ne méritait pas ça. On voit bien comment M. Cornet fonctionne. C’est un enfant ! Ce n’est pas sérieux ! Déjà que les élus ont mauvaise réputation, déjà qu’on dit qu’ils ne sont pas sérieux, je ne pense pas que ce soit ça qui permette de redorer le blason de la classe politique. 

« Aujourd’hui, l’objectif est d’éliminer toute contestation sociale et pour cela faire durer les conflits. »

On remarque une constante : le conflit dans les communes s’éternise, plus de trois mois. D’autres conflits avant celui-ci ont duré trois mois, six mois à l’Hôpital Beauperthuy, le conflit à Canal semble fait pour durer. Pourquoi autant de temps pour négocier et trouver une solution ?

Nous avons analysé ce type de situation. Il y a eu, par le passé, des conflits durs, qui ont mis beaucoup de temps à être résolus. Effectivement, depuis ces derniers temps, les conflits s’enlisent, les patrons ne veulent pas négocier. Je pense que c’est lié à la crise sanitaire. L’Etat et le patronat ont profité de cette crise pour casser les libertés, restreindre ces libertés pour ce qui est de l’Etat, d’instaurer un climat de précarité en cassant les conventions collectives, les contrats de travail, les accords de branche pour ce qui est du patronat.
Aujourd’hui, l’objectif est d’éliminer toute contestation sociale et pour cela faire durer les conflits, faire venir les forces de répression pour intimider les grévistes. Maintenant, quand les camarades viennent nous voir, nous les préparons à des grèves longues. A des grèves dures. Les camarades des communes comme ceux de Canal se sont déjà mis dans la tête que leur combat va être très long. Pour certains, vous savez, cette crise sanitaire a été un effet d’aubaine !

Justement. On parle beaucoup de relance économique après cette crise — qui n’est pourtant pas finie !

Quand on a commencé à parler de plan de relance économique, nous avons vu les présidents de collectivités rencontrer le patronat… Et à aucun moment on n’a rencontré les syndicats de salariés. Ensuite, au niveau de la France, on a aidé les grandes entreprises On a donné de l’argent et, dans le même temps, ces entreprises déposent des plans de licenciement. Il faut accompagner les travailleurs. Dans le cadre de ce qui s’est passé à l’usine de Marie-Galante, nous avons obtenu de l’Etat, de l’usinier, des collectivités régionale et départementale, que les travailleurs qui sont en activité partielle ne perdent pas leur rémunération. Ils touchent 100% de leur rémunération. Il est inadmissible qu’au nom de la relance économique, les travailleurs perdent une partie de leur rémunération, perdent leur travail. Derrière chaque travailleur, il y a une famille, des enfants qui vont à l’école ou qui font des études. 

C’est pour cela que nous aurions préféré qu’il y ait une véritable relance par la consommation. La relance par la consommation passe par l’augmentation des salaires, l’augmentation des minimas sociaux, la baisse des prix ou à tout le moins l’encadrement des prix des produits de première nécessité. Par la consommation, on peut relancer la production, on peut relancer l’économie. 

Or, on n’a pas fait ça. Certaines entreprises se sont déclarées en difficultés, on les a aidés… et en fin de compte elles ont licencié.

« Il y a une volonté de nous maintenir
en situation de dépendance ! »

Vous êtes un observateur de la vie de vos compatriotes. Avez-vous le sentiment que les prix des produits de consommation courante, pendant cette période de crise, sont restés stables ?

Les prix ont augmenté. En 2009, Jégo avait compris le problème des prix et c’est pour cela qu’on l’a éjecté. La loi du 27 mai 2009 prévoyait l’encadrement des prix des produits de première nécessité. Il ne manquait que le décret pour définir les familles de produits concernés. Quand Madame Penchard est devenue ministre des Outre-mer, elle a éliminé les syndicats ouvriers, les associations de consommateurs de l’Observatoire des prix qui devait arrêter les prix des carburants. Quand Victorin Lurel a été ministre à son tour, il a créé le bouclier qualité prix et la première chose qu’il fait dans la loi sur la régulation économique, c’est de supprimer tout ce qui concernait l’encadrement des prix des produits de première nécessité. Dans ce pays, avec la situation économique que nous connaissons, avec cette crise sanitaire, pas étonnant que la pauvreté ait encore augmenté en Guadeloupe. Presqu’un quart de la population, environ 100 000 familles qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté. C’est très grave ! Il faut encadrer les prix des produits de première nécessité. Il faut qu’il y ait un réel contrôle sur la formation des prix des carburants. Prenons l’exemple des carburants : la Sara produit dans sa raffinerie un peu plus de la moitié des besoins de consommation de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Guyane en carburant. On ne sait pas du tout où elle achète pour nous le revendre le complément de produit fini. Et pourtant, on nous revend ce produit fini comme si on l’avait acheté brut et transformé. En 2009, nous avions obtenu de diplomates vénézuéliens qu’ils examinent la possibilité d’entrée de la Guadeloupe dans PetroCaribe. Quand on l’a proposé à l’Etat, on nous a répondu que ce n’était pas possible parce que le Vénézuéla n’avait pas les mêmes normes que chez nous. J’ai visité des raffineries à Trinidad et j’ai posé la question des normes. On m’a répondu qu’ils font le carburant à la demande du client. Avec les normes qu’on leur donne. Si vous voulez qu’en plus il soit parfumé à la menthe ou à la fraise, ils le font ! Il y a une volonté de nous maintenir en situation de dépendance et de favoriser des importateurs-distributeurs. C’est la même chose dans tous les secteurs. Dans l’agro-alimentaire c’est pareil. Nous avons suivi des produits depuis des centrales alimentaires en France jusqu’à la vente en Guadeloupe. Le plaquette de beurre de 250 grammes part de Paris à 1 euro. Quand elle est en vente en Guadeloupe elle est à 2,50 euros. L’autorité de la concurrence l’a écrit : les écarts doivent être compris entre 12 et 15% sans marge en prenant en compte les frais de transport, les frais de douane, l’octroi de mer, etc. Or, c’est à 2,50 euros chez nous. Il y a des marges exorbitantes. C’est la mafia ! L’Etat devrait mettre fin à cela ! L’encadrement des prix des produits de première nécessité, le développement de la production locale et de l’agro-transformation, c’est ce que nous demandons. 

L’accord-cadre signé ?

Hier après-midi, l’UTC-UGTG faisait avoir, par le biais d’un communiqué, que les maires et présidents d’EPCI étaient invités à venir au Gymnase Marianne de Capesterre Belle-Eau pour signer l’accord-cadre avec le syndicat…

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email

Actualité

Politique

Economie

CULTURE

LES BONS PLANS​

KARIB'Archives

Rechercher un article par mot clé dans nos archives à partir de 2020

DERNIERES INFOS

LE TOP KARIB'INFO