Jean-Yves Bonnaire, secrétaire général de la Fédération du bâtiment et des travaux publics de la Martinique. Il dit les choses dans toutes leurs évidences.
Présentez-nous le secteur du BTP martiniquais.
Il y a 4 200 entreprises, 50 de plus de 50 salariés. Nous sommes dans un secteur très balkanisé, il y a beaucoup de très petites entreprises et des filiales de grands groupes français, dont certaines sont installées depuis longtemps. SOGEA, qui est adhérent chez nous, est là depuis 1958. Ce sont des entreprises qui avaient automatiquement des dirigeants venus de l’Hexagone. On a, parfois, des Antillais à la tête de ces filiales désormais. Il y a aussi des grands groupes qui envoient des équipes localement, pour des travaux qui demandent des spécialités que nous n’avons pas. Ainsi, quand il y a eu le chantier du TCSP (transport en commun en site propre), des viaducs ont été réalisés par une major venue spécialement pour réaliser les ouvrages.
Est-ce une concurrence sur le marché local ?
Non, ces interventions sont très ponctuelles sur des chantiers qui sont, disons-le, hors de portée des entreprises locales.
« Nous n’avons pas su nous
montrer suffisamment attractifs. »
Vous avez voulu alerter les pouvoirs publics sur le manque de personnels dans votre filière économique. Que se passe-t-il ?
Il y a une vraie crise de vocation. Quand nous faisons des forums des métiers, nous avons… exceptionnellement un jeune qui déclare spontanément qu’il veut faire un métier du bâtiment. C’est aussi notre faute : nous n’avons pas su nous montrer suffisamment attractifs. Les familles ne souhaitent pas que leurs enfants aillent suivre ce type de formation.
La filière a une image un peu archaïque, qui traine aussi une image liée à la pénibilité. Les jeunes voient les métiers de la construction comme has been, difficiles.
Et puis, chaque fois que l’on parle de nos métiers, c’est pour se plaindre des délais de paiement à rallonges, du manque d’activités. C’est une communication un peu suicidaire.
C’est vrai que c’est un secteur qui dépend beaucoup de la commande publique. Or, la façon dont est gérée cette commande publique n’aide pas à rendre la filière attractive puisque nous avons des cycles liés aux mandats électoraux et l’activité se calque souvent sur un rythme qui suit les mandats électoraux. C’est regrettable, voire désastreux pour le secteur parce que ça ne permet pas à celui-ci de mieux se structurer. Les entreprises ont peu de visibilité même si l’on sait qu’il y aura toujours des besoins : nos territoires doivent se construire mais la commande publique est trop irrégulière. Certaines années, les entreprises seraient tentées de se développer, d’embaucher, mais, derrière, il y aura sans doute un gros passage à vide. Donc, elles ne le font pas. Ça a pour conséquence une montée disproportionnée du travail intérimaire.
Est-ce qu’on connaît le poids de ces salariés intérimaires ?
Oui, il est donné en équivalent temps plein et représente entre trois et quatre cents soit entre 12 et 15% de l’effectif global de l’emploi dans le BTP qui compte environ 6 300 emplois.
N’y a-t-il pas de formations en Martinique pour les métiers du BTP ?
Il y a beaucoup de métiers dans le secteur du BTP, énormément de formations. Malheureusement, nous constatons, souvent, que les jeunes en formation initiale BTP ne sont pas forcément les meilleurs. C’est souvent une voie de garage. Quand on ne fait pas la formation demandée, on se retrouve avec des jeunes diplômés dans nos spécialités mais qui ne restent pas. Deux ans après, ils ne sont plus dans le secteur. Ils partent faire autre chose. Ce qui veut dire qu’à l’origine, ils n’avaient pas la vocation.
« Ces métiers du bâtiment et des travaux
publics sont plutôt bien payés. »
Peut-être partent-ils parce qu’ils sont mal payés !
Non ! Ces métiers du bâtiment et des travaux publics sont plutôt bien payés. Nous avons une convention collective, avec des relèvements plusieurs fois du SMIC, des feuilles de salaires qui ont beaucoup bougé, des primes de panier qui ont beaucoup évolué. Ce sont des métiers où l’on gagne très correctement sa vie. Et ceci aussi, nous ne le disons pas suffisamment mais la réalité est que, quand on travaille dans nos métiers, on peut non seulement bien gagner sa vie mais, aussi, on peut évoluer. On peut commencer ouvrier, passer technicien agent de maîtrise, finir cadre. Il y a beaucoup d’exemples de gens qui ont commencé au bas de l’échelle et qui ont terminé à des fonctions d’encadrement.
Ils pourraient, comme beaucoup d’autres, monter leur entreprise ?
C’est ce que beaucoup font, quoique des fois un peu trop tôt. C’est pour cela que nous avons beaucoup d’entreprises dans le secteur. Les jeunes décident très rapidement de créer une société. Il n’y a pas de contrainte, de qualification particulière pour être chef d’entreprise dans le BTP. Ils montent donc leur entreprise pour s’assurer leur emploi. Par contre, cela donne des structures administrativement faibles. On peut maîtriser parfaitement son métier mais être défaillant pour la gestion au quotidien d’une entreprise. Il y a de la défaillance dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. La mortalité est très élevée mais il s’en crée beaucoup, plusieurs centaines chaque année.
Comment fait le chef d’entreprise pour trouver des ouvriers ? Les fait-il venir d’ailleurs ?
Mais oui. Il y a beaucoup d’ouvriers des pays de l’Est de l’Europe, des Polonais, des Tchèques, en Martinique et Guadeloupe. Ils sont là et travaillent. Ils sont discrets mais ils travaillent dans les entreprises ou pour les entreprises, sur les chantiers. Il y a aussi — parce que le BTP fait partie des trois secteurs où il devra y avoir régularisation d’étrangers —, des Haïtiens, très présents dans le secteur, chez nous mais aussi en Guyane où ils sont en nombre. Il y a des discussions en cours pour régulariser des cohortes d’originaires d’Haïti. C’est une solution qui est sur la table.
De même, le secteur essaie de réagir : il y a un fort taux de chômage chez nous, il y a un besoin en main d’œuvre, essayons de trouver des solutions pour avoir de la main d’œuvre, de l’encadrement intermédiaire et de l’encadrement supérieur originaire de nos territoires. C’est un des chevaux de bataille de la profession en ce moment.
Pourquoi ne pas faire venir des travailleurs des pays voisins, de la Caraïbe ?
Effectivement, des Dominicais, des Sainte-Luciens. Il y a d’ailleurs des Sainte-Luciens dans l’agriculture en Martinique ; ça peut être une solution. Ils sont culturellement plus proches que des ouvriers des pays de l’Est de l’Europe. Mais, il faut, nous Antillais, nous Martiniquais, que nous soyons cohérents par rapport à nos voisins caribéens. Souvent, nous sommes les premiers à avoir des comportements border line. Il faut faire de la coopération intelligente.
« On se retrouve dans des situations ubuesques ! »
Est-ce que le fait d’avoir des difficultés à embaucher des ouvriers du BTP a des incidences sur les chantiers ?
Oui, ça arrive. Pour certaines spécialités, les entreprises sous-traitantes sont très demandées et elles ne peuvent pas être partout à la fois. Elles gèrent leur main d’œuvre. D’ailleurs, on se plaint souvent que certains chantiers ne démarrent pas parce que certaines spécialités ne sont pas disponibles. On se retrouve dans des situations ubuesques !
Quelles spécialités sont difficiles à trouver ?
Les carreleurs, les plombiers, les peintres…
Est-ce qu’il y a une incidence économique ?
Pas vraiment. Le secteur a surtout été perturbé par des augmentations des prix des matériaux, par des problèmes logistiques aussi. Mais, il y a des entreprises qui ont encore du mal à se conformer aux règles en payant leurs charges. A certains moments, les chefs d’entreprises font des sacrifices… et malheureusement, c’est au détriment des personnels. De plus, il y a encore beaucoup de travail illégal : les salariés ne sont pas déclarés et il y a des formules un peu limites, avec des salariés payés à la tâche sans qu’on sache très bien comment les gens sont couverts socialement. Nous essayons d’assainir le secteur mais il y a des équilibres qui sont difficiles à trouver. La tentation est forte de ne pas être en conformité avec la légalité.
André-Jean Vidal
aj.vidal@karibinfo.com